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de l'Ecluse, le Pays-de-Gex et le fort de Joux. La possession du bassin du Léman et de celui de l'Arve avec celle des hauteurs qui les couronnaient avait été plus ou moins considérée comme une conséquence de la réunion du Vallais, de Genève et de Neuchâtel; cette perspective pesa d'un grand poids lorsque la question se posa pour la Diète de savoir si elle accepterait au sein de la Confédération ces trois nouveaux Etats. La république de Genève, sans la contrée qui l'entourait, n'était point une force pour la Suisse, et les mœurs turbulentes de ses citoyens étaient une cause de souci pour les autorités fédérales; la principauté de Neuchâtel, en sa qualité de pays monarchique, devait être une source d'embarras pour une confédération de républiques. La Diète fut déçue dans son attente touchant les frontières occidentales de la Suisse. Il devait en être de même au sujet de la Valteline. L'Autriche argua du fait que la frontière suisse restait ouverte à la France pour ne pas se dessaisir de sa conquête.

Ces considérations nous ont amené à anticiper un peu sur les événements; avant de retracer la suite des délibérations de la Diète, nous devons cependant mentionner encore l'envoi d'une députation fédérale à Paris, pour féliciter le roi Louis XVIII et lui présenter les hominages de la Diète. L'ambassade fut composée de l'avoyer de Mälinen, d'Aloys Reding et de Monod. Le choix de ce dernier témoigne du crédit dont jouissaient à ce moment les nouveaux cantons, crédit qu'ils n'auraient pas eu quelques semaines plus tard.

L'accueil de Louis XVIII fut on ne peut plus gra

cieux; il déclara aux ambassadeurs de la Diète qu'il n'oublierait pas plus l'heureux dévouement des Suisses dans les plaines de Meaux que leurs douloureux sacrifices sur les marches des Tuileries. Nos ambassadeurs furent aussi présentés à Madame la duchesse d'Angoulême, au duc et à son frère, le duc de Berry; partout ils furent reçus avec une grande bonté; mais ils ne virent pas Monsieur (le comte d'Artois), qui était indisposé. Le bruit courait que sa faveur auprès du Roi avait baissé, parce que son système, qui se développa plus tard, avait été rejeté. Le prince de Bénévent (Talleyrand), ministre des affaires étrangères, eut l'air de se rappeler très bien l'avoyer de Mülinen et à peu près pas le Landammann Monod, qu'il avait vu cependant dans différentes missions. « Ce qui, » dit ce dernier, m'eût fait connaitre l'air du bureau, » quand je ne l'aurais pas connu d'ailleurs, mais ce » qui m'apprit qu'il fallait qu'il fût bien prononcé, » puisque un homme aussi fin se montrait à décou» vert. » La mission se borna, du reste, à des compliments, et se trouva terminée par ces diverses visites.

Le roi de France répondit à la lettre de la Diète par une lettre flatteuse et confirma dans son poste le comte Auguste de Talleyrand, dernier ministre de Napoléon auprès de la Confédération.

Les ambassadeurs suisses allèrent également présenter leurs hommages chez les Souverains alliés. Ils ne purent être reçus par le roi de Prusse, qui était au moment de partir. L'audience de l'empereur d'Autriche fut assez insignifiante. L'empereur Alexandre, par contre, réitéra aux représentants de la Confédération l'assurance que l'Argovie ne serait pas réunie à

Berne. De Mülinen crut devoir prendre la parole pour défendre les droits de son canton, mais le czar lui répondit d'une manière péremptoire '.

1 La sortie un peu brusque d'Alexandre, qui n'avait point été provoquée par l'attitude de la députation suisse, trouva son explication dans le fait que Capo d'Istria était arrivé à Paris porteur d'un nouveau plan relatif à l'Argovie, qui remettait tout en question. Les villes d'Aarau et d'Arbourg auraient été transformées en villes fédérales, la première serait devenue le siège de la Diète, la seconde aurait été l'arsenal de la Confédération. La partie de l'Argovie qui appartenait jadis à Berne lui aurait été restituée, à l'exception de ces deux villes. Le reste de l'Argovie, c'est-à-dire les bailliages libres, le Frickthal avec Bade et Muri, aurait formé un petit canton sans consistance et entièrement catholique. En informant Monod de ce projet, Capo d'Istria lui dit qu'il était la condition que l'Autriche mettait à la cession du Frickthal. On voit par là que les Bernois n'avaient point encore renoncé à leurs prétentions territoriales et qu'ils avaient conservé des appuis en haut lieu. Peu de temps auparavant, Monod, étant à Zurich, avait reçu par deux voies différentes des ouvertures par lesquelles les Bernois se montraient prêts à renoncer à leurs prétentions sur le canton de Vaud, si celui-ci consentait à séparer son sort de celui de l'Argovie. Accepter une pareille offre eût été manquer à l'honneur; elle fut repoussée comme elle le méritait. Monod devait profiter de son séjour à Paris pour déjouer cette nouvelle intrigue. Il lui répugnait, étant envoyé de la Diète, de se constituer le défenseur de l'Argovie et de jouer le rôle de solliciteur, et cela d'autant plus que Alexandre lui avait donné précédemment l'assurance que le canton d'Argovie conserverait son autonomie. Il préféra donc s'adresser à de Laharpe et le pria d'exposer au czar la situation et de lui rappeler ses engagements antérieurs. Les paroles prononcées par l'empereur de Russie lors de son audience aux députés étaient une réponse à la démarche dont de Laharpe s'était chargé. (Voir Monod, Mémoires.)

