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Cours alliées ont donné l'assurance formelle de leur bienveillance et de leur estime pour la Suisse. Elles ont promis de ne point s'immiscer dans ses rapports intérieurs.

Cependant, tandis que la déclaration officielle, remise le 21 décembre par les agents accrédités de LL. MM. II., est prise en considération dans tous les cantons, et au moment même où les députés réunis à Zurich délibèrent sur la situation actuelle de la patrie, ils apprennent avec une vive douleur des événements qui compromettent au plus haut point la tranquillité et le repos de la Suisse.

Le comte de Senft-Pilsach, disant agir au nom des augustes Monarques alliés, bien qu'il n'ait point légitimné son caractère, a provoqué à Berne une révolution dans le gouvernement, dont les effets menacent aussi l'Argovie et le canton de Vaud, séparés de Berne depuis quinze ans et existant depuis onze ans comme Etats indépendants de la Confédération suisse. Le gouvernement nouvellement institué à Berne veut réunir ces deux pays à son territoire. Il y a été formellement invité par le comte de Senft, dont les déclarations réitérées annoncent encore d'autres changements dans l'intérieur de la Suisse.

Après avoir perdu sa neutralité, le bien le plus précieux pour ce pays était la tranquillité intérieure et l'union entre les cantons. On sent parfaitement que de l'état actuel des choses naissent des rapports nouveaux, qu'il en résultera des changements dans le régime constitutionnel, mais la Suisse demande à pouvoir délibérer sur ces grands objets en nation indépendante dont la constitution doit être l'œuvre d'une méditation libre et approfondie.

En ôtant du pacte actuel ce qui, dans la forme et le fond, rappelle l'influence étrangère, que les Cours alliées avaient en vue de détruire, la Suisse aura satisfait à leur attente; en conservant ce qui, dans les bases mêmes du Pacte actuel, lui paraît convenable, juste et nécessaire au maintien de la paix et de la concorde entre les cantons, elle aura exercé le privilège le plus incontestable d'une nation libre.

La Suisse ne saurait croire que les Puissances alliées veuillent la faire passer une seconde fois par la cruelle épreuve des révolutions; tel serait cependant son sort, si les opérations du comte de Senft-Pilsach obtenaient l'approbation des augustes

Monarques, car le passage vers un ordre futur ne peut devenir régulier que par la conservation provisoire de ce qui existe.

Le Landammann de la Suisse, intimement convaincu que le projet de faire rentrer, après un intervalle de quinze ans, l'Argovie et le Pays de Vaud sous la domination de la ville de Berne, ne pourrait s'effectuer sans des déchirements funestes; que la tranquillité et le bonheur de la Suisse dès à présent et à l'avenir seraient compromis par cette réunion forcée, dépourvue de toute garantie nationale, demande à M. le chevalier de Lebzeltern de vouloir bien interposer le plus promptement possible ses bons offices pour qu'il soit sursi à l'exécution des mesures cidessus qui menacent la Suisse du malheur des dissensions civiles.

Le Landammann envoyait d'autre part, au prince de Schwarzenberg, une lettre pour lui demander avec instance, au nom de la Diète, de ne pas permettre que ses troupes fussent employées à seconder des opérations aussi dangereuses que celle entreprise par le comte de Senft-Pilsach. Le colonel Hauser fut chargé de porter cette lettre et de développer oralement les motifs qui l'avaient dictée.

Cinq cantons n'avaient pas, pour divers motifs, répondu à l'appel du Landammann de la Suisse ; c'étaient ceux de Berne, de Soleure, d'Unterwald, des Grisons et du Tessin. La question se posa de savoir si l'Acte de médiation devait être maintenu, et, dans le cas où il ne le serait pas, quelles étaient les mesures qu'il convenait de prendre pour sauver la Suisse de l'anarchie? Des conférences préliminaires composées soit de tous les députés présents à Zurich, soit des représentants de l'ancienne Confédération des XIII cantons, eurent lieu. Ces derniers, au nombre de dix, tinrent conseil dans la demeure de Reinhard, se constituèrent en Assemblée fédérale (tel fut le nom

qu'elle prit) et arrêtèrent dans ces termes la convention du 29 décembre 1813 :

