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pays de Gex; enfin solliciter la cession de la ville de Constance. Remarquons qu'au début de ces négociations il n'était point question de la neutralité de la Savoie, qui ne surgit que plus tard.

Indépendamment de la députation fédérale, certains cantons s'étaient fait représenter à Vienne :

Argovie avait envoyé l'ancien ministre helvétique Rengger; Vaud, le général F.-C. de Laharpe; Tessin et St-Gall avaient confié leur cause à Laharpe et à Rengger; ce dernier était chargé de représenter aussi les intérêts de Thurgovie. D'autre part, l'abbé Pancrace était venu en personne pour faire valoir ses droits sur St-Gall; Berne avait délégué le conseiller Zeerleder

pour soutenir ses prétentions; Uri et Zoug avaient confié leur cause également à Zeerleder. Les Grisons avaient envoyé de Salis-Sils et Daniel de Salis, et plus tard Albertini et Toggenbourg; Genève avait deux députés Pictet de Rochemont et d'Ivernois, qu'Eynard accompagnait en qualité de secrétaire. L'évêché de Bâle, qui aurait voulu être constitué en canton distinct, s'était fait représenter à Vienne par Bilieux et Déléfils. La Valteline avait deux délégués chargés de réclamer sa réunion à la Suisse, et deux autres délégués, le comte Guicciardi et G. Stampa, qui avaient pour mission de solliciter le protectorat de la Suisse. La ville de Bienne avait un député, Heilmann. Les intérêts du St-Siège étaient confiés au nonce Severoli. Enfin, pour clore cette énumération, ajoutons que des Bernois, anciens propriétaires de lods dans le canton de Vaud, se présentaient pour demander des indem

nités.

Ce grand nombre d'envoyés spéciaux, porteurs de mandats contradictoires, fut naturellement une entrave

pour la députation fédérale, et celle-ci, composée d'éléments hétérogènes, manquait d'esprit d'entente.

Le même désarroi régnait à Vienne même. Les huit Puissances, signataires de la paix préliminaire de Paris (Angleterre, Autriche, Russie, France, Prusse, Suède, Espagne et Portugal), ayant pris l'initiative du Congrès, en avaient conservé la direction suprême, tandis que, sur le fond même des choses, les résolutions devaient faire l'objet de traités généraux ou particuliers, résultant d'un libre accord entre les parties intéressées. La constitution de l'Allemagne, les questions de Saxe, de Pologne, des Pays-Bas et d'Italie, présentaient de grandes difficultés. Des points de vue très différents se firent jour. Des partis se formèrent, la Russie et la Prusse voulaient s'approprier la Pologne et la Saxe; l'Angleterre et l'Autriche, qui redoutaient de pareils accroissements, s'y opposèrent et finirent par se liguer avec la France. Talleyrand n'aimait pas Metternich, mais il sut habilement profiter de ces divergences d'intérêts pour rendre à la France une partie de l'importance que ses récents échecs lui avaient fait perdre. L'Angleterre, qui à cette époque possédait encore le Hanovre, était surtout préoccupée de se ménager, par la création du royaume des PaysBas, un allié utile au point de vue commercial et politique. L'annexion de la province du Rhin à la Prusse devait fortifier la situation de ce nouvel Etat, qui accroîtrait l'influence de l'antique maison d'Orange. L'Autriche ne pouvait que voir ce projet d'un bon œil,

Le projet d'Alexandre était de reconstituer l'ancienne Pologne, dont il eût été personnellement le souverain.

et en le favorisant se réservait l'appui de lord Castlereagh pour l'extension de territoire qu'elle convoitait en Italie.

Il y eut entre le czar et Metternich une scène d'une grande violence qui rappelle l'entrevue que le ministre autrichien avait eue à Dresde avec Napoléon. Thiers', en la racontant, donne le beau rôle à Metternich, sans songer que l'astuce dont ce ministre avait fait preuve dans de précédentes occasions ait pu contribuer à l'irritation de l'empereur Alexandre.

Peu s'en fallut que les Puissances n'en vinssent aux mains. Le retour de l'ile d'Elbe vint à point pour les mettre d'accord. La Suisse, dont le sort « intéressait l'Europe entière au plus haut degré », devait subir le contrecoup de ces discordes. Les promesses qui lui avaient été faites touchant sa frontière militaire ne furent pas tenues. L'Autriche et la France réussirent à conserver, l'une la Valteline, l'autre les positions maitresses du Jura. La Suisse n'avait rien à offrir en échange de ce qu'elle demandait timidement, et elle avait eu le tort, si cela en est un, de ne pas s'emparer en temps utile des frontières nécessaires à sa défense, ainsi qu'elle y avait été invitée. Dans les négociations diplomatiques, il est rare que l'on cède à une puissance quelconque un territoire qu'elle n'a pas au préalable occupé militairement. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner de son échec sur ce point.

