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distribuer, sert de merite pour recevoir, et l'office d'en« seigner, de fondement pour apprendre. »

cœurs

Alexandre fit peindre la belle Compaspé, qui luy estoit si chere, par la main de l'unique Apelles. Apelles, forcé de considérer longuement Compaspé, à mesure qu'il en exprimoit les traicts sur le tableau, en imprima l'amour en son cœur, et en devint tellement passionné, qu'Alexandre l'ayant recognu, et en ayant pitié, la luy donna en mariage, se privant pour l'amour de luy de la plus chere amie qu'il eust au monde. En quoy, dit Pline, il monstra la grandeur de son cœur, autant qu'il eust fait par une bien grande victoire. Oril m'est advis, mon lecteur mon amy, qu'estant evesque, Dieu veut que je peigne sur les des personnes, non seulement les vertus communes, mais encore sa tres-chere et bien aimée devotion: et moy, je l'entreprends volontiers, tant pour obeïr et faire mon devoir, que pour l'esperance que j'ay qu'en la gravant dans l'esprit des autres, le mien à l'adventure en deviendra sainctement amoureux. Or si jamais sa divine Majesté m'en void vivement espris, elle me la donnera en mariage eternel. La belle et chaste Rebecca, abreuvant les chameaux d'Isaac, fut destinée pour estre son espouse, recevant de sa part des pendans d'oreilles et des bracelets d'or; ainsi je me promets de l'immense bonté de mon Dieu, que conduisant ses cheres brebis aux eaux salutaires de la devotion, il rendra mon ame son espouse, mettant en mes oreilles les paroles dorées de son sainct amour, et en mes bras la force de les bien exercer, en quoy gist l'essence de

la vraye devotion, que je supplie sa Majesté me vouloir octroyer, et à tous les enfans de son Eglise; Eglise à laquelle je veux à jamais soubmettre mes escrits, mes actions, mes paroles, mes volontez, et mes pensées.

A Annessy, le jour de saincte Magdelaine, 1608.

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PREMIERE PARTIE,

CONTENANT LES ADVIS ET EXERCICES REQUIS POUR CONDUIRE L'AME DÈS SON PREMIER DESIR DE LA VIE DEVOTE, JUSQUES A UNE ENTIERE RÉSOLUTION DE L'EMBRASSER.

VOUS

CHAPITRE PREMIER.

Description de la vraye devotion.

ous aspirez à là devotion, tres-chere Philotée, parce qu'estant chrestienne, vous sçavez que c'est une vertu extremement agreable à la divine Majesté. Mais d'aulant que les petites fautes que l'on commet au commencement de quelque affaire, s'agrandissent infiniment au progrez, et sont presque irreparables à la fin; il faut avant toutes choses que vous sçachiez que c'est, que la vertu de devotion car d'autant qu'il y en a une vraye, et qu'il y en a grande quantité de fausses et vaines, si vous ne cognoissiez quelle est la vraye, vous pourriez vous tromper, et vous amuser à suivre quelque devotion impertinente et superstitieuse.

Arelius peignoit toutes les faces des images qu'il faisoit,

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à

l'air et ressemblance des femmes qu'il aimoit : et chascun peint la devotion selon sa passion et fantaisie. Celui qui est adonné au jeusne, se tiendra pour bien devot, pourveu qu'il jeusne, quoy que son cœur soit plein de rancune, et n'osant point tremper sa langue dedans le vin, ny mesme dans l'eau par sobrieté, ne se feindra point de la plonger dedans le sang du prochain, par la medisance et calomnie. Un autre s'estimera devot, parce qu'il dit une grande multitude d'oraisons tous les jours, quoy qu'apres cela sa langue se fonde en toutes paroles fascheuses, arrogantes et injurieuses parmy ses domestiques et voisins. L'autre tire fort volontiers l'aumosne de sa bourse, pour la donner aux pauvres : mais il ne peut tirer la douceur de son cœur, pour pardonner à ses ennemis : l'autre pardonnera à ses ennemis: mais tenir raison à ses creanciers, jamais qu'à vive force de justice. Tous ces gens-là sont vulgairement tenus pour devots, et ne le sont pourtant nullement. Les gens de Saül cherchoient David en sa maison: Michol ayant mis une statue dedans un lict, et l'ayant couverte des habillemens de David, leur fit accroire que c'estoit David mesme qui dormoit malade. Ainsi beaucoup dë personnes se couvrent de certaines actions exterieures appartenantes à la saincte devotion: et le monde croit que ce soient gens vrayement devots et spirituels; mais en verité ce ne sont que des statues et fantosmes de devotion.

La vraye et vivante devotion, ô Philotée, presuppose l'amour de Dieu : ains elle n'est autre chose qu'un vray amour de Dieu; mais non pas toutesfois un amour tel quel : car en tant que l'amour divin embellit nostre ame, il s'appelle grace, nous rendant agreables à sa divine Majesté; en tant qu'il nous donne la force de bien faire, il s'appelle charité mais quand il est parvenu jusques au degré de perfection, auquel il ne nous fait pas seulement

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bien faire, mais nous fait operer soigneusement, frequemment et promptement, alors il s'appelle devotion. Les autruches ne volent jamais, les poules volent pesamment, toutesfois bassement et rarement; mais les aigles, les colombes, les arondelles volent souvent, vistement et hautement ainsi les pecheurs ne volent point en Dieu, ains font toutes leurs courses en la terre, et pour la terre. Les gens de bien, qui n'ont pas encore atteint la devotion, volent en Dieu par leurs bonnes actions, mais rarement lentement et pesamment; les personnes devotes volent en Dieu frequemment, promptement et hautement. Bref, la devotion n'est autre chose qu'une agilité et vivacité spirituelle, par le moyen de laquelle la charité fait ses actions en nous, ou nous par elle promptement et affection- " nément; et comme il appartient à la charité de nous faire generalement et universellement practiquer tous les commandemens de Dieu, il appartient aussi à la devotion de les nous faire faire promptement et diligemment. C'est pourquoy celuy qui n'observe tous les commandemens de Dieu, ne peut estre estimé, ny bon, ny devot; puis que pour estre bon, il faut avoir la charité, et pour estre devot, il faut avoir outre la charité, une grande vivacité et promptitude aux actions charitables.

Et d'autant que la devotion gist dans certain degré d'excellente charité, non seulement elle nous rend prompts, actifs, diligens à l'ohservation de tous les commandemens de Dieu; mais, outre cela, elle nous provoque à faire promptement et affectionnément le plus de bonnes œuvres que nous pouvons, encore qu'elles ne soient aucunement commandées, ains seulement conseillées ou inspirées. Car tout ainsi qu'un homme qui est nouvellement guery de quelque maladie, chemine autant qu'il luy est necessaire, mais lentement et pesamment de mesme le pecheur es

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