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cour de Turin', à un moment où la Convention nationale venait de discuter l'annexion de la Savoie à la république française.

Ces deux combinaisons séduisirent les députés de Genève, Pictet et d'Ivernois, qui forcés, en présence de l'apathie de la députation fédérale et de l'opposition du cabinet de Turin, de renoncer à l'acquisition du Chablais et du Faucigny, estimèrent qu'ils devaient tout au moins chercher à obtenir la neutralisation de ces contrées et le droit pour la Suisse de les occuper militairement en cas de guerre.

Dès lors, tous leurs efforts tendirent vers ce but; ils remirent une note dans ce sens à la députation fédérale et réussirent à faire tomber ses scrupules, quoiqu'elle eût au premier abord accueilli assez froidement ce projet. L'appui de la Russie et de la Prusse leur était acquis à l'avance; Capo d'Istria fit comprendre à Metternich l'intérêt que l'Autriche avait à favoriser un projet qui fermait à la France une des principales portes de l'Italie; Pictet et d'Ivernois surent trouver aussi des auxiliaires dans l'archiduc Charles et le maréchal de Wrède, qui promirent d'intéresser à leurs plans le duc de Wellington. Celui-ci fit bon accueil aux représentants de Genève, mais il déclara qu'il serait difficile d'obtenir simultanément une cession territoriale en faveur de Genève et la neutralité de la Savoie, et comme il leur demandait à laquelle des deux solutions ils donnaient la préférence, ils se prononcèrent pour la neutralité. «La demande comme la » réponse, observe M. de Charrière, prouve que l'on » considérait la neutralité savoisienne, non comme

1 V. Gisi, p. 49.

» une charge, mais comme un bienfait pour la Suisse, » et qu'il n'était point alors question d'une obligation imposée en cas de guerre à cette dernière. »

« Je

» puis vous dire, écrivait Pictet, que les trois héros Wellington, Wrède et l'archiduc Charles ont, je ne » dis pas approuvé, mais happé cette idée comme mi> litairement excellente. » Enfin, l'archiduc Jean donnait aussi son adhésion aux plans de Pictet en l'assurant que, les intérêts de l'Autriche étant absolument liés à ceux de la Suisse, il ferait tout ce qui serait utile à la cause de celle-ci en ce qui concernait le Chablais et le Faucigny. Cette assertion montre que la neutralisation de la Savoie était envisagée en haut lieu comme présentant un intérêt européen 2.

Pour intéresser davantage St-Marsan à son projet, et pour obtenir de lui la promesse de céder à Genève une partie de l'arrondissement de Carouge, Pictet et d'Ivernois avaient proposé au commencement de février :

1o D'accorder, en cas de guerre, à la Sardaigne le droit de faire retirer par le Vallais les troupes sardes qui se trouveraient dans les provinces neutralisées.

20 Que, vu la situation écartée du Chablais et du Faucigny, qui rendait leurs communications avec Turin difficiles pendant une grande partie de l'année, la Suisse s'engageàt à garantir an roi de Sardaigne le maintien de l'ordre dans ces deux provinces.

1 Correspondance de Pictet, lettre du 23 février 1815.

• Correspondance de Pictet, lettres des 14 et 20 février 1815.

3 Le Chablais et le Faucigny ne communiquaient alors avec le reste des Etats sardes que par des sentiers de montagne, vu que les provinces de Chambéry et d'Annecy appartenaient encore à la France.

Le 26 février, Pictet rédigea un projet de traité, qui fut soumis le lendemain à une commission composée de St-Marsan, Wessemberg, Clancarty et Capo d'Istria. Cette commission travaillait à l'insu de Talleyrand, dont l'intervention était redoutée. Dans les pourparlers, St-Marsan commença par se refuser à une cession territoriale en faveur de Genève, estimant que la neutralisation de la Savoie, bien qu'avantageuse pour la Sardaigne, constituait pour la Suisse un avantage suffisant pour ne pas motiver de la part du roi VictorEmmanuel d'autres sacrifices'. Il se ravisa cependant et finit par céder le territoire situé entre l'Arve et la frontière française, le long des monts du Vuache et du Salève.

Ce point devait être relevé, car il montre que si la cession des communes de l'arrondissement de Carouge. était en corrélation avec la neutralisation de la Savoie, elle n'en était pas la contre-partie, comme l'ont prétendu depuis les diplomates français.

