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§ 8. De 1758 à 1762 de nombreuses plaintes de violation. des eaux neutres des Provinces-Unies sont adressées par l'Angleterre auprès des Etats Généraux. Ces plaintes tantôt sont accueillies, tantôt ne le sont pas. Ainsi par décision des Etats Généraux est relâché un navire anglais capturé par les Français sur la rade de Texel (23 septembre 1760), mais à l'inverse on ne donne pas suite à une plainte déposée contre un corsaire de Dunkerque qui aurait capturé un vaisseau anglais dans les eaux hollandaises (').

Nouvelle décision en date du 22 avril 1761 par laquelle une prise faite par un corsaire français est relâchée, comme ayant été faite dans les eaux neutres.

§ 9. Au cours des guerres de la Révolution et du Consulat, de nombreuses captures sont faites dans les eaux neutres. La Cour de cassation jugeant comme cour des prises rendit une série d'arrêts remarquables à ce point de vue. C'est le SaintMichel qui est relâché, comme ayant été pris sous le canon de Bilbao (Cass., 23 ventôse VII), même décision en ce qui concerne le navire danois Christiana Colbiornson pris dans le port de Livourne (Cass., 14 ventôse au VII). Une autre décision intéressante est celle qui relâche le bâtiment américain La Perle capturé par le corsaire Légère sur la côte d'Espagne. Comme on avait invoqué le caractère sauvage de la côte, Portalis répondit dans ses conclusions que « le territoire neutre doit être respecté indépendamment de la force, et à cause de lui-même » (27 thermidor an VIII) (2).

§ 10. Intéressante est l'attitude du gouvernement anglais dans l'enlèvement de navires suédois et français d'un port

(*) Correspondance de l'ambassadeur britannique à La Haye (1758-1762), lettre du 29 septembre 1750.

(2) De Pistoye et Duverdy, Traité des prises, I, p. 92 et s. XIII, p. 180 et s.

Merlin, Répert.,

danois de la Norvège par deux frégates anglaises. En réponse aux protestations du Danemark, lord Hawkesbrough, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, commença (note du 19 mars 1890) par subordonner la restitution des navires capturés à la solution des difficultés pendantes entre les deux cours. Le Danemark insiste et fait observer avec raison que la violation d'un port ou d'un territoire n'est point, «< sous aucun prétexte quelconque », dit la note, « un objet soumis à la décision des tribunaux »..

Lord Hawkesbrough continue dans sa réponse (note du 23 mars) à affirmer que les tribunaux doivent statuer. Le comte Wedel-Jarlsberg, ministre du Danemark à Londres, maintient en termes très fermes la note précédente... Il était inadmissible effectivement que la Cour des prises statuât sur la question de souveraineté du Danemark en ce qui concerne les eaux norvégiennes où l'attentat avait eu lieu : une puissance indépendante ne peut pas permettre à un tribunal étranger de statuer sur une question de cette nature. C'est à quoi l'Angleterre finit par se rendre. Mais il ressort très clairement de la note (24 mars) que ce n'est là qu'une décision d'espèce, commandée par les circonstances spéciales de la cause... « C'est avec beaucoup de satisfaction, écrit lord Hawkesbrough, que le soussigné est actuellement à même d'ajouter que les navires suédois capturés dans le port de Norvège, ainsi que leurs équipages seront immédiatement relâchés, attendu qu'il n'est pas besoin de recourir préalablement à des procédures pratiques dans les circonstances particulières du cas en question » (').

§ 11. L'affaire du Général Armstrong, que nous avons relatée plus haut, eut pour conséquence un certain nombre de

(1) Ortolan, op. cit., II, appendice, p. 413 et suiv.

captures, en eaux portugaises, de navires de commerce anglais par des bâtiments américains, mais c'étaient là des actes. de représailles plutôt que des violations de neutralité proprement dites (').

Les faits de cette nature deviennent de plus en plus rares et il faut arriver à la guerre de Crimée pour avoir à signaler deux incidents survenus dans les eaux territoriales de Java (Indes néerlandaises) et qui présentent la question sous un jour un peu spécial.

Le 8 juillet 1854, l'Onny, navire de commerce russe, mouilla devant la rade de Batavia, derrière une ligne de petits ilots, donc en pleine eau territoriale. Aussitôt un navire de guerre anglais la Lily, qui se trouva également dans les eaux hollandaises, leva l'ancre, passa derrière le navire russe et envoya de cet emplacement un canot en prendre régulièrement possession. Deux jours plus tard, il fut remis en liberté, non pas parce que la prise avait été faite dans les eaux neutres, mais parce que le navire se trouvait dans les limites. de l'indult accordé par les « orders in Council » de la reine d'Angleterre.

