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le cœur du roi de France comme dans le mien, quoique les circonstances aient causé une interruption temporaire dans les relations diplomatiques entre nos deux royaumes. Grâces à la divine Providence, qui me garda au milieu de tant de difficultés, et qui m'inspira et me protégea aussi bien que ma famille, grâces aux sentimens de religion, d'honneur et de fidélité toujours gravés dans le cœur de mon peuple chéri, je suis maintenant dans la situation heureuse de pouvoir renouer avec S. M. T. C. les relations intimes qui doivent toujours nous unir. Je reçois avec un extrême plaisir les ordres de Saint-Michel et du SaintEsprit que S. M. T. C. me confère, puisque je vois dans cette offre une nouvelle preuve d'une amitié que je désire spécialement consolider dans ce moment, où l'union cordiale et tutélaire des souverains est si opportunément établie pour prévenir la ruine des peuples et la désorganisation des états.

J'assure votre Exç. que votre auguste maître ne pouvait pas choisir, pour le représenter dans ma cour une personne qui me fût plus agréable qu'un serviteur aussi distingué que vous l'avez été par votre fidélité à la cause de votre souverain.

XXX.

Discours de l'ambassadeur d'Espagne, accrédité près le SaintSiége, adressé au conclave, au mois de mars 1829.

Excellentissimes et révérendissimes Seigneurs,

J'ai l'honneur de présenter à vos Ém. les lettres de créance d'ambassadeur extraordinaire du roi mon auguste souverain, auprès du sacré collége réuni en conclave, et la lettre par laquelle S. M. répond à la nouvelle de la perte inattendue du Saint-Père Léon XII, de pieuse mémoire. S. M., pour me donner cette nouvelle preuve de sa royale confiance, a eu égard moins encore à mon zèle pour son service, qu'au rare privilége que j'ai eu de résider près de trois souverains pontifes, comme ministre et comme ambassadeur, et au bonheur d'avoir pu adoucir la dure captivité de Pie VI, et de rendre quelques services politiques à Pie VII, pontifes, tous deux, d'honorée et d'immortelle mémoire. S. M. me charge de parler au sacré collége de la vive douleur qui pénétra son âme royale quand

elle reçut la funeste nouvelle de la mort du père commun des fidèles.

Mais la lettre de S. M. l'exprime avec plus de force et de dignité que je ne pourrais le faire. S. M., qui, si elle n'avait pas comme attribut de sa couronne le titre de roi catholique, l'aurait acquis par son zèle et ses vertus, vénérait le souverain pontife comme le chef visible de l'Église, et entretenait avec sa Sainteté une affectueuse correspondance de lettres dans laquelle elle trouvait la consolation et les conseils dont les souverains ont un si grand besoin à l'époque présente. Heureusement la nation magnanime confiée par la Providence au gouvernement de S. M. catholique est, comme elle l'a été dans tous les âges, ferme et invariable dans sa loyauté, et aussi prodigue de la vie pour maintenir intacte l'unique religion qu'elle professe, que pour défendre les droits de son roi, ou augmenter le riche trésor de gloire immortelle dont elle a hérité de ses ancêtres. Au milieu de son affliction S. M. C. tourne ses regards vers la capitale du monde chrétien, et voit, dans le grand sénat des princes de l'Église, le prompt remède de la calamité soufferte. Vos Éminences ne tarderont certainement pas à la réparer, en nommant un pontife qui joigne aux vertus du suprême pasteur les qualités d'un souverain, qui, dans le gouvernement de son état temporel, puisse servir de modèle aux autres souverains, et qui, facile à céder ce qu'il est possible de céder, oppose en même temps avec sa fermeté évangélique une digue insurmontable au torrent des mauvaises doctrines qui, sous le faux nom d'idées généreuses, sapent dans leurs fondemens les trônes de l'Europe, pour les précipiter avec les nations dans l'ignominie et le sang, où périt une autre partie du monde, heureuse tant qu'elle conserva pures la religion et la fidélité, qui sont un produit naturel du sol espagnol, et qui seules pourront sauver ces régions de l'abîme de révolutions continuelles.

XXXI.

Discours de M. de Châteaubriand, ambassadeur de France près le Saint-Siége, adressé au conclave, au mois de mars 1829.

Éminentissimes seigneurs,

La réponse de S. M. T. C. à la lettre que lui avait adressée le sacré collége, vous exprime, avec la noblesse qui appartient au fils aîné de l'Église, la douleur que Charles X a ressentie en apprenant la mort du père des fidèles, et la confiance qu'il repose dans le choix que la chrétienté attend de vous.

Le roi m'a fait l'honneur de me désigner à l'entière créance du sacré collége réuni en conclave: je viens une seconde fois, éminentissimes seigneurs, vous témoigner mes regrets pour la perte du pontife conciliateur qui voyait la véritable religion dans l'obéissance aux lois et dans la concorde évangélique; de ce souverain qui, pasteur et prince, gouvernait l'humble troupeau de Jésus-Christ du faîte des gloires diverses qui se rattachent au grand nom de l'Italie. Successeur futur de Léon XII, qui que vous soyez, vous m'écoutez sans doute dans ce moment; pontife à la fois présent et inconnu, vous allez bientôt vous asseoir dans la chaire de saint Pierre, à quelques pas du Capitole, sur les tombeaux de ces Romains de la république et de l'empire qui passèrent de l'idolâtrie des vertus à celle des vices, sur ces catacombes où reposent les ossemens, non entiers, d'une autre espèce de Romains; quelle parole pourrait s'élever à la majesté du sujet, pourrait s'ouvrir un passage à travers cet amas d'années qui ont étouffé tant de voix plus puissantes que la mienne? vous-même, illustre sénat de la chrétienté, pour soutenir le poids de ces innombrables souvenirs, pour regarder en face ces siècles rassemblés autour de vous sur les ruines de Rome, n'avez-vous pas besoin de vous appuyer à l'autel du sanctuaire comme moi au trône de saint Louis?