Après quelques modifications, le projet de Pictet fut signé le 4 mars par les plénipotentiaires de l'Autriche, de la Russie, de la Grande-Bretagne et de la Prusse, et le même jour le comte de Sales partait pour Turin pour le soumettre à la ratification du roi de Sardaigne. Celle-ci ne parvint à Vienne qu'après le 20 mars; et, le 29 mars, la cession des communes de l'arrondissement de Carouge, d'une part, et la neutralisation de la Savoie, de l'autre, étaient insérées au protocole du Congrès dans deux actes distincts portant la même date, ainsi que nous l'avons vu plus haut. Ces conventions ne devaient pas déployer immédiatement leurs

1 Voir Correspondance de Pictet, lettre du 28 février 1815.

effets et donnèrent lieu encore à d'ultérieures négociations; mais le principe de la neutralisation de la Savoie était posé.

La guerre qui recommençait au mois de mars entre Napoléon et l'Europe fit sentir au roi de Piémont les avantages des arrangements conclus touchant la HauteSavoie et la nécessité de se concilier la bonne volonté des Hautes Puissances par de nouvelles concessions, sur lesquelles nous aurons à revenir dans un chapitre subséquent.

Note des Puissances relative à la déclaration du 20 mars. Circulaire de la Diète aux cantons. Mobilisation de l'armée fédérale. La Suisse s'interdit toute relation avec Napoléon. Convention du 20 mai avec les Puissances alliées.

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Le 31 mars 1815, les ministres d'Angleterre, de Russie, d'Autriche et de France', accrédités près de la Diète, remettaient à son président la déclaration de Vienne du 20 mars 1815, en l'accompagnant d'une note ainsi conçue :

« La déclaration que les soussignés ont l'honneur de remettre à son excellence Monsieur le président et à la Diète leur est déjà connue par une communication qui a été faite à la légation suisse au Congrès le 20 mars 1815.

» La grande difficulté de concilier les intérêts des différents cantons et d'asseoir par conséquent les déterminations des Puissances signataires du traité de Paris sur des bases justes et solides a seule retardé l'accomplissement de leurs vœux bienveillants. S'il a été impossible de satisfaire entièrement tous les

Les ministres d'Autriche et de France avaient reçu des pouvoirs des cours de Portugal et d'Espagne.

partis, les Puissances ont par devers elle ce témoignage d'avoir adopté les bases qui conviennent le mieux à la situation actuelle de la Suisse et qui sont le plus propres à consolider son existence politique et sa tranquillité intérieure.

» Attachant le plus haut intérêt à ce que l'une et l'autre soient désormais à l'abri de toute atteinte, et résolues à concourir de tous leurs moyens pour assurer ce but, elles n'ont d'autre désir que de voir acceptées et exécutées les diverses stipulations contenues dans leurs déclarations avec cette loyauté et cet accord parfait qui, faisant l'essence et la force de la Confédération, doivent aujourd'hui l'animer plus que jamais. Il importe surtout que la conclusion en soit accélérée et qu'on adopte à cet effet les formes les plus expéditives que la constitution de chaque canton pourra admettre.

» L'énergie et l'harmonie vraiment dignes du nom suisse qui ont distingué la conduite de la Confédération dans ces derniers jours, ne permettent pas de douter que tous les cantons ne s'empressent dès à présent de contribuer à cet objet essentiel, comme le moyen le plus efficace de garantir leur union, en leur donnant une assiette et une force proportionnées à la crise actuelle.

» Les soussignés, ayant les ordres les plus précis de leurs Augustes Maîtres de n'omettre rien de tout ce qui peut håter la consommation de cette œuvre, la plus intéressante assurément dont la Suisse se soit jamais occupée, seront toujours prêts à s'employer de la manière la plus avantageuse à la Confédération pour donner suite aux dispositions de la déclaration et pour remplir les engagements contractés par les Puissances.

» Ils saisissent, etc. »

Le 3 avril, la Diète communiquait aux cantons la déclaration du Congrès de Vienne et accompagnait son envoi d'une circulaire, où nous remarquons les passages suivants :

« Nous nous trouvons à l'une de ces époques mémorables, qui portent en elles le germe de siècles entiers, qui décident du salut ou de la ruine des peuples. Et jamais nous ne vimes notre avenir lié d'une manière aussi immédiate au moment présent.

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