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récrire une aussi grande lettre, je vous l'ai déjà dit', je 1689 m'enfuirois. Si vous trouvez que je pousse un peu loin ce chapitre, c'est qu'il me tient au cœur par-dessus toutes choses'.

:

Je ne réponds rien à ces comptes et à ces calculs que vous avez faits, à ces avances horribles, à cette dépense sans mesure cent vingt mille livres! Il n'y a plus de bornes deux dissipateurs ensemble, l'un voulant tout, l'autre l'approuvant, c'est pour abîmer le monde. Et n'étoit-ce pas le monde que la grandeur et la puissance de votre maison? Je n'ai point de paroles pour vous dire ce que je pense, mon cœur est trop plein. Mais qu'allezvous faire? Je ne le comprends point du tout. Sur quoi vivre? sur quoi fonder le présent et l'avenir? Que faiton, quand on est à un certain point? Nous comptions l'autre jour vos revenus : ils sont grands; il falloit vivre de la charge et laisser vos terres pour payer vos arrérages. J'ai vu que cela étoit ainsi; ce temps est bien changé, quoique vous ayez reçu bien des petites sommes qui devroient vous avoir soutenue, sans compter Avignon: il est aisé de voir que la dissipation vous a perdue du côté de la Provence. Enfin cela fait mourir, d'autant plus qu'il n'y a point de remède.

Dieu sait comme les dépenses de Grignan, et de ces compagnies sans compte et sans nombre, qui se faisoient un air d'y aller de toutes les provinces, et tous les enfants de la maison à la table jusqu'au menton, avec tous

7. Voyez au tome VIII, p. 560, la fin de la lettre du 28 mars précédent.

8. « C'est qu'en vérité il me tient au cœur. » (Édition de 1754.) 9. Cet alinéa et les deux suivants ne se lisent pas dans les éditions de Perrin. Ils ont été publiés pour la première fois en 1827, d'après notre ancienne copie, sur laquelle nous les avons collationnés de

nouveau.

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leurs gens et leur équipage, Dieu sait combien ils ont contribué à cette consomption de toutes choses. Enfin, quand on vous aime, on ne peut pas avoir le cœur content. Je ne sais comme sont faites les autres sortes d'amitiés que l'on a pour vous; on vous étouffe, on vous opprime et on crie à la dépense, et c'est ceux qui la font!

Eh! tournez-vous, de grâce, et l'on 10 vous répondra.

Je me veux détourner de toutes ces pensées; car elles m'empêchent fort bien de dormir. Je viens de faire mille tours par rapport à vous; cela me console de ma peine : Mme d'Acigné, pour lui demander la continuation de la neutralité auprès de M. Talon12; Mme et Mlle Roussereau: cela se retrouve pour les requêtes civiles; M. et Mme de Nesmond"; M. Bigot", à qui j'ai laissé un billet de vos compliments.

J'espère que le chevalier15, par M. de Cavoie, m'empêchera de payer les intérêts des intérêts, en payant dix-sept mille neuf cents livres1, que j'ai dans ma poche par le secours de ma belle-fille : si cela est, je vous prie

10. Notre copie donne « et on. » C'est un vers de la fable du Renard ayant la queue coupée (livre V, fable v). Le texte de la Fontaine est « Mais tournez-vous, de grâce.... >>

11. Voyez tome VII, p. 48, note 5.

12. Denis Talon, fils d'Omer Talon, était avocat général au parlement, comme l'avait été son père.

13. Guillaume de Nesmond, seigneur de Saint-Dizan, était président au parlement depuis 1664.

14. Il y avait au parlement de Paris, à la quatrième chambre des enquêtes, un frère de l'érudit Émeric Bigot, qui s'appelait Robert Bigot, seigneur de Monville.

15. « Monsieur le chevalier. » (Édition de 1754.) L'édition de 1737 n'a pas le commencement de cet alinéa, et reprend seulement à : « Je vous prie que M. de Grignan.......... »

16. C'était sans doute ce que Mme de Sévigné devait encore sur les cinquante mille francs empruntés à d'Harouys. Voyez la Notice, p. 259.

rai de le bien remercier; le chemin est un peu long pour une reconnoissance vive comme la mienne; mais c'est le plus digne du bienfait. Je vous prie que M. de Grignan réponde de sa propre main à votre belle-sœur : j'en suis contente; elle m'écrit mille douceurs et mille agaceries, qu'elle a un penchant pour lui qu'elle combat inutilement": enfin il faut un peu badiner avec elle, c'est le tour de son esprit.

Du Laurens n'est point encore parti; j'ai de l'impatience qu'il soit auprès de votre fils. Il n'est point du tout exposé présentement; jouissez, ma chère bonne, de cette paix. Il y a eu, en d'autres endroits, de petites échauffourées: Chamilly" a été un peu battu, et Gandelus 20 blessé assez considérablement; mais Toiras" a fait une petite équipée toute brillante, où il a battu et tué trois à quatre cents hommes 22. J'ai fait voir à l'abbé Bigorre

17. « Je vous prie, ma fille, que M. de Grignan réponde de sa propre main à votre belle-sœur ; elle m'écrit mille douceurs et mille agaceries pour lui; c'est un penchant qu'elle combat inutilement. » (Édition de 1737.) — « Je serai ravie que M. de Grignan réponde de sa propre main à votre belle-sœur ; elle m'écrit mille douceurs et mille agaceries pour lui; c'est, dit-elle, un penchant qu'elle combat inutilement. » (Édition de 1754.)

