Images de page
PDF
ePub

de la pluie qui tombait comme une multitude de cascades, le roulement de tous les torrents enflés et charroyant des forêts avec fracas dans leurs gorges profondes, le déchirement aigu des arbres et les sons plus sinistres encore que rendaient les essontes de la toiture sous lesquelles les vents se jouaient.

On eût dit le rire éclatant et moqueur de démons présidant à ces terribles fléaux. Mais bientôt tous ces bruits, tous ces sons, se confondirent avec les coups du tonnerre des Tropiques; le redoublement du vent et les frémissements du sol annoncèrent une nouvelle crise. Les hommes frissonnaient, et les femmes, à genoux autour de leur maîtresse, invoquaient le Seigneur....

Enfin une fenêtre enfoncée donna passage au vent qui frappa les cloisons comme un boulet de canon. La maison, bâtie presque de bois, fit entendre un craquement général. Le plafond et le toit enlevés se balancèrent un instant, puis s'envolèrent comme si une main de géant les eût arrachés. Les poutres, les cloisons cédèrent, et au fracas de leur chute succéda un affreux silence. La tempête se reposait, satisfaite de son ouvrage.

Quelques instants après, ceux qui avaient survécu à cette horrible catastrophe sortirent des décombres. . . .

Il était cinq heures du matin; l'ouragan, fatigué de ses gigantesques efforts, ne se manifestait plus que par quelques faibles bouffées de vent; mais le monstre semblait en fuyant faire encore retentir sa voix dans l'âme terrifiée de ses victimes....

Partout sur la route et dans l'intérieur du pays on rencontrait des traces de l'ouragan. . . . Des habitations se montraient avec leurs cases abattues, leurs bâtiments écroulés ou privés de leur toiture, leurs plantations bouleversées ou détruites. Devant les maisons on ne voyait que quelques noirs immobiles dans diverses attitudes, ou un planteur, les bras croisés sur sa poitrine, la tête penchée, absorbé dans le calcul de ses pertes. Ailleurs, quelques hommes emportant des cadavres ou traînant les corps des bestiaux écrasés ou étouffés par le vent. Tout était muet;

aucune voix humaine, aucun cri d'animal ne rompait ce silence funèbre; les oiseaux, cachés dans les trous des rochers, et à moitié engourdis, ne fesaient entendre aucun chant; les insectes avaient péri par myriades. On sentait que la mort avait passé partout. LEVILLOUX.

LEVILLOUX (de la Martinique);

Auteur vivant. Nous avons de lui Les Créoles.

a Les Antilles, archipel de l'Océan Atlantique, situé entre les deux Amériques. Cuba, la Jamaïque, Haïti et Porto-Rico, sont les grandes Antilles; parmi les petites on remarque la Martinique, la Guadeloupe, à la France; la Barbade, à l'Angleterre, etc.

UNE TROMBE EN MER.

Nous étions à cent lieues environ de Saint-Dominguea. Depuis que nous avions quitté les côtes de France, aucun évènement n'avait marqué notre navigation. La brise, qui se fesait à peine sentir le matin, et qui nous avait obligés de mettre toutes voiles dehors, commençait à fraîchir; bientôt, et presque sans transition, le vent s'éleva, devint impétueux, et notre brick fendit les ondes avec une effrayante rapidité....

Quoique le vent se fût si subitement élevé, le temps était beau, la voûte du ciel était d'un bleu d'azur; au couchant, l'horizon, enflammé alors par le soleil qui descendait majestueusement dans la mer, avait l'aspect d'un vaste incendie; la surface des eaux, resplendissante de lumière, ressemblait à un lac sans bornes de matières en fusion ; et si par hasard quelque oiseau de mer venait à passer dans cette partie du ciel, nos yeux, qui ne le suivaient qu'avec peine, nous le montraient comme ces flammèches noires de papier brûlé, que leur légèreté élève au dessus des flammes. L'Océan, éclairé par les rayons du soir, ressemblait à un immense tapis de bronze que labourait rudement le navire. Nous gouvernions droit sur le soleil. Un spectateur, placé à distance, eût pu croire, sans doute, que nous allions être

réduits en cendres en atteignant ce foyer enflammé, comme le moucheron qui voltige vers la bougie et vient y brûler ses ailes; et, ce qui complétait cette scène merveilleuse et magique, c'est que l'ombre alongée du navire avec ses agrès, que la mobilité des flots variait, changeait, modifiait de la manière la plus fantastique, représentait notre brick comme le géant de la navigation. . .

...

Tout à coup de grosses lames blanches, tourbillonnantes, écumeuses, et que les rayons enflammés du soleil rendaient éblouissantes, vinrent frapper la proue de notre brick qui nageait alors au milieu des flots d'écume.