A Dieu ne plaise, éminentissimes seigneurs, que je vous entretienne ici de quelque intérêt particulier, que je vous fasse entendre le langage d'une étroite politique. Les choses sacrées veulent être envisagées aujourd'hui sous des rapports plus généraux et plus dignes.

Le christianisme, qui renouvela d'abord la face du monde, a vu depuis se transformer les sociétés auxquelles il avait donné la vie. Au moment même où je parle, le genre humain est arrivé à l'une des époques caractéristiques de son existence, la religion chrétienne est encore là pour le saisir, parce qu'elle garde dans son sein tout ce qui convient aux esprits éclairés et aux cœurs généreux, tout ce qui est nécessaire au monde, qu'elle a sauvé de la corruption du paganisme et de la destruction de la barbarie. En vain l'impiété a prétendu que le christianisme favorisait l'oppression, et faisait rétrograder les jours à la publication scellée du sang du juste; l'esclavage a cessé d'être le droit commun des nations; l'effroyable définition de l'esclave a été effacée du code romain :

« Non tam viles quam nulli sunt. »

Les sciences, demeurées presque stationnaires dans l'antiquité, ont reçu une impulsion rapide de cet esprit apostolique et rénovateur qui hâta l'écroulement du vieux monde : partout où le christianisme s'est éteint, la servitude et l'ignorance ont reparu. Lumière, quand elle se mêle aux facultés intellectuelles, sentiment, quand elle s'associe aux mouvemens de l'âme, la religion chrétienne croît avec la civilisation et marche avec le temps. Un des caractères de la perpétuité qui lui est promise, c'est d'être toujours du siècle qu'elle voit passer, sans passer elle-même. La morale évangélique, raison divine, appuie la raison humaine dans ses progrès vers un but qu'elle n'a point encore atteint. Après avoir traversé les âges de ténèbres et de force, le christianisme devient, chez les peuples modernes, le perfectionnement même de la société.

Éminentissimes seigneurs, vous choisirez pour exercer le pouvoir des clefs un homme de Dieu, et qui comprendra bien sa haute mission. Par un caractère universel, qui n'a jamais eu de modèle ou d'exemple dans l'histoire, un conclave n'est pas le conseil d'un état particulier, mais celui d'une nation composée des nations les plus diverses, et répandue sur la surface du globe.

Vous êtes, éminentissimes seigneurs, les augustes mandataires de l'immense famille chrétienne pour un moment orpheline. Des hommes qui ne vous ont jamais vus, qui ne vous verront

II.

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jamais, qui ne savent pas vos noms, qui ne parlent pas votre langue, qui habitent loin de vous sous un autre soleil, par-delà des mers, aux extrémités de la terre, se soumettront à vos décisions que rien en apparence ne les oblige à suivre, obéiront à votre loi qu'aucune force matérielle n'impose, accepteront de vous un père spirituel avec respect et gratitude. Tels sont les prodiges de la conviction religieuse.

Princes de l'Église, il vous suffira de laisser tomber yos suffrages sur l'un d'entre vous pour donner à la communion des fidèles un chef qui, puissant par la doctrine et l'autorité du passé, n'en connaisse pas moins les nouveaux besoins du présent et de l'avenir, un pontife d'une vie sainte, mêlant la douceur de la charité à la sincérité de la foi. Toutes les couronnes forment un même vou, ont un même besoin de modération et de paix. Que ne doit-on pas attendre de cette heureuse harmonie? Que ne peut-on pas espérer, éminentissimes seigneurs, de vos lumières et de vos vertus?

Il ne me reste qu'à vous renouveler l'expression de la sincère estime et de la parfaite affection du souverain aussi pieux que magnanime dont j'ai l'honneur d'être l'interprète auprès de

vous.

XXXII.

Discours du cardinal Castiglione (actuellement souverain Pontife), prononcé au nom du sacré- collége, en réponse au discours de M. de Châteaubriand.

Le sacré-collége était bien persuadé que la perte douloureuse de Léon XII serait extrêmement sensible au cœur du fils aîné de l'Église, de l'auguste Charles X, roi très-chrétien, tant à cause des excellentes vertus de ce pontife que de la tendre affection qu'il avait pour S. M. Mais si nous trouvons dans son amère douleur la preuve éclatante d'une âme souverainement religieuse, nous y trouvons aussi, pour notre consolation commune, une nouvelle assurance d'avoir toujours dans S. M. un soutien dans les besoins de l'Église, et un défenseur de cette foi qui, depuis les premiers siècles, a si fort brillé dans le florissant royaume de France; nous en avons pour gage l'empressement qu'elle met à la prompte et libre élection du chef suprême de l'Église, attestant admirablement par-là, que les intérêts de

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