Harpagon (montrant les hauts-de-chausses de la Flèche). N'as-tu rien mis ici dedans ? La Flèche. Voyez vous-même. Harpagon (tâtant le bas des hauts-de-chausses de la Flèche). Ces grands hauts-de-chausses sont propres à deve285 nir les recéleurs des choses qu'on dérobe, et je voudrais qu'on en eût fait pendre quelqu'un. La Flèche (à part). Ah! qu'un homme comme cela mériterait bien ce qu'il craint! et que j'aurais de joie à le voler! Je vous dis que vous fouilliez bien partout pour voir si je vous ai volé. Harpagon. C'est ce que je veux faire. (Harpagon fouille dans les poches de la Flèche.) 295 La Flèche (à part). La peste soit de l'avarice et des avaricieux! Comment? Que dis-tu ? La Flèche. Ce que je dis ? Harpagon. 300 Oui. Qu'est-ce que tu dis d'avarice et d'ava ricieux ? La Flèche. Je dis que la peste soit de l'avarice et des avaricieux. Mais qui est-ce que tu entends par-là ? De quoi vous mettez vous en peine? Je me mets en peine de ce qu'il faut. La Flèche. Est-ce que vous croyez que je veux parler de 310 vous ? Harpagon. Je crois ce que je crois; mais je veux que tu me dises à qui tu parles quand tu dis cela. Je parle. La Flèche. Je parle à mon bonnet. Et moi, je pourrais bien parler à ta barrette. 315 320 La Flèche. M'empêcherez-vous de maudire les avaricieux ? Harpagon. jaseret d'e Non; mais je t'empêcherai de jaser et d'être inso La Flèche (montrant à Harpagon une poche de sin justaucorps). Tenez, voilà encore une poche. Êtes-vous satia 335 La Flèche (à part). Me voilà fort bien congédié. Harpagon. Je te le mets sur ta conscience au moins. SCÈNE IV. HARPAGON, seul. Voilà un pendard de valet qui m'incommode fort et je ne me plais point à voir ce chien de boiteux-là. Certes, ce n'est pas une petite peine que de garder chez soi une grande somme d'argent; et bien heureux qui a tout son fait bien placé, et ne conserve 340 seulement que ce qu'il faut pour sa dépense. On n'est pas peu embarrassé à inventer dans toute une maison une cache fidèle; car, pour moi, les coffresforts me sont suspects, et je ne veux jamais m'y fier; je les tiens justement une franche amorce à voleurs; 345 et c'est toujours la première chose que l'on va attaquer. SCÈNE V. HARPAGON, ÉLISE et CLÉANTE, parlant ensemble et restant dans le fond du théâtre. Harpagon (se croyant seul). Cependant je ne sais si j'aurai bien fait d'avoir enterré dans mon jardin dix mille écus qu'on me rendit hier. Dix mille écus en or, chez soi, est une 350 somme assez... (A part, apercevant Élise et Cléante.) O ciel je me serai trahi moi-même! la chaleur m'aura emporté; et je crois que j'ai parlé haut, en raisonnant tout seul. (A Cléante et à Elise.) Qu'est-ce ? Harpagon. Je vois bien que vous en avez ouï quelques mots. C'est que je m'entretenais en moi-même de la peine qu'il y a aujourd'hui à trouver de l'argent, et je disais qu'il est bien heureux qui peut avoir dix mille écus 370 chez soi. Cléante. Nous feignions à vous aborder, de peur de vous interrompre. Harpagon. Je suis bien aise de vous dire cela, afin que vous n'alliez pas prendre les choses de travers, et vous 375 imaginer que je dise que c'est moi qui ai dix mille écus. Cléante. Nous n'entrons point dans vos affaires. |