Images de page
PDF
ePub

chemin et à celui qui vole et assassine. Il est visible que, pour la sûreté publique, il faudroit mettre quelque différence dans la peine.

A la Chine les voleurs cruels sont coupés en morceaux (1); les autres non. Cette différence fait qu'on y vole, mais qu'on n'y assassine pas.

[ocr errors]

En Moscovie, où la peine des voleurs et celle des assassins sont les mêmes, on assassine toujours (2). Les morts, y dit-on, ne racontent rien.

Quand il n'y a point de différence dans la peine, il faut en mettre dans l'espérance de la grace. En Angleterre on n'assassine point, parceque les voleurs peuvent espérer d'être transportés dans les colonies, non pas les assassins,

C'est un grand ressort des gouvernements modérés que les lettres de grace. Ce pouvoir que le prince a de pardonner, exécuté avec sagesse, peut avoir d'admirables effets. Le principe du gouvernement despotique, qui ne pardonne pas, et à qui l'on ne pardonne jamais, le prive de ces avantages.

CHAPITRE XVII.

De la question ou torture contre les criminels. PARCE QUE les hommes sont méchants, la loi est obligée de les supposer meilleurs qu'ils

(1) Du Halde, tome I, p. 6.—(2) Etat présent de la grande Russie, par Perry.

ne sont. Ainsi la déposition de deux témoins suffit dans la punition de tous les crimes; la loi les croit comme s'ils parloient par la bouche de la vérité. On juge aussi que tout enfant conçu pendant le mariage est légitime : la loi

a confiance en la mere comme si elle étoit la pudicité même. Mais la question contre les criminels n'est pas dans un cas forcé comme ceux-ci. Nous voyons aujourd'hui une nation très policée (1) la rejeter sans inconvénient. Elle n'est donc pas nécessaire par sa nature(2).

Tant d'habiles gens et de beaux génies ont écrit contre cette pratique, que je n'ose parler après eux. J'aliois dire qu'elle pourroit conve nir dans les gouvernements despotiques, où tout ce qui inspire la crainte entre plus dans les ressorts du gouvernement; j'allois dire que les esclaves, chez les Grecs et chez les Romains. ... Mais j'entends la voix de la nature qui crie contre moi.

(1) La nation anglaise.—(2) Les citoyens d'Athenes ne pouvoient être mis à la question (Lysias, orat. in Argorat.), excepté dans le crime de lesemajesté. On donnoit la question trente jours après la condamnation (Curius Fortunatus, Rhetor. Schol. liv. II). Il n'y avoit pas de question préparatoire. Quant aux Romains, la loi III et IV ad leg. Juliam majest. fait voir que la naissance, la dignité, la profession de la milice, garantissoient de la question, si ce n'est dans le cas de crime de lese-majesté. Voyez les sages restrictions que les lois des Wisigoths mettoient à cette pratique.

CHAPITRE XVIII.

Des peines pécuniaires, et des peines corporelles.

Nos peres les Germains n'admettoient guere que des peines pécuniaires. Ces hommes guerriers et libres estimoient que leur sang ne devoit être versé que les armes à la main. Les Japonais (1), au contraire, rejettent ces sortes de peines, sous prétexte que les gens riches éluderoient la punition. Mais les gens riches ne craignent-ils pas de perdre leurs biens? les peines pécuniaires ne peuvent-elles pas se proportionner aux fortunes? et enfin ne peut-on pas joindre l'infamie à ces peines?

Un bon législateur prend un juste milieu; il n'ordonne pas toujours des peines pécuniaires; il n'inflige pas toujours des peines corporelles,

CHAPITRE XIX.

De la loi du talion.

LES états despotiques, qui aiment les lois simples, usent beaucoup de la loi du talion (2); les états modérés la reçoivent quelquefois : mais il y a cette différence, que les premiers la font exercer rigoureusement, et que les

(1) Voyez Kempfer. — (2) Elle est établie dans l'Alcoran. Voyez le chap. De la Vache.

autres lui donnent presque toujours des tempéraments.

La loi des douze tables en admettoit deux; elle ne condamnoit au talion que lorsqu'on n'avoit pu appaiser celui qui se plaignoit (1). On pouvoit, après la condamnation, payer les dommages et intérêts (2), et la peine corporelle se convertissoit en peine pécuniaire (3).

CHAPITRE XX.

De la punition des peres pour leurs enfants.

ON N punit à la Chine les peres pour les fautes de leurs enfants. C'étoit l'usage du Pérou (4). Ceci est encore tiré des idées despotiques. On a beau dire qu'on punit à la Chine le de ce pouvoir paternel que la nature a établi, et que les lois mêmes y ont augmenté; cela suppose toujours qu'il n'y a point d'honneur chez les Chinois. Parmi nous, les peres dont les enfants sont condamnés au supplice, et les enfants (5) dont les peres ont subi le même sort, sont aussi punis par la honte qu'ils le seroient à la Chine par la perte de la vie.

pere pour n'avoir fait usage pas

(1) Si membrum rupit, zi cum eo pacet, talio esto. Aulu-Gelle, liv. XX, chap. I. — (2) Ibid. (3) Voyez aussi la loi des Wisigoths, 1. VI, tit. IV, §. 3 et 5.—(4) Voyez Garcilasso, Histoire des guerres civiles des Espagnols.--(5) Au lieu de les punir, disoit Platon, il faut les louer de ne pas ressembler à leur pere. Liv. IX des Lois.

CHAPITRE XXI,

De la clémence du prince.

La clémence est la qualité distinctive des monarques. Dans la république, où l'on a pour principe la vertu, elle est moins nécessaire. Dans l'état despotique, où regne la crainte, elle est moins en usage, parcequ'il faut contenir les grands de l'état par des exemples de sévérité. Dans les monarchies, où l'on est gouverné par l'honneur, qui souvent exige la loi défend, elle est plus nécessaire. La disgrace y est un équivalent à la peine; les formalités mêmes des jugements y sont des punitions. C'est là que la honte vient de tous côtés pour former des genres particuliers de peine.

ce que

Les grands y sont si fort punis par la disgrace, par la perte souvent imaginaire de leur fortune, de leur crédit, de leurs habitudes, de leurs plaisirs, que la rigueur à leur égard est inutile; elle ne peut servir qu'à ôter aux sujets l'amour qu'ils ont pour la personne du prince, et le respect qu'ils doivent avoir pour les places.

Comme l'instabilité des grands est de la nature du gouvernement despotique, leur sûreté entre dans la nature de la monarchie.

Les monarques ont tant à gagner par la clémence, elle est suivie de tant d'amour, ils en tirent tant de gloire, que c'est presque tou

« PrécédentContinuer »