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le gouvernement laissa toute liberté aux dissidents en dehors des édifices consacrés au culte officiel.

A Lausanne, à Berne, à Neuchâtel, la lutte s'établit moins sur le terrain des doctrines que sur celui de la discipline ecclésiastique et des manifestations extérieures de la vie religieuse. Le clergé n'ayant point renié les principes du christianisme dit orthodoxe, il semblait aux autorités que les fidèles eussent dù se contenter de l'enseignement des prédicateurs patentés par l'Etat. Exiger davantage, chercher par des réunions. tenues en dehors des temples à secouer la torpeur spirituelle de l'époque, c'était, aux yeux du pouvoir politique, provoquer une agitation inutile et compromettante pour l'ordre public. Les lugubres attentats de Wildenspuch ont dù certainement contribuer à fortifier les gouvernements dans l'opinion qu'il fallait à tout prix endiguer le courant du Réveil. Or suivant le mot spirituel d'un homme d'Etat : « L'Eglise nationale est le meilleur moyen de contenir le sentiment religieux dans de justes limites. » Si l'on part de ce point de vue, on peut s'expliquer dans une certaine mesure que des magistrats pour la plupart indifférents et même quelque peu voltairiens moins des égarements dont certains cantons allemands venaient de donner le triste spectacle, crussent qu'il était de leur devoir de prohiber des manifestations non prévues par les lois de l'Etat.

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Il faut admettre que la manière d'être des dissidents et leur patois de Canaan avaient quelque chose d'antipathique; ils laissaient volontiers entendre, ils disaient même parfois ouvertement, qu'ils n'étaient point comme les autres hommes; or nos populations n'ai

ment pas les gens qui se distinguent de leur prochain et font bande à part.

Les autorités commettaient cependant une grave erreur; l'histoire des persécutions religieuses aurait dù leur faire comprendre que l'on ne prohibe pas les idées comme les marchandises, et qu'en ce domaine, plus qu'en tout autre, la liberté est à la fois le gage et la condition du progrès. Les dissidents exercèrent, ainsi que nous l'avons vu, une action indirecte mais positive sur beaucoup d'hommes qui ne partageaient pas leurs vues. Le clergé lui-même subit avec le temps l'influence du Réveil; un grand nombre de ses membres à Genève et dans le canton de Vaud entreprirent des œuvres de propagande religieuse et rivalisèrent de zèle avec les piétistes. Leur ministère fut alors en butte aux hostilités que rencontre fatalement toute réforme de la part des gens qui se sentent repris dans leur conscience ou que leur légèreté naturelle porte à tourner les choses sérieuses en ridicule.

Malgré les fautes de ses adhérents, il est incontestable que le Réveil a produit un épanouissement de vie religieuse dont nous ressentons encore aujourd'hui l'heureuse influence.

Un magistrat fédéral haut placé nous disait, l'an dernier, que l'opinion publique de la Suisse orientale est moins bien disposée que celle de la Suisse occidentale envers les manifestations de la vie religieuse qui se produisent en dehors des Eglises nationales. Si les populations des cantons romands font preuve à cet égard d'une plus grande largeur de vues, ce résultat est dù en partie, pensons-nous, au travail opéré jadis par le Réveil. D'autre part, si les Eglises libres de Vaud, de Genève et de Neuchâtel, qui sont les

filles du Réveil, peuvent poursuivre aujourd'hui en paix les œuvres qu'elles ont fondées, elles le doivent, il faut le dire, à la patience avec laquelle leurs membres ont toujours supporté les tracasseries des autorités, au soin qu'elles ont mis à éviter de blesser inutilement le sentiment public par des manifestations bruyantes, enfin à l'esprit à la fois évangélique et scientifique qui anime leurs écoles de théologie.

XIV

DES CAPITULATIONS MILITAIRES

1803 A 1859

Considérations générales.

Les militaires suisses ont trouvé dans les capitulations l'occasion de faire valoir leurs mérites, ils se sont acquis une réputation justifiée non-seulement de bravoure, vertu relativement commune chez les soldats de profession, mais encore de fidélité au devoir et de loyauté.

C'est avec un sentiment de légitime fierté que comme Suisses nous nous rappelons la belle conduite de ceux de nos compatriotes qui se firent massacrer le 10 août 1792 pour la défense des Tuileries. Les régiments suisses à la solde de la France ont pris une part glorieuse aux guerres du premier empire; mais ce qui les honore plus encore que le courage déployé sur les champs de bataille d'Espagne ou de Russie, c'est la fermeté avec laquelle, sous les Cent jours, ils résistèrent aux tentatives qui furent faites pour les détour

1 On désigne généralement sous le terme de capitulations les conventions qui règlent les conditions auxquelles une place, un poste ou une troupe se rendent; mais on appelle aussi de ce nom les conventions qui assurent aux sujets d'une puissance certains privilèges dans les Etats d'une autre puissance.

ner de leur devoir. Cette fidélité au serment prêté est d'autant plus digne d'éloge qu'elle contrastait avec le désarroi dans lequel le retour inopiné de Napoléon avait plongé l'opinion publique de la France.

Nous n'avons pas l'intention de raconter ici les hauts faits accomplis par les régiments suisses sous l'Empire, cela sortirait du plan que nous nous sommes tracé ; nous voulons nous borner à indiquer les conditions des capitulations militaires conclues durant le cours de ce siècle entre les cantons suisses d'une part et la France, les Pays-Bas et le royaume des Deux-Siciles de l'autre, ainsi que les circonstances qui en ont amené la rupture.

Les capitulations ont été jugées diversement et ont soulevé jadis des débats irritants; aujourd'hui le calme s'est fait sur ces questions, qui n'ont plus conservé qu'un intérêt historique et dont nous pouvons entretenir nos lecteurs sans risquer de raviver d'anciennes querelles. Tous les partis sont d'accord actuellement pour estimer que ces capitulations, qui ont eu une raison d'être dans les siècles précédents, n'auraient pas dû être renouvelées en 1815. Elles étaient naguère le gage de notre sécurité; c'est grâce à l'alliance de la France, en effet, que les XIII cantons, pendant près de trois siècles, n'ont pas été mêlés aux grandes guerres qui ensanglantaient l'Europe, que leurs territoires ont été protégés contre toute atteinte et que les liens qui les rattachaient à l'empire germanique furent définitivement rompus par les traités de Westphalie. Mais du moment que la neutralité de la Suisse était proclamée par les traités de Vienne et de Paris, la protection de la France ne lui était plus nécessaire; d'ailleurs cette puissance n'était plus disposée à accorder à la Confé

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