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MACHINES A HUIT ROUES COUPLÉES.

LEUR PUISSANCE, LEUR STABILITÉ, LEURS EFFETS SUR LA VOIE.

Par M. E. FLACHAT.

Il a été publié dans les Annales des mines, tome XVI, page141, un mémoire sur la transformation des machines Engerth, à huit roues couplées.

Ce mémoire nous ayant paru contenir des erreurs de fait et de doctrine, nous les avons relevées dans une étude que nous avons publiée sur la traversée des Alpes par un chemin de fer. Une polémique s'est engagée (Annales des mines, tome XVI, page 580).

Nous expliquerons d'abord l'intérêt de cette discussion et le caractère que nous voudrions lui conserver.

Les ingénieurs sont d'accord de limiter entre dix et douze tonnes le poids à faire porter par les roues couplées des machines locomotives à marchandises.

Dans cette limite, les machines à six roues couplées ne peuvent fournir une puissance motrice suffisante pour l'économie et l'affluence des transports.

On a donc fait des machines à huit roues couplées. La surface de chauffe s'est ainsi élevée de 125 mètres quarrés à 196. Le poids servant à l'adhérence s'est élevé de 33 à 44 tonnes.

Cependant les courbes de la voie, particulièrement celles, très-nombreuses sur toutes les lignes sans exception, des changements de voies, dont le rayon varie entre 300 et 375 mètres, nécessitant une base étroite, en d'autres termes, une faible distance entre les essieux extrêmes, on a dû rassembler les huit roues couplées sous la partie cylindrique de la chaudière et placer le foyer en porte-à-faux.

Mais comme le poids d'un foyer de grandes dimensions suspendu à l'extrémité de la machine et celui des cylindres portés à l'autre extrémité ne peuvent s'équilibrer et que, dans tous les cas, la suspension sur ressorts et les inégalités de la voie,

auraient produit dans la marche un équilibre instable, l'ingénieur Engerth a eu l'heureuse idée d'appuyer l'extrémité de la machine, du côté du foyer, sous le tender. Il a résolu ainsi et très-heureusement l'une des graves difficultés pratiques qui s'opposaient à la construction des machines à grande surface de chauffe.

Quant aux services que peuvent rendre ces machines, il est inutile de dire qu'en France, où les chemins de fer sont destinés à transporter la majeure partie des produits agricoles, et une très-forte part des matières qui alimentent ailleurs la navigation des canaux et des rivières, il importe de faire remorquer aux machines de petite vitesse, les plus grandes masses, autant que cela est compatible avec le matériel de la voie. Outre qu'il en résulte une grande économie, on y gagne aussi de diminuer le nombre des trains, et d'éviter l'encombrement et les obstacles devant les trains rapides dont le nombre augmente tous les jours.

Il est peut-être utile de faire observer que la construction du troisième réseau devant se faire dans des conditions d'é. conomie qui ne permettront sans doute pas de sacrifier aux accidents du sol, autant qu'on l'a fait jusqu'à ce jour, il importe de tirer de la machine locomotive tout l'effort dont elle peut être susceptible pour franchir de fortes inclinaisons.

Les compagnies du Nord, de l'Est et du Midi, ont adopté la machine Engerth à quatre, six et huit roues couplées. Celle de Lyon à la Méditerranée on a récemment adopté un type à huit roues couplées qui fonctionne sur le chemin d'Alais à Nîmes (1).

Nous l'avons dit: l'une des difficultés capitales de la construction des machines à marchandises est de porter un foyer de dimensions suffisantes entre deux essieux accouplés. Les combustibles à flammes, ou collants, comme la houille, exigent de grandes surfaces de grilles et des chambres de combustion élevées. On a bien tenté de placer une roue sous le foyer même, mais cette disposition a des inconvénients.

(1) Ces machines, construites dans les ateliers de M. André Koechlin à Mulhouse, sous la direction de M. Beugnot, méritent, par les dispositions qui les adaptent au parcours des courbes d'un faible rayon, une mention particulière.

Une autre difficulté est dans la somme d'adhérence à tirer de la machine.

Si, en marche, à la vitesse normale, l'adhérence qui est engendrée par le poids porté par les huit roues couplées, est plus que suffisante, elle est loin de l'être au démarrage; et il est bien reconnu que s'il existait un moyen d'accouplement convenable, franchissant l'espace occupé par le foyer, cela rendrait faciles de notables perfectionnements à cette machine tels que l'accroissement de dimension des cylindres et l'élévation de la pression dans la chaudière, conditions essentielles à la bonne utilisation de la vapeur.

Sur ce point important de l'accouplement des roues d'arrière, Engerth a échoué, mais cet échec n'a nullement affaibli les avantages qui résultent de l'appui que la machine trouve sur l'essieu d'avant du tender, ce qui a permis de reporter les quatre essieux sous la partie cylindrique, en les rapprochant pour rendre le passage de la machine, dans les courbes, plus facile. Il est resté une machine de 200 mètres de surface de chauffe et de 40 à 44 tonnes servant à l'adhérence, stable et flexible.

Il est intéressant d'étudier la marche que suivent les efforts des constructeurs pour accroître la puissance des machines. A celles qui sont destinées aux services de grandes vitesses, des ingénieurs anglais, dont l'expérience n'est pas douteuse, élèvent la pression dans la chaudière jusqu'à onze atmosphères, portent à quatorze tonnes le poids sur les roues motrices placées entre des roues de support, augmentent fortement la dimension des cylindres de manière à accroître la puissance de démarrage au départ et à mieux utiliser, en marche, la détente de la vapeur sans rien perdre de l'intensité de l'échappement.

