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mélèzes rampants et de bouleaux3 nains deviennent le seul ornement de ces misérables contrées; enfin, des marais chargés de mousse se montrent comme le dernier effort d'une nature expirante; après quoi toute trace de végétation disparaît. Néanmoins c'est là qu'au milieu des horreurs d'un éternel hiver, la nature a encore des pompes magnifiques; c'est là que les aurores boréales sont fréquentes et majestueuses, et qu'embrassant l'horizon en forme d'arc très-clair d'où partent des colonnes de lumière mobile, elles donnent à ces régions hyperborées1 des spectacles dont les merveilles sont inconnues aux peuples du midi. Au sud de Tobolsk s'étend le cercle d'Ischimd; des landes, parsemées de tombeaux et entrecoupées de lacs amers, le séparent des Kirguis, peuple nomade et idolâtre. À gauche il est borné par l'Irtish, qui va se perdre, après de nombreux détours, sur la frontière de la Chine, et à droite par le Tobol. Les rives de ce fleuve sont nues et stériles; elles ne présentent à l'œil que des fragments de rocs brisés, entassés les uns sur les autres, et surmontés de quelques sapins; à leur pied, dans un angle du Tobol, on trouve le village domanial de Saïmka; sa distance de Tobolsk est de plus de cinq cents verstes. Placé jusqu'à la dernière limite du cercle, au milieu d'un pays désert, tout ce qui l'entoure est sombre comme son soleil, et triste comme son climat.

Cependant le cercle d'Ischim est surnommé l'Italie de la Sibérie, parce qu'il a quelques jours d'été, et que l'hiver n'y dure que huit mois: mais il y est d'une rigueur extrême. Le vent du nord qui souffle alors continuellement, arrive chargé des glaces des déserts arctiques, et en apporte un froid si pénétrant et si vif, que, dès le mois de septembre, le Tobol charrie des glaces. Une neige épaisse tombe sur la terre, et ne la quitte plus qu'à la fin de mai. Il est vrai qu'alors, quand le soleil commence à la fondre, c'est une chose merveilleuse que la promptitude avec laquelle les arbres se couvrent de feuilles et les champs de verdure; deux ou trois jours suffisent à la nature pour faire épanouir toutes ses fleurs. On croirait presque entendre le bruit de la végétation; les chatons des bouleaux

exhalent une odeur de rose: le cytise velue s'empare de tous les endroits humides; des troupes de cigognes, de canards tigrés, d'oies du nord, se jouent à la surface des lacs; la grue blanche s'enfonce dans les roseaux des marais solitaires pour y faire son nid, qu'elle natte industrieusement avec de petits joncs; et dans les bois, l'écureuil volant, sautant d'un arbre à l'autre, et fendant l'air à l'aide de ses pattes et de sa queue chargée de laine, va ronger les bourgeons 10 des pins et le tendre feuillage des bouleaux. Ainsi, pour les êtres animés qui peuplent ces froides contrées, il est encore d'heureux jours: mais pour les exilés qui les habitent, il n'en est point.

La plupart de ces infortunés demeurent dans les villages qui bordent le fleuve, depuis Tobolsk jusqu'aux limites du cercle d'Ischim; d'autres sont relégués dans des cabanes au milieu des champs. Le gouvernement fournit à la nourriture de quelques-uns; ceux qu'il abandonne vivent de leurs chasses d'hiver: presque tous sont en ces lieux l'objet de la pitié publique, et n'y sont désignés que par nom de malheureux.

MADAME COTTIN. Elisabeth, ou les exilés de Sibérie.

MADAME COTTIN (Sophie),

Née en 1773, morte en 1807. Enlevée aux lettres à l'âge de trente-cinq ans, madame Cottin nous a légué par les ouvrages qu'elle a publiés, des regrets pour ceux que nous pouvions encore espérer d'elle. Son roman de Mathilde est regardé comme son chef-d'œuvre. Élisabeth, que plusieurs placent au même rang, doit son intérêt à un sentiment calme et doux, la tendresse filiale.

a La mer Glaciale ou Septentrionale borne la frontière de tout le nord de la Russie; c'est-à-dire, depuis le 50° degré, jusqu'au 205o de longitude, est du méridien de Paris.

Verste, mesure en Russie. Une verste et demie est à peu près égale au mille d'Angleterre.

• Phénomène lumineux, qui paraît quelquefois, la nuit, dans le ciel du côté du nord.

Le cercle d'Ischim prend son nom de la rivière de ce nom. C'est un désert immense de la Sibérie.

Le cytise est un arbrisseau originaire des Alpes.

ÉRUPTION DU VOLCAN DE QUITO.

HEUREUX les peuples qui habitent les vallées et les collines que la mer a formées dans son sein des sables que roulent ses flots et des dépouilles de la terre! Le pasteur y conduit ses troupeaux sans alarmes : le laboureur y sème et y moissonne en paix. Mais malheur aux peuples voisins de ces montagnes sourcilleuses dont le pied n'a jamais trempé dans l'Océan, et dont la cîme s'élève au-dessus des nues! Ce sont des soupiraux1 que le feu souterrain s'est ouverts en brisant la voûte des fournaises profondes où sans cesse il bouillonne. Il a formé ces monts des rochers cal

cinés, des métaux brûlants et liquides, des flots de cendres et de bitume qu'il lançait, et qui, dans leur chûte, s'accumulaient aux bords de ces gouffres ouverts. Malheur aux peuples que la fertilité de ce terrain perfide attache! Les fleurs, les fruits et les moissons couvrent l'abîme sous leurs pas. Ces germes de fécondité dont la terre est pénétrée, sont les exhalaisons du feu qui la dévore; sa richesse, en croissant, présage sa ruine, et c'est au sein de l'abondance qu'on lui voit engloutir ses heureux possesseurs. Tel est le climat de Quito. La ville est dominée par un volcan terrible, qui, par de fréquentes secousses, en ébranle les fondements.

