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sèrent aux efforts des libéraux ne purent arrêter que momentanément la marche des événements. Jusqu'en 1830, les vieux-conservateurs se maintinrent dans leurs positions; de 1830 à 1848, ils les perdent dans la plupart des cantons. Ce qui n'avait pu être obtenu par la persuasion le fut par la violence, et, après des luttes parfois sanglantes, les barrières que les souverainetés cantonales avaient élevées aux frontières de leurs petits territoires et qui s'opposaient au développement moral et économique de la Confédération, venant enfin à disparaître, une Suisse nouvelle sortit du chaos.

La Constitution de 1848 fut une œuvre remarquable à plus d'un égard. Elle établit sur des bases solides les autorités fédérales, mit fin aux agitations continuelles et stériles dont souffrait la Confédération, parvint à la soustraire aux influences étrangères, et, par la centralisation de plusieurs services publics importants, accrut singulièrement sa prospérité. Le sentiment de la solidarité l'emporta sur le particularisme étroit de certains cantons, et la Suisse, devenue réellement libre et indépendante, vit grandir la considération dont elle jouissait en Europe.

Voici quarante ans que la Suisse a accompli cette évolution, et les modifications apportées pendant ce temps à sa Constitution n'ont fait que développer les principes féconds introduits en 1848

dans notre droit public, principes dont plusieurs ont leur origine dans la Constitution unitaire de 1798. Pour rendre possibles ces progrès, il a fallu que certains Etats confédérés, jusqu'alors réfractaires au courant des idées modernes, entrassent dans de nouvelles voies; il a fallu qu'ils fussent préparés, par un changement graduel des mœurs, à accueillir les institutions libérales qu'ils avaient jadis rejetées, lorsqu'elles leur avaient été prématurément imposées par la France. Cette crise salutaire fut le résultat laborieux d'une série de révolutions, convergeant vers un même but, mais accomplies dans des conditions très diverses. C'est à travers bien des fautes politiques, commises de part et d'autre, que les progrès dont nous jouissons actuellement ont été effectués.

Ces considérations générales sont familières à nos lecteurs; mais ce qui l'est peut-être moins, ce sont les faits sur lesquels elles reposent et l'origine des institutions qui nous régissent actuellement. En essayant de les guider au milieu de ce dédale, nous entreprenons une tâche difficile. L'histoire de la Suisse est singulièrement complexe. Pour ne négliger aucune de ses faces, il faudrait faire marcher de front le récit des événements qui se passaient simultanément dans nos vingt-deux cantons. L'impression qui s'en dégagerait serait forcément

confuse. Nous y renonçons donc et, laissant de côté l'ordre chronologique des faits, nous nous occuperons seulement des grandes questions qu ont successivement agité l'opinion publique. Notre travail se présente ainsi sous la forme d'une série de monographies d'où le titre d'Essais historiques dont la réunion dounera au lecteur une idée de ce qu'était la Suisse sous le Pacte de 1815. A l'exception des trois premiers, qui forment un tout lié, les chapitres sont rédigés de manière à pouvoir être lus séparément.

L'esquisse que nous présentons aujourd'hui n'est, hâtons-nous de le dire, pas un tableau complet. Nous nous attachons au développement politique, militaire, juridique et économique de la Confédération et des Cantons; nous passons en revue les questions diplomatiques qui se posèrent devant le Congrès de Vienne: nous exposons les conflits qui ont éclaté entre les Etats catholiques ou mixtes et la Curie romaine; nous donnons un aperçu du mouvement religieux dans les cantons protestants; mais nous laissons à de plus compétents le soin de traiter du mouvement littéraire, scientifique et artistique de notre patrie. Ce premier volume comprend les événements qui se sont déroulés en Suisse de 1813 à 1830; toutefois, dans les chapitres consacrés à la question de Savoie et aux capitulations militaires, nous ne nous sommes

pas astreint à ces limites de temps et de lieu. Cette première série d'études sera suivie d'une seconde, qui traitera des destinées de la Suisse de 1830 à 1848. Dans cette seconde partie de notre ouvrage, nous verrons se développer l'évolution démocratique et nous aurons l'occasion de donner nos appréciations sur ces institutions, auxquelles la Suisse est profondément attachée et qui lui donnent une physionomie toute spéciale.

Parler en détail d'événements aussi récents, n'est-ce pas, dira-t-on peut-être, s'exposer à ressusciter d'anciennes rancunes! Il est délicat, en effet, d'apprécier les révolutions lorsque les fils de ceux qui y ont joué un rôle vivent encore. Il nous paraît pourtant qu'il est utile de bien connaître les causes qui les ont amenées. En étudiant ces faits sans passion et d'une manière objective, on peut dissiper bien des préjugés et en tirer d'utiles leçons. La portée des événements auxquels nous assistons nous échappe généralement. « Les arbres, comme dit le proverbe allemand, empêchent de voir la forêt. » Après coup l'on constate parfois que tel changement dans les lois qui avait fait naître de grandes espérances a trompé l'attente de ceux qui l'avaient le plus ardemment désiré, et que tel acte politique, dont les conséquences paraissaient redoutables, a eu, au contraire, d'heureux résultats.

Cette observation s'applique, entre autres, à la Constitution fédérale de 1848. Ceux qui ont combattu jadis le mouvement dont elle est issue, ne désireraient pas eux-mêmes que la Suisse revînt. en arrière des faits accomplis.

En évoquant les souvenirs des générations qui nous ont précédés, des crises heureusement traversées par nos devanciers, nous puiserons un nouveau courage pour affronter les dangers qui nous menacent, et nous apprendrons aussi à juger avec plus d'équité les magistrats qui présidèrent aux destinées de notre pays, il y a quarante ou soixante ans. Les hommes qui prétendent monopoliser l'aspiration au progrès ont une tendance à décrier le passé; il est bon de leur rappeler que d'autres ont avant eux travaillé avec dévouement à l'édification de notre civilisation. « Toute guerre que l'on fait au passé, a dit un écrivain français, est une guerre civile » (Désiré Nisard). Pour mieux voir où l'on va, il est bon de savoir d'où l'on vient. Voulant ne pas marcher à l'aventure, il est sage de s'arrêter parfois, de se retourner pour regarder en arrière et mesurer le chemin parcouru. C'est dans cette pensée que nous invitons le lecteur à se reporter avec nous par la pensée au commencement du siècle et à considérer, sous quelques-uns de ses aspects, l'état que présentait la patrie suisse au début de cette période importante.

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