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de MM. Amryhn (Lucerne), Meyer de Knonau (Zurich), Steiger (Berne), Schaller (Fribourg), Hurner (Aarau) et Fatio (Genève).

Les conclusions auxquelles en arrivaient les hommes éminents, et auxquelles se rattachait M. de Gonzenbach', partaient du point de vue que la neutralité de la Savoie septentrionale cesserait au profit du Piémont du moment que cet Etat serait lui-même en guerre, mais qu'elle subsisterait au profit de la Suisse en tant du moins que ces contrées seraient occupées par les troupes fédérales. De là la nécessité pour la Confédération, dont l'intérêt se confondait avec celui des habitants du Chablais et du Faucigny et du roi de Sardaigne, dont il diminuerait les charges militaires, de prévoir à l'avance, par une convention conclue en due forme avec la cour de Turin, les éventualités qui pourraient se présenter; c'est-à-dire de préciser les cas dans lesquels les troupes sardes se retireraient des provinces neutralisées, la manière dont cette évacuation s'effectuerait par le Vallais, le moment où les troupes fédérales entreraient en Savoie, comment il serait pourvu à leur entretien, quelle serait la position du commandant des troupes fédérales à l'égard des fonctionnaires piémontais, etc.

Malheureusement cette négociation, si désirable et qui eût pu avoir des conséquences importantes sur la suite des événements qui se sont déroulés dès lors, ne fut pas entreprise.

En 1859, à la veille de la guerre d'Italie, le Conseil fédéral affirma le droit de la Suisse d'occuper éventuellement la Savoie dans une note collective, du 14 mars, adressée aux huit Puissances qui avaient pris part au Congrès de Vienne, ainsi qu'à la Sardaigne, au Wurtemberg et au grand-duché de Baden, qui toutes applaudirent à la franchise et à la loyauté de ses déclarations. Dans sa réponse, la Cour de Turin se montra prête à participer à une conférence destinée à fixer sur quelques ⚫ points, les vues, la portée et l'extension des droits et des obli>gations qui résulteraient du protocole de Vienne, afin de pou» voir établir un accord préalable entre les deux gouvernements » sur les conditions d'une occupation éventuelle. »

1 Voir Gonzenbach, p. 157.

Voir la note du comte de Cavour du 16 avril 1859.

La guerre éclata sur ces entrefaites et elle eut l'année suivante pour conséquence l'annexion du comté de Nice et de la Savoie à la France. Les négociations relatives à cette cession furent assez longues. La Suisse s'émut et demanda que, conformément aux traités de Vienne et de Paris, il fût tenu compte des droits que ces traités accordaient à la Suisse. Un moment l'empereur Napoléon parut disposé à entrer dans les vues de la Confédération. Dans l'audience donnée le 31 janvier 1860 à l'envoyé de la Confédération par M. Thouvenel, le ministre des affaires étrangères de Napoléon s'exprima en ces termes : « L'empereur m'a chargé de vous dire que si l'annexion devait avoir » lieu, il se ferait un plaisir, par sympathie pour la Suisse à >> laquelle il porte toujours un intérêt particulier, d'abandonner » à la Suisse comme son propre territoire, comme une partie » de la Confédération helvétique, les provinces du Chablais et » du Faucigny. »

Cette promesse était conforme aux vœux des habitants du Chablais, du Faucigny et du Genevois qui se manifestèrent sous la forme d'une pétition couverte de douze mille signatures (16 mars). Napoléon ne tarda pas cependant à la regretter et il saisit l'occasion d'une députation officieuse venue de Savoie, plaider la cause de l'annexion à la France (21 mars), pour retirer sa parole.

Ces députés furent informés que « son amitié pour la Suisse » avait fait envisager à Sa Majesté comme possible de déta>> cher en faveur de la Confédération quelques portions du ter>> ritoire de la Savoie, mais que devant la répulsion qui s'était » manifestée à l'idée d'un démembrement, la France avait re» noncé à cette cession, tout en ayant l'intention de tenir compte » des intérêts de la Suisse ».

Plus tard, l'empereur offrit de céder à la Suisse une langue de territoire montagneux s'étendant de Meillerie au col Ferret, ce qui eût mis la Suisse en possession des montagnes qui séparent la Savoie du Vallais et eùt procuré, dit le colonel de Charrière', aux troupes chargées de les défendre, quelques avantages tactiques.

Napoléon III offrait en outre de prendre l'engagement de ne

De Charrière, p. 44.

point élever d'ouvrages fortifiés dans un rayon territorial circonscrit par les monts Vuache, de Sion et du Salève et de ne point faire naviguer d'embarcations armées sur le lac Léman, à condition que la Suisse prît un engagement analogue.

Malheureusement la polémique à laquelle avait donné lieu ces négociations avait échauffé les esprits, et la Confédération eut le tort, malgré les recommandations de l'Angleterre, de rejeter cette offre. Ce fut une faute, car quoique ne réalisant pas tout ce que la Suisse pouvait désirer et ce que Napoléon avait fait espérer au premier moment, cette offre n'était pas à dédaigner.

Il serait intéressant de reprendre points par points les divers arguments invoqués alors de part et d'autre, de rappeler les faits qui accompagnèrent la prise de possession de la Savoie, les démarches faites par le Conseil fédéral pour obtenir des Puissances signataires du traité de Vienne la réunion d'une conférence, qui aurait eu pour but de régler la position de la Savoie vis-à-vis de la Suisse; enfin, d'étudier la portée de l'engagement pris par la France à l'article 2 du traité de Turin, du 24 mars 1860, qui stipule « que le Roi de Sardaigne ne transférait » les parties neutralisées de la Savoie qu'aux conditions aux» quelles il les possédait lui-même 1», mais ce serait sortir des limites de notre sujet.