Un jour que le peuple indien, répandu dans les campagnes, labourait, semait, moissonnait (car ce riche vallon présente tous ces travaux à la fois), et que les filles du Soleil, dans l'intérieur de leur palais, étaient occupées les unes à filer, les autres à ourdir les précieux tissus de laine dont le pontife et le roi sont vêtus, un bruit sourd2 se fait d'abord entendre dans les entrailles du volcan. Ce bruit, semblable à celui de la mer, lorsqu'elle conçoit les tempêtes, s'accroît, et se change bientôt en un mugissement profond. La terre tremble, le ciel gronde, de noires vapeurs l'enveloppent, le temple et les palais chancellent et menacent de s'écrouler; la montagne s'ébranle, et sa cîme entr'ouverte vomit, avec les vents enfermés dans son sein, des flots de bitume liquide et des tourbillons de fumée qui

rougissent, s'enflamment, et lancent dans les airs des éclats de rochers brûlants qu'ils ont détachés de l'abîme: superbe et terrible spectacle de voir des rivières de feu bondir à flots étincelants, au travers des monceaux de neige, et s'y creuser un lit vaste et profond!

Dans les murs, hors des murs, la désolation, l'épouvante, le vertiges de la terreur, se répandent en un instant. Le laboureur regarde, et reste immobile. Il n'oserait entamer la terre qu'il sent comme une mer flottante sous ses pas. Parmi les prêtres du Soleil, les uns tremblants s'élancent hors du temple; les autres consternés embrassent l'autel de leur dieu. Les vierges éperdues sortent de leur palais, dont les toits menacent de fondre sur leur tête, et courant dans leur vaste enclos, pâles, échevelées, elles tendent leurs mains timides vers ces murs d'où la pitié même n'ose approcher pour les secourir.

MARMONTEL. Les Incas. (Voyez la page 53.)

a Quito, ville célèbre de l'Amérique, actuellement la capitale de la république et chef-lieu du département de l'Equateur.

VOYAGE DE BRIGHTON À LONDRES.

La propreté recherchée1 des villes d'Angleterre est si connue, qu'en arrivant à Brighton, je m'étonnais d'être forcé de m'étonner. Qu'on suppose un assemblage de décorations pleines de grâce et de légèreté comme celles que l'imagination désirerait dans un théâtre magique, et on aura quelque idée de notre première station. Brighton n'offre d'ailleurs aucun monument digne de remarque, à moins qu'on ne donne ce nom au palais du Prince Régenta, qui est construit dans le genre oriental, et probablement sur le plan de quelque édifice de l'Inde. Il y a peu d'harmonie entre ce style levantin et de jolies bastides à l'italienne, élevées sous un ciel septentrional; mais c'est le sceau d'une puissance qui étend son sceptre sur une partie de l'Orient, et qui en tire ses principaux éléments de prospérité. Cette

incohérence ne va pas mal, au reste, dans un tableau d'illusions. La féerie n'est pas soumise à la règle des unités.

J'ai continué mon voyage par un chemin sans ornières1, sans embarras, sans cahots, dans une voiture commode, élégante, ornée avec goût, que traînaient, ou plutôt qu'enlevaient quatre chevaux superbes, tous pareils, tous du même pas, qui dévoraient l'espace en rongeant des mords 5 d'un poli éclatant, et en frémissant sous des harnais d'une simplicité noble et riche. Un cocher à livrée les dirigeait; un jockei, d'une figure et d'une tournure charmantes, excitait leur ardeur. De deux lieues en deux lieues, des postillons attentifs, point grossiers, point impertinents et point ivres, venaient remplacer l'attelage par des chevaux frais, toujours semblables aux premiers, et qu'on voyait de loin frapper la terre, comme pour solliciter la carrière promise à leur impatience. Quoique le trajet ne soit pas long, il n'est point de prévenances délicates dont les enchanteurs qui me conduisaient ne se soient avisés 8 pour l'embellir. À moitié chemin, un majore-dome officieux m'a introduit dans un salon magnifique, où étaient servis toutes sortes de rafraîchissements: un thé limpide qui perlait dans la porcelaine; un porter écumeux qui bouillonnait dans l'argent ; et, sur une autre table, des mets choisis, copieux, variés, qu'arrosait le Porto. Après cela, je me suis remis en route, et les coursiers empressés... Mais il est peut-être temps de reprendre haleine, et de dire, en termes plus positifs, que l'Angleterre est le premier pays du monde pour ses chevaux, ses voitures publiques et ses auberges.

NODIER (Charles),

NODIER.

Né à Besançon en 1783; auteur vivant. Membre de l'Académie française. Connu du public par des romans pleins d'esprit et d'intérêt.

M. Charles Nodier a aussi mérité l'estime des savants et a pris place dans leurs rangs, par d'importants travaux comme grammairien, philologue, bibliographe et critique.

a Le Prince Régent qui fut ensuite George IV., roi d'Angleterre, mort en 1830.

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