Pour les machines destinées aux services de petite vitesse, les ingénieurs français, belges et allemands, recherchent les grands foyers, les tubes longs et nombreux pour la production rapide, abondante et économique de la vapeur, l'accouplement de toutes les roues du moteur pour obtenir au démarrage le maximum d'adhérence, et les moyens de donner à l'ensemble une flexibilité suffisante pour franchir facilement des courbes de faible rayon sans inconvénient pour l'accouplement.

La compagnie du Nord et celle de Lyon ont fait faire des progrès importants dans cette voie, et à côté de ces progrès on voit surgir des combinaisons fort ingénieuses, dont les au

teurs MM. Beugnot, Larpent, Gouin et Edmond Roy, semblent s'être donnés le mot pour résoudre par des dispositions diverses les difficultés relatives à l'accouplement des roues et à la flexibilité de la machine, sans diminuer sa stabilité.

La discussion et l'étude ont donc un but dont le grave intérêt est manifeste. Sans cet intérêt, nous n'aurions pas discuté les faits et les vues qui nous semblaient contraires à la marche normale du progrès, et nous nous serions d'autant moins engagé de nouveau dans cette polémique que le caractère qu'elle emprunte au style du savant auquel nous répondons n'y encourage pas.

Toute discussion scientifique cesse d'être utile, elle devient même nuisible quand elle prend un reflet personnel; à plus forte raison, quand elle en est exclusivement empreinte. Nous nous en abstiendrons avec soin. C'est pour nous-même que nous répudions cette forme.

Attachons-nous aux doctrines qu'on nous oppose :

« La machine Engerth à huit roues couplées, telle qu'elle a été appliquée sur les chemins de fer de l'Est et du Nord, ne soutient pas l'examen (p. 147).

<< En admettant que ces colossales machines fassent ressortir, en définitive, une certaine économie sur les frais de traction, quand les conditions du trafic permettent de les faire marcher presque toujours à charge complète, il est constant que l'action de huit roues couplées solidaires, dont les diamètres ne sont jamais tous rigoureusement égaux, et procédant dès lors par glissements continuels, sous des charges très-considérables, est pour la voie une cause incessante de dégradation (1).

« Les ingénieurs du matériel se préoccupent peu de cette considération; mais sur un chemin bien administré, elle devrait entrer en première ligne. On ne doit regretter qu'à demi la cherté des bandages de qualité supérieure. Les bandages médiocres sont aujourd'hui la seule sauvegarde des rails. C'est

(1)« Des expériences très-intéressantes, faites par M. Deloy au chemin de fer de Lyon sur la consommation des machines sans charge, ont mis en évidence l'influence très-aggravante de l'accouplement sur la résistance au mouvement. Cet excès de résistance provient évidemment, en grande partie, des glissements dus à l'égalité des vitesses angulaires avec des diamètres différents.» (Page 150).

seulement lorsqu'ils s'usent et s'écrasent que le service du matériel reconnaît la nécessité de limiter la charge des roues (1).

« Mais le mal peut être bien grand pour la voie avant d'être sensible pour les bandages; d'un côté, parce que ceux-ci sont en meilleur fer; de l'autre, parce que la partie n'est pas égale entre eux et les rails, placés dans des conditions de travail moléculaire bien plus défavorables. Quant au service de la voie, il accepte la position qu'il lui est faite, et cherche à lutter par l'amélioration de la qualité des rails, par l'augmentation de leur poids; les administrateurs, auxquels on présente un prix de revient de traction satisfaisant, n'en demandent pas davantage et se résignent aux charges de l'entretien de la voie comme a un mal nécessaire (P. 150 et 151). »

L'auteur déclare en conséquence qu'il faut renoncer à ce type, et quant aux machines existantes, les rendre indépendantes du tender en les équilibrant par un lest.

Nous avons conclu de ces observations que l'accouplement de quatre essieux était nuisible, coûteux; que sans l'emploi de bandages médiocres, le dommage causé à la voie aurait été plus considérable; qu'enfin un lest placé à l'une des extrémités de la machine permettrait de l'isoler du tender et améliorerait sa stabilité.

Ce sont ces conclusions qui sont expressément formulées dans le mémoire que nous avons discuté: qui sont reproduites dans l'article de polémique, et dont nous espérons démontrer de nouveau l'erreur.

De ce que l'essieu d'avant du tender n'est chargé par la machine, à l'état de repos, que de 1.120 kilog., soit 1/37 du poids de la machine, on conclut que cet appui est inutile, mais on convient qu'en laissant l'arrière de la machine hors d'appui, il faut placer à l'avant un poids de 4.470 kilog. Je pourrais m'arrêter là, car cela suffit à démontrer que l'appui de 1.120 kilog. au repos n'est pas insignifiant puisqu'il représente, en marche, un poids quatre fois plus fort au point de

(1)« C'est ainsi qu'une paire de galets a été intercalée après coup entre le premier et le deuxième essieu des machines à six roues couplées, livrées au chemin du Nord par le Creuzot, et au Nord-Belge par l'usine de Seraing. Avant cette modification, imposée par l'écrasement des bandages, les essieux des roues antérieures portaient 14 tonnes. La charge de la paire de galets est de 3 à 4 tonnes. »

Stabilité

de la machine.

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