D

La cession de la Savoie à la France a porté une très grave atteinte aux traités de 1815, en mettant à néant la communauté d'intérêts qu'ils avaient créée entre la Suisse et la Sardaigne, dans le but d'assurer leur mutuelle sécurité, et de faire obstacle aux invasions des Français en Italie. Le fait que la Savoie, possédée jadis par un Etat de second ordre, est devenue partie intégrante d'un Etat militaire de premier ordre, constitue évidemment un danger pour la neutralité helvétique; mais, à nos yeux, la Confédération n'était pas pour cela fondée à revendiquer comme un droit le Chablais et le Faucigny, ce qui ne veut pas dire qu'elle n'ait pas eu raison de faire son possible pour obtenir en 1860 certains avantages à l'occasion des remaniements qui se produisaient à ces frontières.

La France avait promis par le traité de Turin de régler cette question au moyen d'un accord entre les Puissances et la Suisse; cette assurance, destinée à tranquilliser la Suisse, fut perdue de vue.

Durant la guerre franco-allemande, la question de la neutralité de la Savoie préoccupa de nouveau l'opinion publique. Le Conseil fédéral informa, le 18 juillet 1870, les Etats intéressés de son intention de faire usage de son droit d'occupation dans le cas où la neutralité ou l'intégrité du territoire suisse le nécessiterait. L'occasion ne s'en présenta pas. Cependant, à un moment donné, les populations du Faucigny furent inquiètes de la marche que prenaient les événements, et le préfet de la Haute-Savoie, M. Guiter, écrivit au Conseil fédéral pour lui demander de faire occuper militairement le Faucigny. Deux délégués du comité républicain d'Annecy, MM. Dumont et Chardon ', vinrent même à Berne pour demander aux Autorités fédérales d'assurer au Faucigny le bénéfice de la neutralité garantie par les traités de 1815. Le Conseil fédéral répondit « qu'il ferait usage du droit d'occupation si les circonstances lui paraissaient l'exiger pour la défense de la neutralité suisse et de l'intégrité du territoire de la Confédération ».

Lorsque la paix fut près de se conclure entre la France et l'Allemagne, cette dernière puissance aurait été disposée à procurer à la Suisse certaines rectifications de frontières en vue de fortifier sa position vis-à-vis de la France, mais le Conseil fédéral s'y refusa, estimant que c'eût été abdiquer tout sentiment de dignité que de profiter de l'humiliation d'une nation amie pour s'enrichir à ses dépens.

Depuis lors la question de la neutralité de la Savoie a été agitée à nouveau en 1883, à l'occasion d'un bruit qui courut que le gouvernement français se disposait à établir des fortifications sur le mont Vuache. Cette nouvelle causa une certaine émotion dans la presse suisse et le Temps (de Paris), loin d'en contester

Une fois l'émotion, que lui avaient causé les événements de 1870, passée, M. Chardon, qui depuis est devenu sénateur, changea d'opinion. Il fut en effet avec M. Chaumontel un des promoteurs du percement du Mont-Blanc. Or les partisans du percement du Mont-Blanc en l'opposant à celui du Simplon faisaient valoir surtout cette considération, que ce passage avait l'avantage de se pratiquer sur un terrain libre de toute entrave stratégique, ce qui revenait à contester formellement la neutralité de la Savoie. (Voir la brochure de M. L. Chaumontel, sénateur, intitulée Note sur la prétendue neutralité de la Savoie du Nord.)

le fondement, chercha à démontrer que la France était en droit d'ériger des fortifications dans la zone neutralisée. Le Conseil fédéral s'émut à son tour et fit demander à ce sujet des explications au gouvernement français par M. Lardy, ministre de Suisse à Paris. En réponse à cette démarche, M. Ferry, alors président du Conseil et ministre des affaires étrangères, écrivit à M. Arago, ambassadeur de France en Suisse, la lettre suivante, dont il le chargeait de remettre une copie au Conseil fédéral :

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« Monsieur,

Des renseignements parvenus à Berne ont, paraît-il, donné lieu de penser que le génie militaire français se proposait d'élever certains ouvrages de défense sur le mont Vuache. Le Gouvernement fédéral désirerait recevoir l'assurance que nous n'avons pas l'intention de fortifier ce point. Dans sa pensée, cette déclaration de notre part rassurerait l'opinion publique en Suisse, et contribuerait à accroître les sentiments de confiance amicale qui existent entre les deux pays.

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Nous ne voyons aucune difficulté à faire connaitre qu'il n'entre pas dans nos intentions d'établir un ouvrage de fortification au mont Vuache, et que dans les études pour la mobilisation, l'état-major français s'est attaché à respecter complètement le territoire neutralisé.

כי

Vous pouvez remettre au Conseil fédéral copie de la présente communication, qui dissipera, je l'espère, les préoccupations dont nous avons été entretenus, et qui témoignera de notre désir de resserrer les liens traditionnels d'amitié qui nous unissent à la Confédération.

D

Agréez, etc.

» (Signé)

Jules FERRY. »

Cette réponse dénote de la part du gouvernement français
Sentiments de bienveillance toujours précieux à enregistrer.

des

Il ne peut être qu'agréable à la Suisse que les lignes de fortifications de nos voisins soient établies le plus loin possible de nos frontières. Après cela, avons-nous un réel intérêt dans les circonstances actuelles au maintien de la neutralité de la Savoie ? Nous ne le croyons pas. Aussi longtemps que la Savoie était en la possession du royaume du Piémont, cette neutralité était logique, parce que le Piémont avait les mêmes intérêts

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