Au moment où les députés suisses arrivèrent à Vienne, cette ville était en fête. Avant de se consacrer à l'œuvre de réorganisation, à laquelle ils

1

Thiers, Histoire du Consulat et de l'Empire, t. X,

p. 436.

avaient été conviés, les monarques et les diplomates se livraient à de nombreuses réjouissances. « Le Congrès ne marche pas, mais il danse, disait le maréchal de Ligne... Le tissu de la politique est tout brodé de fêtes..... C'est une cohue royale; mais enfin, chose qu'on voit ici pour la première fois, le plaisir va conquérir la paix.... Ce Congrès, où les intrigues de tout genre se cachent sous les fêtes, ne ressemble-t-il pas à la Folle journée ? C'est un imbroglio où les Almavivas et les Figaros abondent. Quant aux Basiles, on en trouve partout. Plaise à Dieu qu'on ne dise pas plus tard avec le gai barbier: Mais enfin, qui trompe-t-on ici? »

Metternich proteste vivement, dans ses mémoires, contre les épigrammes du vieux prince de Ligne, qui ne manquaient pas cependant de fondement.

Dans le courant d'octobre, une commission pour les affaires de Suisse fut instituée, elle se composait de Stein, pour la Russie; de Humbolt, pour la Prusse ; de lord Stewart (frère de lord Castlereagh), pour l'An

1 Revue des Deux-Mondes du 1er avril 1889. Le prince de Ligne, par M. du Bled.

Le passage suivant, emprunté au Journal du conseiller Friederich de Gentz, le secrétaire général du Congrès, donne une idée de l'esprit qui régnait à Vienne à la fin de l'année 1814, et des moyens dont il fallait disposer pour réussir :

«La fin de cette année, dit-il, a été brillante. Depuis mon séjour à Baden, je me portais à merveille. Ma considération dans le monde, si elle ne s'est pas accrue, a au moins reçu de nouveaux reliefs par le Congrès et la présence de tant d'étrangers illustres. J'ai eu dans les deux derniers mois, outre les sommes que j'ai reçues par mes rapports avec Boncourt, des bénéfices extraordinaires de 48,000 florins. La totalité de ma recette dans l'année 1814 s'est élevée à 17,000 ducats au moins. Par conséquent, toutes les parties de mon économie ont été

gleterre, et de Wessenberg, pour l'Autriche. Capo d'Istria avait refusé d'en faire partie, estimant pouvoir être plus utile à la Suisse en demeurant en dehors de cette commission. «La France, dit Thiers, avait été d'abord exclue de cette négociation épineuse, parce que l'on désirait annuler son influence en Suisse autant qu'en Allemagne et en Italie. Mais les cantons aristocratiques, où subsistait le plus d'attachement pour la France des Bourbons, avaient demandé très positivement qu'un plénipotentiaire français fit partie du comité chargé des affaires helvétiques, et il avait été impossible de le leur refuser. » Le duc de Dalberg, le neveu de l'évêque de Constance dont nous aurons à parler plus tard, fut désigné pour représenter la nation française dans ce comité.

« Cette intervention de la France, dit Thiers', eut des effets excellents. Lorsque les cantons les plus prononcés pour le retour à l'ancien régime avaient vu que MM. de Talleyrand et de Dalberg, quoique zélés pour eux, n'osaient soutenir qu'il fallait faire redescendre les pays de Vaud, d'Argovie et du Tessin à

florissantes; j'ai payé beaucoup de dettes, j'ai complété et embelli mon établissement et j'ai pu faire beaucoup de bien à mes gens.

› L'aspect des affaires publiques est lugubre; mais il ne l'est pas comme autrefois, par le poids imposant et écrasant suspendu sur nos têtes, mais par la médiocrité et l'ineptie de presque tous les acteurs; or, comme je n'ai rien à me reprocher, la connaissance intime de cette pitoyable marche et de tous ces êtres mesquins qui gouvernent le monde, loin de m'affliger, me sert d'amusement, et je jouis de ce spectacle comme si on le donnait exprès pour mes menus plaisirs.

L'année 1815 commence sous d'assez bons auspices pour moi; quant à la chose publique, je vois qu'il est inutile de croire qu'elle remplira jamais les vaines espérances dont se bercent les enthousiastes et auxquelles j'ai renoncé pour toujours. »

(Cité par Hilty, P. J., 1887, p. 289.) . ' Hist. du Consulat et de l'Empire, X, 442.

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