18. Cette phrase n'est pas dans les éditions de Perrin, qui toutes deux commencent ainsi la suivante : « Votre enfant n'est point du tout, etc. » — Ce Laurens ou du Laurens est encore nommé dans les lettres du 8 et du 15 juin suivants, p. 74 et p. 84; on ne voit pas bien clairement à quel titre il était attaché au jeune marquis.

19. Il avait essayé de surprendre le château d'Oberkirch, au delà d'Offenbourg, mais il fut repoussé. Voyez le Journal de Dangeau, au 2 avril 1689.

20. Louis Potier de Gêvres, marquis de Gandelus, né en 1660, colonel du régiment des vaisseaux, brigadier d'infanterie, lieutenant de Roi de Pontaudemer, troisième fils du duc de Gêvres. Il mourut quelques jours après des suites de cette blessure.

21. Voyez tome VII, p. 184, note 1.

22. « Trois ou quatre cents hommes. » (Éditions de 1737 et de 1754.) La phrase qui suit ne se lit pas ailleurs que dans notre manuscrit.

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votre compliment et celui du cardinal de Bonzi et de Mme de Castries 23: il les fera valoir. Les affaires d'Angleterre vont bien; le crédit du prince d'Orange devient tous les jours plus plus petit 2. Un mauvais plaisant a mis sur la porte de Wital: MAISON 25 A LOUER POUR LA SAINTJEAN; cette sottise fait plaisir. L'Écosse et l'Irlande sont entièrement contre ce prince. Le roi d'Angleterre a été fort bien reçu en Irlande; il a assuré les protestants d'une entière liberté de conscience, et même de sa protection", pourvu qu'ils lui fussent fidèles. C'est le mari de Mme d'Hamilton qui en est vice-roi". Il faut voir ce que tout deviendra : il me semble que c'étoit un gros nuage épais, noir, qui commence à s'éclaircir 28. Nous en avons vu de cette manière à Livry, qui se passoient sans

23. Sœur du cardinal. Voyez tome V, p. 85, note 15, et la note 7 de la lettre du 15 juin suivant, p. 81.

24. « Diminue tous les jours.» (Éditions de 1737 et de 1754.) 25. Un plaisant a mis sur la porte de Witehal: GRANDE MAISON, etc.» (Ibidem.) — Voyez tome VIII, p. 379, note 34.

26. «Il a assuré les protestants de toute sorte de liberté et de protection.» (Éditions de 1737 et de 1754.) « On a su, dit la Gazette du 2 avril, que le roi de la Grande-Bretagne étoit arrivé à Kingsale en Irlande (voyez tome VIII, p. 543, note 11, et p. 564, note 16), qu'il avoit passé à Corck, et qu'il avoit été reçu partout avec de grandes acclamations, même par les protestants. » Il fit son entrée à Dublin le 3 avril.

27. « Qui est vice-roi. » (Éditions de 1737 et de 1754.) — Richard Talbot, d'une famille irlandaise, mais anglaise d'origine, créé comte, puis en 1689 duc de Tyrconnel par Jacques II; il venait d'être fait vice-roi d'Irlande. Après la mort de.... Boynton, sa première femme, il avait épousé la belle Jennings des Mémoires de Gramont, veuve en 1667 de George Hamilton, l'un des frères de l'auteur des Mémoires. Il mourut en 1691, et sa femme, fort âgée, en 1731. Voyez sur lui, entre autres endroits, le chapitre x des Mémoires de Gramont, vers le milieu, et sur la belle Jennings le commencement du chapitre XI.

28. « Il faut voir ce que deviendront toutes ces affaires : il me semble que c'est un gros nuage noir, épais, chargé de grêle, qui commence à s'éclaircir. » (Éditions de 1737 et de 1754.)

orage": Dieu conduira tout. Adieu, ma chère belle : conservez-vous; faites écrire Pauline, pendant que vous Vous reposerez dans votre cabinet.

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Je vous avertis, ma chère enfant, de la part de Mme de la Fayette, et de toute la nombreuse troupe des vaporeux, que les vapeurs d'épuisement sont les plus dangereuses et les plus difficiles à guérir. Après cela, épuisez-vous, jouez-vous à n'oser plus baisser la tête sans douleur, et forcez-vous, malgré elle, à écrire et à lire, et vous trouverez que vous ne serez plus bonne à rien, car on devient une femme de verre. J'attribue ce mal à l'excès de vos écritures; retranchez-les donc, si vous nous aimez; et quand vous aurez envie de causer, mettez-vous sur votre lit de repos et faites écrire Pauline'; elle apprendra à penser et à tourner ses pensées : vous vous conserverez, et nous causerons ainsi avec vous,

29. Dans l'édition de 1737, par faute d'impression sans doute : • qui s'épaississoient sans orage. » La lettre finit au mot orage

dans notre manuscrit.

30. Au lieu de cette dernière phrase, l'édition de 1737 a seulement ces mots : « Adieu, ma chère fille; je suis tout entière à

vous. »

LETTRE 1160. 1. « Jouez-vous à ne plus oser baisser la tête sans douleur, forcez-vous à écrire et à lire, et vous trouverez bientôt que vous ne serez plus bonne à rien, vous deviendrez une femme de verre. Comme ce mal ne vient que de l'excès de vos écritures, je vous conjure de les retrancher, si vous nous aimez; mettez-vous sur votre lit de repos, quand vous aurez envie de causer, et faites écrire Pauline.» (Édition de 1754.)

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