Quelques jours plus tard, une barque hollandaise, la Nagalant, fut arrêtée par le même batiment de guerre anglais également dans les eaux territoriales javanaises. Elle fut également relâchée avec même des excuses lorsque l'on constata n'avoir point à faire à un navire battant pavillon ennemi (*).

Ces faits étaient trop graves pour que la Hollande ne s'émût point, et le 15 septembre une note de protestation fut adressée au gouvernement de Saint-James.

La réponse de lord Clarendon, en ce qui concerne l'Onny est curieuse. Il fit observer: 1° que la Lily, qui avait envoyé

(') De Lapradelle et Politis, op. cit., p. 653, note 3. (*) Den Beer Poortugael, op. cit., p. 409 et suiv.

nous

une chaloupe prendre le navire russe, se trouvait avons vu que le navire de guerre avait fait cette manœuvre uniquement dans une intention de capture, ce qui en rend la légitimité très discutable - en dehors des eaux territoriales; 2o que l'officier anglais s'était assuré autant que possible que l'Onny se trouvait à trois ou quatre milles de la côte.

A cela nous nous répondons: 1° qu'en admettant l'exactitude de cette distance, le lieu où l'Onny avait été capturé n'était pas moins eaux hollandaises, car le navire en question se trouvait en deça de la bordure des îles qui sépare la rade extérieure de Batavia de la pleine mer; 2° la Lily se trouvait en pleine mer, mais non l'Onny ('). Or, s'il suffit que le capteur se trouve dans les eaux neutres pour annuler la prise, à plus forte raison cela est-il vrai, si c'est la prise qui se trouve en eaux neutres.

Somme toute, la Lily avait employé la manœuvre inverse de celle dont la frégate anglaise Espeigh s'était servie pour capturer la barque hollandaise Twee Broeders: le bâtiment anglais s'était saisi de ce navire en envoyant, des eaux littorales prussiennes où il était ancré, des chaloupes en haute mer pour faire cette capture (2). La prise fut, de ce chef, annulée par Lord Stowell, et nous doutons fort que l'illustre juge cût légitimé la manœuvre de la Lily, en 1855, qui présentait un caractère tout aussi nettement frauduleux. Cela nous paraît d'autant plus certain que la fameuse exception de Bynkershoek, dum fervet opus (3), en vertu de laquelle un navire agresseur avait le droit de poursuite en eaux neu

(1) On remarquera la contradiction des deux arguments. Si l'Onny se trouvait effectivement en dehors des eaux territoriales, la manœuvre de la Lily ne se comprend plus. Et si la manœuvre de la Lily avait été jugée utile par l'officier anglais, c est qu'il estimait que l'Onny se trouvait encore dans la zone protectrice. p. 641.

(2) De Lapradelle et Politis, op. cit.,

(") Questiones juris publici, I, ch. VIII.

tres s'il y était entraîné dans l'ardeur de la lutte, n'est plus soutenue de nos jours. Et cependant, dans cette hypothèse, toute préméditation est absente.

Nous en avons ainsi fini avec la question de combats et de captures en eaux neutres. Nous avons insisté sur le respect absolu de ces eaux. Mais, ici comme ailleurs, ce droit entraîne pour le neutre un devoir corrélatif. C'est ce devoir du neutre. que nous étudierons dans une troisième section.

SECTION III

séjour d'un NAVIRE BELLIGERANT A LA SUITE D'OPÉRATIONS DE GUERRE

Nous ne voulons traiter ici du séjour dans les eaux neutres qu'à un point de vue tout spécial, lorsqu'il est motivé soit par un combat, soit par une poursuite.

Pour nous, la libre pratique des eaux neutres doit être le principe ('), mais il y a des cas où le principe qui vient d'être énoncé reçoit des dérogations, lorsque son application tend à porter atteinte à cette neutralité pour laquelle il est institué. Nous voudrions montrer qu'il en est ainsi lorsque le séjour est la conséquence soit d'un combat, soit d'une pour

suite.

A. Séjour, conséquence d'un combat.

§ 12. a) Séjour dans un port. — Si respectable que soit la liberté du séjour, si désirable que soit le maintien de cette liberté dans le droit maritime, il faut convenir que son exercice peut conduire à des conséquences particulièrement choquantes. Prenons un exemple historique presque classique, celui du Bouvet, croiseur français, qui, à la suite d'un

(') V. infra, chap. VI, Du séjour.

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