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Russie y ajoutèrent leurs offrandes. Le czar fit un don de cent mille roubles, dont la moitié fut remise à la colonie de la Linth et le surplus affecté, suivant le désir qui en avait été exprimé, au soulagement des indigents des cantons de Glaris, Saint-Gall, Appenzell et Thurgovie.

Dans les autres cantons, la misère était moins profonde, cependant la disette régnait partout, les vieillards s'en souviennent et se rappellent aussi du magnifique élan de charité chrétienne que les souffrances du peuple provoquèrent. De tous côtés des sociétés de secours se fondèrent, citons entre autres celle de Bâle, qui en quelques semaines avait réuni 48 mille francs anciens; par leurs soins, des soupes économiques étaient distribuées aux pauvres. La bienfaisance s'ingéniait à multiplier ses ressources. Des personnes charitables rassemblaient tous les os qu'elles pouvaient se procurer, des dépôts étaient établis, d'où ces os étaient ensuite portés au moulin, concassés, pilés et réduits en poudre fine, laquelle après une cuisson de quatre heures donnait une soupe gélatineuse très nourrissante. La charité ne connait pas de frontière. Tandis que le prince de Galles envoyait des secours en argent aux pauvres du Tessin, une dame genevoise s'établit à Mornex, en Savoie, pour présider régulièrement à des distributions de soupe; un Anglais résidant à Genève fit construire à La Murraz, au pied du Salève, des fourneaux pour la confection de soupes économiques, et une Russe, Mme de Krudener, en faisait autant à Lucerne.

Le canton de Vaud échappa à peu près à la famine générale, grâce à la prévoyance du gouvernement, qui

fit de grands achats de blé en 1816, lorsqu'il put prévoir les conséquences qui devaient fatalement résulter de l'insuffisance des récoltes. Il fut aidé dans cette opération par une souscription publique qui lui permit de faire acheter à Gênes, à Livourne, à Marseille et en Allemagne pour plus de 80 mille quintaux de blé, avant que le renchérissement des denrées eût atteint son maximum. Un généreux citoyen, M. Rivier, de Renens, prêta dans ce but 300 mille francs au gouvernement. L'opération totale roula sur une somme de 2 millions ancienne monnaie.

D'autres cantons avaient pris des mesures analogues et prohibé l'exportation des blés, des farines, du pain et des pommes de terre, en dépit des prescriptions du Pacte relatives à la liberté du commerce des denrées alimentaires. Dans les Grisons, un magasin central s'ouvrait chaque semaine pour procurer aux communes les plus pauvres des avances de grains qu'elles s'engagèrent à rembourser dans des temps plus heureux. A Bale, un emprunt fait en vue d'effectuer des achats considérables de blé eut un grand succès. L'Etat de Fribourg fit aussi des approvisionnements de blé et de pommes de terre, etc., etc.

Eboulement du glacier de Gétroz dans la vallée
de Bagnes.

En 1818, une épouvantable catastrophe apporta la désolation dans la vallée de Bagnes. Une paroi de rochers, que surmontait le glacier de Gétroz, s'écroula et forma un barrage qui, arrêtant le cours de la Dranse, créa un lac. Le barrage en se rompant pour

livrer passage aux eaux accumulées, occasionna la mort de plusieurs personnes, emporta des centaines de bâtiments, fit périr un grand nombre de têtes de bétail et convertit des champs fertiles et de beaux pâturages en plaines de cailloux. Les dommages causés par cette catastrophe furent évalués à plus d'un million. Aussitôt des collectes s'organisèrent, une somme de 170 mille francs (ancienne monnaie), dont 14 mille provenaient de l'étranger, fut réunie; jointe aux dons en nature, elle permit d'atténuer en quelque mesure les conséquences lamentables de ce désastre et de faire d'importants travaux dans le but d'en prévenir le retour1.

Emigration; essai de colonisation au Brésil.

