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voyarde fut reportée au pied du Salève, et par contre, grace à la réunion de Chêne et de son territoire au canton de Genève, le mandement de Jussy fut désenclavé. Le gouvernement genevois s'engagea à contribuer par une somme de 100,000 livres de Piémont aux frais nécessités par le déplacement de la ligne douanière. Le traité de Turin contenait, en outre, une série de dispositions relatives à l'exercice de la religion catholique et aux droits civils des ressortissants sardes et genevois dans les territoires cédés ou échangés.

La remise de la partie du pays de Gex cédée à la Confédération donna lieu à un procès-verbal qui fut signé le 4 juillet 1816. L'échange des territoires entre Genève et la Sardaigne se fit le 23 octobre 1816 et le 25 juillet 1817 la Diète accorda à ces territoires la garantie fédérale conformément à l'art. Ier du Pacte.

Le traité de Turin reproduisit les clauses du protocole du Congrès de Vienne du 29 mars, ainsi que celles du traité de Paris du 20 novembre 1815 relatives à la neutralité de la Haute-Savoie. L'interprétation de ces clauses donna lieu à une divergence de vue entre le Vorort et le cabinet de Turin. Ce dernier estimait que les traités de Vienne imposaient à la Suisse l'obligation d'occuper, en cas de guerre, la Savoie. Le Directoire répondit « que la Diète avait accepté inté» gralement les stipulations du protocole de Vienne, » mais avec la supposition que ce droit ne serait que » facultatif. >>

« Elle reconnaît, ajoutait le Vorort, faisant allusion » au traité de Paris, l'assimilation du territoire situé » au nord du parallèle d'Ugine jusqu'au Rhône, avec » ce qui a été convenu à Vienne pour le Chablais et

»le Faucigny. Mais elle reconnait cet état de choses > comme un bienfait dont ces provinces doivent jouir, » non comme une obligation qui lui soit imposée de » les occuper et de les défendre. »

Le caractère facultatif de l'occupation de la Savoie avait été, en effet, constaté dans le rapport que la commission de la Diète lui avait présenté le 20 juin, ainsi que dans l'acte par lequel l'Assemblée fédérale donna le 12 août son adhésion aux déclarations du Congrès de Vienne du 29 mars.

Les deux gouvernements ne parvinrent pas à s'entendre sur ce point et il fut convenu que la réserve formulée par la Diète ne serait pas mentionnée dans le traité. On se borna donc à insérer dans celui-ci, à l'art. 7, « que la Confédération suisse avait accepté les > actes du Congrès de Vienne du 29 mars dans leur » entier, selon leur teneur littérale et sans aucune » réserve. » C'était conserver à la question toute son ambiguïté.

1o

En effet, il résulte de la lettre des traités de Vienne : que toutes les fois que les puissances voisines de la Suisse se trouveront en état d'hostilité ouverte ou imminente, les troupes de S. M. le roi de Sardaigne qui pourraient se trouver dans ces provinces, se retireront de ces provinces et qu'aucune autre troupe, etc. ce futur est impératif; 2o que la Confédération seule pourrait y placer des troupes, si elle le jugeait à propos.

De là il suit que si la Suisse ne jugeait pas utile d'occuper militairement ces provinces, elles pouvaient se trouver dépourvues de toute protection militaire. Des auteurs français, M. Baron notamment, ont soutenu que le roi de Sardaigne était libre de défendre

lui-même ses provinces neutralisées et de ne pas en retirer ses troupes ; ils fondent leur opinion, qui est absolument contraire à la lettre de l'acte du 29 mars, sur le fait que la neutralité de la Savoie était stipulée exclusivement en faveur de la Sardaigne. Mais cette argumentation repose sur une pétition de principe, elle pose comme un axiome ce qu'il s'agit de démontrer. L'obligation contractée par le roi de Sardaigne de retirer ses troupes en cas de guerre prouve précisément que cette neutralité n'avait pas été stipulée à son seul profit, mais aussi au profit de la Suisse et du repos de l'Europe. D'ailleurs il n'est guère admissible qu'un territoire neutralisé et situé à proximité des champs de bataille soit occupé, en cas d'hostilité, par une puissance belligérante.