Les députés des anciens Etats confédérés d'Uri, Schwytz, Lucerne, Zurich, Glaris, Zoug, Fribourg, Båle, Schaffhouse et Appenzell (les deux Rhodes), assemblés à Zurich, après mûre délibération sur la situation critique où se trouve la commune patrie, se sont convaincus unanimement qu'à la suite des événements survenus au dehors comme à l'intérieur de la Suisse, la constitution fédérale actuelle, telle qu'elle est fixée par l'Acte de médiation, ne saurait subsister plus longtemps; que, cependant, il est d'une nécessité absolue pour le bonheur de la patrie, nonseulement de maintenir l'ancien lien fédéral, mais encore de l'affermir; dans ce but ils soumettent à la ratification la plus prompte que possible de leurs commettants la convention suivante :

1o Les cantons contractants se promettent de nouveau conseil fraternel, appui et secours, suivant l'esprit des anciennes alliances et des relations qui depuis trois siècles ont subsisté entre les confédérés ;

20 Sont formellement invités à prendre part à ce pacte fédéral renouvelé tant les anciens Etats confédérés que les Etats qui déjà depuis une longue série d'années ont fait partie de la Confédération;

3o Dans l'intérêt de la concorde et de la tranquillité intérieure, les cantons contractants adhèrent au principe qu'il ne doit pas y avoir en Suisse de pays sujets, incompatibles avec les droits d'un peuple libre;

40 En attendant que les rapports des Etats entre eux et la direction des affaires générales de la Confédération soient déterminés d'une manière fixe et précise, l'ancien Vorort est invité à se charger de cette direction.

50 Convaincus qu'il est urgent de répondre d'une manière convenable aux déclarations des Hautes Puissances alliées, du 20 décembre de la présente année, qui se rapportent à la position de la Suisse jusqu'à la paix générale, les Etats contractants sont prêts à entrer en négociation à ce sujet.

Cette convention devait tenir lieu de constitution pour la Suisse jusqu'au 7 août 1815. Sur l'invitation qui leur en fut faite, les députés de St-Gall, Thurgovie, Argovie et Vaud y adhérèrent au nom de leurs cantons respectifs, qui s'empressèrent de ratifier le vote de leurs commettants. Deux jours plus tard, les Etats de Soleure, d'Unterwald et du Tessin se joignirent à leur tour à la nouvelle Confédération. Finalement Berne et les Grisons seuls demeurèrent en dehors de cette convention. Dans les Grisons, il s'était produit un mouvement qui tendait à la reconstitution des Ligues en république indépendante. Les députés bernois, en apprenant à leur arrivée à Zurich que l'existence des nouveaux cantons avait été formellement reconnue, se retirèrent.

La Diète aurait dù, aux termes de l'Acte de médiation, se transporter à Lucerne le 1er janvier 1814 et la charge de Landammann de la Suisse passer de Reinhard à Ruttimann. Mais Lebzeltern et Capo d'Istria insistèrent au nom de leurs gouvernements pour que l'on en revint à l'ancien usage, qui donnait à Zurich la présidence de la Diète, et Zurich continua provisoirement les fonctions de Vorort.

Un premier point était acquis, l'Acte de médiation était abrogé. La Suisse avait secoué le joug de Napoléon, mais elle était profondément divisée et elle avait de nouveau besoin d'un médiateur. C'était ce que voulait Metternich. I blama, il est vrai, l'avidité et l'égoïsme des patriciens bernois, il désavoua même la conduite de son agent le comte de Senft-Pilsach, pour donner satisfaction au czar; mais le brandon de discorde était jeté et Metternich devait faire servir les divisions qu'il avait suscitées aux vues de sa politique

et tenter de s'attribuer à son tour le rôle que Bonaparte avait joué en 1803.

Le rétablissement de l'ancien régime dans les cantons aristocratiques, dont Berne avait donné le signal, et l'état de sujétion auquel les campagnes allaient être réduites, auraient eu pour effet de faire passer la Suisse de la tutelle de la France sous celle de l'Autriche, sans l'énergie que les cantons de Vaud et d'Argovie déployérent pour sauvegarder leur indépendance, et sans l'appui qu'ils trouvèrent auprès de l'empereur Alexandre. C'est à une Diète ainsi partagée d'opinion qu'incombait la tàche de réorganiser la Confédération et de la doter d'une constitution. Dans ces conditions, son travail devait être nécessairement long et produire un résultat médiocre. Pour arriver à une entente, il fallut laisser en suspens bien des questions que l'intérêt général de la Confédération commandait de trancher et qui ne devaient trouver leur solution que dans la constitution de 1848, après une longue période de troubles politiques, religieux et économiques.

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