La cherté des subsistances, le chômage et les circonstances difficiles où se trouvait la Suisse déterminèrent des milliers de malheureux à s'expatrier; ils descendaient en barque le Rhin, traversaient la Hollande, où les avaient attirés des agents sans scrupules, et là s'embarquaient pour les Etats-Unis. Beaucoup d'entre eux mouraient en route; on cite le cas d'un navire portant 400 émigrants dont 70 périrent durant la traversée. Les rues de New-York et de Philadelphie se remplissaient d'infortunés, qui, dénués de toute ressource, ignorant la langue du pays, en étaient réduits à la mendicité et regrettaient amèrement leur patrie. Les émigrants qui n'avaient pu

1 Ces travaux furent dirigés avec une grande habileté par l'ingénieur vallaisan Venetz.

payer leur traversée étaient soumis à une sorte de demi-esclavage qui durait jusqu'à six ans; c'étaient, dit un journal de l'époque, les plus heureux.

Beaucoup d'infortunés se trouvaient déjà à leur arrivée en Hollande dans l'impossibilité de continuer leur route et tombaient à la charge de la charité publique. Le gouvernement des Pays-Bas dut songer aux moyens de s'opposer à cet envahissement; il décida de refuser l'entrée du royaume aux émigrants qui ne justifieraient pas des ressources suffisantes pour pourvoir à leur subsistance et aux frais de transport jusqu'en Amérique. Le gouvernement prussien, de son côté, prit des mesures analogues.

Les autorités suisses, avec l'appui de la presse, luttèrent contre ce courant d'expatriation, qui diminua du reste notablement lorsque la disette eut cessé. Des associations se formèrent pour assurer le sort des émigrants; l'une d'elles, fondée à Berne, en 1818, établit une colonie aux Etats-Unis. Le roi de Portugal, désireux d'attirer au Brésil les excédents de population de l'Europe, facilita la création d'une colonie suisse dans le district de Canta-Gallo, à vingt-quatre lieues de Rio-Janeiro. Il offrit de payer aux émigrants leur voyage jusque dans ce port, de leur faire des dotations de terre et de leur fournir du bétail et des semences. Il promit en outre une prébende de 160 reis par jour à chaque colon pour la première année, de 80 reis pour la seconde année. La colonie devait contenir un certain nombre d'artisans et se pourvoir en Europe d'un médecin, un chirurgien, un pharmacien, un vétérinaire et deux à quatre ecclésiastiques. Les colons devaient fonder une ville qui porterait le nom de Nouvelle-Fribourg et deux villages. Suivant les

conditions qui leur étaient imposées, ils étaient naturalisés portugais par le fait de leur établissement au Brésil, mais devaient jouir jusqu'en 1829 de l'exemption de toutes les charges personnelles et territoriales. Les colons demeuraient libres cependant de retourner dans leur patrie; dans ce cas ils ne pouvaient disposer que de la moitié de leurs immeubles, l'autre moitié revenant de droit aux communes où ceux-ci étaient situés. Un agent envoyé sur les lieux par le gouvernement de Fribourg, M. Gachet, fit un rapport très favorable sur les avantages que présentait le district de Canta-Gallo au point de vue climatérique et agricole. Forts de ces renseignements, deux mille émigrants suisses environ s'embarquèrent en Hollande pour le Brésil durant le cours de l'automne 1819.

Ceux des colons qui appartenaient à la religion protestante constituèrent un comité de surveillance de sept personnes chargé de régler tout ce qui concernait la religion, le culte et l'éducation des enfants.

A leur passage en Hollande, les émigrants furent très bien accueillis. Les premières nouvelles qu'ils donnèrent du Brésil furent satisfaisantes. Puis au bout de quelques années la colonie commença à décliner, plusieurs colons protestants passèrent à la religion catholique, d'autres quittèrent, et, d'après un rapport envoyé au directoire en 1829, par le consul suisse, la plupart des habitants de la Nouvelle-Fribourg se trouvaient dans la misère '.

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'L'auteur de ce rapport, M. Ricou, cherchait à détourner les agriculteurs suisses de se rendre au Brésil. Lors même, disait-il, que le gouvernement impérial prendrait des mesures plus convenables que par le passé à l'égard des colons, le climat, les mœurs et la différence du langage sont des obstacles difficiles à vaincre pour des Suisses. Par

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