Par la convention de Turin, l'œuvre du Congrès de Vienne se trouvait achevée en ce qui concernait la Suisse.

Comme importance, on peut comparer le traité de Vienne à celui de Westphalie qui, un peu moins de deux siècles auparavant, avait réglé déjà le sort de l'Europe. Le premier mit fin à l'influence prépondérante de la maison d'Autriche et consacra la séparation de la Suisse d'avec l'empire allemand; le second enleva à la France la suprématie qu'elle s'était arrogée sur les Etats du centre de l'Europe. La Suisse échappa, grâce à l'intervention des Hautes Puissances, au protectorat français, et devint, de par leur consentement unanime, un Etat neutre, mais c'était pour tomber pendant plusieurs années sous l'influence de la SainteAlliance, aux principes de laquelle elle adhéra le 27 janvier 1817.

Le traité de Westphalie, conclu à la suite d'une longue série de guerres de religion, s'était appliqué à constituer des Etats homogènes au point de vue religieux. Le traité de Vienne, voulant prémunir l'Europe contre les dangers que l'extension de la puissance militaire de la France et les idées politiques qu'elle représentait lui avaient fait courir, s'efforça de fortifier les Etats secondaires qui bordaient ses frontières, de les mettre en mesure de lui résister ou tout au moins d'amortir le choc de ses armées et d'endiguer le torrent des idées révolutionnaires.

Partant de ce point de vue, et préoccupés avant tout d'établir l'ordre en équilibrant les forces et les courants contraires, les diplomates réunis à Vienne et à Paris constituèrent des unions hétérogènes, imitant en cela les dresseurs de chevaux qui attellent parfois un coursier fougueux avec un sage carrossier, pour contenir l'ardeur du premier par la docilité du second. Ils disposèrent des nations comme de vils troupeaux; des territoires importants et leurs habitants servirent de matière d'échange. Ce fut une vraie foire diplomalique, comme on l'a dit à juste titre.

Des peuples différents de religion ou de langue furent réunis pour former des Etats mixtes ou polyglottes, dans les Pays-Bas, en Prusse, en Bavière, en Autriche. Ces combinaisons artificielles existaient déjà en Suisse de par l'Acte de médiation, qui avait créé les cantons mixtes, mais les traités de Vienne et de Paris les accentuèrent par la réunion de l'évêché de Bâle au canton de Berne et par celle des communes françaises et savoyardes au canton de Genève.

Nous verrons dans la suite de ces études que ces cantons mixtes et que cette juxtaposition d'éléments

hétérogènes devaient en Suisse, comme en Allemagne, en Italie et en Autriche, donner lieu à des dissentiments qui dégénérèrent en révolutions.

Pour être respectée de l'étranger et capable de faire régner l'ordre et la liberté à l'intérieur, la Suisse dut commencer par s'émanciper de l'esprit rétrograde qui animait les membres de la Sainte-Alliance; elle dut se dégager des influences néfastes qui avaient contrarié son développement, mettre un frein au particularisme étroit de certains cantons et exiger d'eux le sacrifice d'une partie de leur autonomie.

Après trente et quelques années de lutte, la Suisse arriva enfin à constituer une nation vraiment neutre, libre et indépendante.

APPENDICE

SUITE DE LA QUESTION DE SAVOIE, DE 1816 A 1883

Pour sortir de la fausse position où la Suisse et la Sardaigne se trouvaient l'une à l'égard de l'autre, il eût été désirable que les droits et les devoirs respectifs de chacun des deux Etats fussent délimités exactement, soit en ce qui concernait l'entrée éventuelle des troupes fédérales en Savoie et leurs relations avec les autorités civiles de cette province, soit au sujet du passage des troupes piémontaises par le Vallais.

Ces questions délicates firent l'objet d'un rapport fourni au Vorort en 1816, par M. C. Escher de la Linth, et d'un autre rapport présenté à la Diète en 1831 par le Landammann Cosmus Heer, de Glaris, au nom d'une commission composée en outre

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