Second projet de Pacte. Mémoire de Capo d'Istria. Questions confessionnelles. Appréciation sur la situation par les ministres étrangers. Proclamation de la Diète. Ajournement. Première paix de Paris. Changements dans le personnel diplomaAttitude de Rejet du projet de Pacte.

tique. Berne.

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Le 10 mai, la Commission diplomatique présenta à la Diète un nouveau projet de Pacte. Les bases essentielles n'en avaient pas été sensiblement modifiées, mais il était plus long (43 articles) et offrait, plus encore que le précédent, prise à des discussions. Les ministres étrangers avaient officieusement contribué à son élaboration en envoyant un mémoire rédigé par Capo d'Istria (21 avril). On sentait si peu ce qu'il y avait d'anormal dans cette immixtion, que le canton de Fribourg proposait que les vues des ministres fussent mentionnées dans les pièces officielles à côté des préavis formulés par la Commission diplomatique. La Diète comprit cependant l'inconvenance de cette proposition et décida de conserver aux actes émanant des ministres leur caractère confidentiel. On a souvent reproché au Pacte de 1815 d'être l'œuvre de l'étranger; il importe cependant de relever que si les Puissances intervinrent dans les négociations dont il est sorti, du moins les formes furent sauvegardées, en ce sens que l'on ne voit pas figurer dans l'acte luimême des signatures étrangères comme ce fut le cas pour l'Acte de médiation.

Capo d'Istria insistait, dans son mémoire, sur la nécessité de resserrer le lien national. « Vouloir pour de petits intérêts ou

pour des intérêts du moment, disait-il, ce n'est pas vouloir en nation.» Mais il ne pensait pas que cette force pût être donnée à la Suisse par la création d'un pouvoir central pareil à celui qui existait aux Etats-Unis, confédération dont les circonstances intérieures et extérieures n'ont rien de commun avec celles de nos cantons. (On sait que c'est la constitution des Etats-Unis qui a, à plus d'un égard, servi de modèle à la Constitution fédérale de 1848.)

Les pouvoirs de la Diète, suivant Capo d'Istria, devaient avoir en vue trois objets bien déterminés :

1o La tranquillité intérieure de l'Etat;

20 Sa défense et le maintien rigoureux de sa neutralité; 30 Ses relations avec les puissances européennes.

Partant de là, il conseillait à la Suisse d'adopter une organisation militaire qui lui permit de mettre sur pied une armée de 50 mille hommes, de la placer sous la direction d'un conseil de guerre permanent et de faire ensorte d'avoir à sa disposition des fonds de guerre constamment disponibles.

Une fois la paix générale et l'équilibre politique rétabli en Europe, « la Suisse, disait le diplomate russe, fera de son inertie sa principale défense et la sauvegarde de sa liberté. » Dans ces circonstances, l'ancienne institution d'un canton directeur, Vorvrt, est celle qui lui est le plus avantageuse.

Mais dans le cas où une guerre éclaterait en Europe et où la Confédération pourrait craindre de s'y voir impliquée, il conviendrait que la Diête, qui ne peut, sans inconvénients, siéger en permanence, conféràt des pouvoirs spéciaux, pour un temps déterminé, à un conseil restreint. Ce Conseil fédéral serait composé de cinq membres, deux appartenant aux anciens cantons aristocratiques, deux aux anciens cantons démocratiques et un aux nouveaux cantons et désignés par ceux-ci. L'organisation de ce conseil temporaire, de sa chancellerie et les formes de sa correspondance diplomatique, devraient être prévues par le pacte.

Capo d'Istria estimait qu'il y avait lieu d'établir immédiatement ce Conseil fédéral, en le faisant nommer exceptionnellement par la Diète, et de lui donner pour mission de proposer des solutions aux questions encore pendantes touchant le régime intérieur des cantons et de terminer les différends qui pouvaient avoir une influence sur l'état politique de la nation.

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