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ne pourroit véritablement ni les assurer ni les nier; ce n'en sont point, puisqu'en elles-mêmes elles ne subsistent pas. Tout cela ne s'entend pas bien; tout cela est pourtant chose véritable: et tout cela nous est une preuve, que même dans les choses naturelles, l'unité est un principe de multiplicité en elle-même, et que l'unité et la multiplicité ne sont pas autant incompatibles qu'on le pense.

O Dieu, devant qui je me considère moi-même, et me suis à moi-même une grande énigme ! J'ai vu en moi ces trois choses, être, entendre, vouloir. Vous voulez que je sois toujours, puisque vous m'avez donné une ame immortelle, dont le bonheur ou le malheur sera éternel : et si vous vouliez, j'entendrois et voudrois toujours la même chose; car c'est ainsi que vous voulez que je sois toujours, quand vous me rendrez heureux par votre présence. Si je ne voulois et n'entendois éternellement que la même chose, comme je n'ai qu'un seul être, je n'aurois aussi qu'une seule connoissance et une seule volonté, ou si l'on veut, un seul entendre et un seul vouloir. Cependant ma connoissance et mon amour ou ma volonté, n'en seroient pas pour cela moins distingués entre eux, ni moins identifiés; c'est-àdire, n'en seroient pas moins un avec le fond de mon être, avec ma substance. Et mon amour ou ma volonté ne pourroient pas ne pas venir de ma connoissance et mon amour seroit toujours une chose que je produirois en moi-même, et je ne produirois pas moins ma connoissance et toujours il y auroit en moi trois choses, l'être produisant la connoissance, la connoissance produite, et l'amour aussi produit

par l'un et par l'autre. Et si j'étois une nature incapable de tout accident survenu à sa substance, et en qui il fallut que tout fût substantiel; ma connoissance et mon amour seroient quelque chose de substantiel et de subsistant: et je serois trois personnes subsistantes dans une seule substance; c'està-dire, je serois Dieu. Mais comme il n'en est pas ainsi, je suis seulement fait à l'image et à la ressemblance de Dieu, et un crayon imparfait de cette unique substance qui est tout ensemble, Père, Fils et Saint-Esprit : substance incompréhensible dans sa trine divinité, qui n'est au fond qu'une même chose, souveraine, immense, éternelle, parfaitement une en trois personnes distinctement subsistantes, égales, consubstantielles; à qui est dû ur seul culte, une seule adoration, un seul amour; puisqu'on ne peut ni aimer le Père sans aimer son Fils, ni aimer le Fils sans aimer son Père, ni les aimer tous deux sans aimer leur union éternellement subsistante, et leur amour mutuel. Et pour aider la foi qui m'attache à ce mystère incompréhensible, j'en vois en moi-même une ressemblance qui, toute imparfaite qu'elle est, ne laisse pas d'avoir quelque chose que je ne puis comprendre ; et je me suis à moi-même un mystère impénétrable. Et pour m'ôter toute peine de perdre en Dieu toute ma compréhension, je commence par la perdre premièrement, non-seulement dans tous les ouvrages de la nature, mais encore dans moi-même plus que dans tout le reste.

VII. ÉLÉVATION.

Fécondité des arts.

Je suis un peintre, un sculpteur, un architecte; j'ai mon art, j'ai mon dessein ou mon idée ; j'ai le choix et la préférence que je donne à cette idée par un amour particulier. J'ai mon art, j'ai mes règles, mes principes, que je réduis, autant que je puis, à un premier principe qui est un, et c'est par-là que je suis fécond. Avec cette règle primitive et ce principe fécond qui fait mon art, j'enfante au dedans de moi un tableau, une statue, un édifice, qui dans sa simplicité est la forme, l'original, le modèle immatériel de ce que j'exécuterai sur la pierre, sur le marbre, sur le bois, sur une toile où j'arrangerai toutes mes couleurs. J'aime ce dessein, cette idée, ce fils de mon esprit fécond et de mon art inventif. Et tout cela ne fait de moi qu'un seul peintre, un seul sculpteur, un seul architecte; et tout cela se tient ensemble et inséparablement uni dans mon esprit; et tout cela dans le fond, c'est mon esprit même, et n'a point d'autre substance; et tout cela est égal et inséparable.

Lequel des trois que l'on ôte, tout s'en va. Le premier qui est l'art, n'est pas plus parfait que le second qui est l'idée, ni le troisième qui est l'amour. L'art produit l'un et l'autre, et on suppose qu'il existe, quand il les produit. On ne peut dire ce qui est plus beau, ou de commencer ou de terminer, ou d'être pro

duit ou de produire. L'art qui est comme le père, n'est pas plus beau que l'idée qui est le fils de l'esprit ; et l'amour qui nous fait aimer cette belle production, est aussi beau qu'elle par leur relation mutuelle chacune a la beauté des trois. Et quand il faudra produire au dehors cette peinture ou cet édifice, l'art, et l'idée, et l'amour y concourront également, et en unité parfaite; en sorte que ce bel ouvrage se ressentira également de l'art, de l'idée, et de l'amour ou de la secrète complaisance qu'on aura pour elle.

Tout cela quoiqu'immatériel, est trop imparfait et trop grossier pour Dieu. Je n'ose lui en faire l'application : mais de là, aidé de la foi, je m'élève et je prends mon vol; et cette contemplation de ce que Dieu a mis dans mon ame quand il l'a créée à sa ressemblance, m'aide à faire mon premier effort.

VIII. ÉLÉVATION.

Sagesse essentielle, personnelle, engendrante et engendrée.

DIEU m'a possédée, dit la sagesse (1): c'est-àdire, Dieu m'a engendrée, conformément à cette parole d'Eve, quand elle enfanta Caïn : Jai, ditelle, possédé un homme par la grâce de Dieu (2). Il m'a engendrée, avant que de rien faire. Je suis ordonnée, et garde mon rang de toute éternité, et de toute antiquité, avant que la terre fút faite : les (1) Prov. VIII. 22.—(2) Gen. IV. 1.

abímes n'étoient pas encore, et j'étois déjà conçue. Dieu m'enfantoit devant les collines (1) ; c'est-à-dire, devant tous les temps et de toute éternité, parce qu'il n'y a que l'éternité avant tous les temps. Mais Dieu n'a-t-il de sagesse que celle qu'il engendre? A Dieu ne plaise: car nous-mêmes nous ne pourrions pas produire en nous notre verbe, notre parole intérieure, s'il n'y avoit en nous un fond de raison dont notre verbe est le fruit : à plus forte raison y a-t-il en Dieu une sagesse essentielle, qui étant primitivement et originairement dans le Père, le rend fécond pour produire dans son sein cette sagesse qui est son Verbe et son Fils, sa parole, sa raison, son intelligence, son conseil; l'idée de ce divin ouvrier qui précède tous ces ouvrages; le bouillonnement, pour ainsi dire, ou la première effusion de son cœur ; et la seule production qui le fait nommer vraiment Père avant tous les temps. C'est de là donc, dit saint Paul, que vient toute paternité dans le ciel et dans la terre (2). C'est de là, que nous est donnée, à nous qui croyons au Fils unique, la puissance d'être enfans de Dieu à son image, en naissant non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu (3), qui par sa bonté et par la grâce de son adoption, a daigné nous associer à son Fils unique.

(1) Prov. VIII. 22, 23, 24, 25. — (2) Ephes. 111. 15. 12, 13.

(3) Joan. 1.

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