Cependant le bouillonnement de l'eau, s'étendant d'une manière circulaire, avait atteint déjà cent toises de diamètre environ; on eût dit, à voir ce roulement des ondes, que la mer était agitée par quelque convulsion intérieure. Bientôt l'eau s'éleva comme une petite colline, et marcha devant nous, se gonflant à mesure qu'elle avançait avec un bruit, un mugissement dont je ne pouvais deviner la cause, mais qui n'avait rien toutefois de bien effrayant. Peu à peu, et du milieu de cette montagne liquide, je vis naître, surgir, s'élever une colonne qui monta en tourbillonnant, sifflant, s'alongeant toujours et touchant presque de sa tête aux nuages. C'était alors un spectacle admirable et sublime que ce pilier de cristal entre la terre et le ciel; les reflets du soleil l'avaient coloré de leurs mille nuances, et les couleurs de l'arc-en-ciel, qui s'y réunissaient comme dans un prisme, éclairaient le cône d'une lumière vive, pourprée, chatoyante, tandis que l'ombre, refoulée vers sa base, la fesait paraître sur un socle d'airain, supporté par des flocons de neige.

"Une trombe! une trombe!” s'écrièrent en même temps officiers et matelots.

À ces mots, j'éprouvai un moment de terreur involontaire: c'était la première fois que je voyais ce phénomène qui, dans les descriptions mensongères ou tout au moins exagérées que j'en avais lues, m'avait été dépeint comme très-dangereux. Je m'étais fait de cet accident de la mer une idée des plus terribles: il me semblait que nous allions

être bientôt engloutis sous cette masse d'eau; mais l'expression calme des visages me rassura. Cependant le silence de l'admiration, et non celui de la terreur, régnait parmi les matelots, et toutes les précautions se bornaient à manœuvrer pour éviter la rencontre de la trombe.

Après avoir admiré pendant quelques instants cette scène vraiment magique, le capitaine cria:

"Mettez au sabord, et chargez la caronade de l'avant!" Et quand cet ordre eut été exécuté: "Lofe, timonier! lofe un peu...bien...gouverne comme cela. Attention devant!... Feub!"

Le coup partit, retentit au dessus de l'abîme, et le boulet, coupant la colonne par sa base, elle trembla, chancela un instant, puis tomba tout à coup, semblable à une immense avalanche.

Quelques secondes après, l'Océan ne laissait plus aucune trace de ce phénomène extraordinaire. Nous avions repris notre course vers le couchant; le disque du soleil, caché à demi, nous éclairait encore de ses derniers rayons; la vaste mer, partout déserte, se rembrunissait peu à peu; et l'élégant navire courait, bondissant de nouveau sur cette plaine houleuse avec la rapidité d'une flèche, comme s'il eût voulu lutter de vitesse avec l'astre du soir. Tout à coup la lumière sembla s'éteindre (dans ces climats l'obscurité succède au jour sans gradation); la transition fut presque subite: il n'y eut pas de crépuscule; et les flots, le sillage, la mer, le navire, l'horizon disparurent, et tout s'évanouit à la fois dans les ombres de la nuit.

P. HENNEQUIN. Revue maritime.

HENNEQUIN (P.),

Auteur vivant. Né à Paris en 1799, l'un des rédacteurs de la Revue maritime, des Cent-et-un, &c.

a Saint-Domingue, aujourd'hui Haïti, île de l'archipel des Antilles. Sous le rapport de l'étendue, elle est la seconde des grandes Antilles. Cuba, qui est la première, est la seule possession importante que l'Espagne ait conservée en Amérique.

b Langage tout maritime, dont voici l'explication:

1. Sabord, embrasure ou canonnière dans le bordage d'un vaisseau, et par laquelle passe la bouche d'un canon.

2. Caronade, grosse pièce d'artillerie, courte et renflée à la culasse.

3. L'avant du vaisseau est la proue, c'est la partie qui s'avance la première dans la mer.

4. Lofer signifie venir au vent.

5. Le timonier est, sur un vaisseau, celui qui, posté au devant de l'habitacle, tient le timon du gouvernail pour conduire et gouverner sous les ordres du pilote.

LE REQUIN.

CE formidable squalea parvient jusqu'à une longueur de plus de dix mètres; il pèse quelquefois près de cinquante myriagrammes (mille livres), et il s'en faut de beaucoup1 que l'on ait prouvé que l'on doit regarder comme exagérée l'assertion de ceux qui ont prétendu qu'on avait pêché un requin du poids de plus de cent quatre-vingt-dix myriagrammes.

Mais la grandeur n'est pas son seul attribut; il a reçu aussi la force et des armes meurtrières; et, féroce autant que vorace, impétueux dans ses mouvements, avide de sang, insatiable de proie, il est véritablement le tigre de la mer. Recherchant sans crainte tout ennemi, poursuivant avec plus d'obstination, attaquant avec plus de rage, combattant avec plus d'acharnement que les autres habitants des eaux; plus dangereux que plusieurs cétacés, qui, presque toujours, sont moins puissants que lui; inspirant même plus d'effroi que les baleines, qui, moins bien armées, et douées d'appétits bien différents, ne provoquent presque jamais ni l'homme ni les grands animaux; rapide dans sa course, répandu sur tous les climats, ayant envahi, pour ainsi dire, toutes les mers; paraissant souvent au milieu des tempêtes, aperçu facilement par l'éclat phosphorique dont il brille au milieu des ombres des nuits les plus orageuses, menaçant de sa gueule énorme et dévorante les infortunés navigateurs exposés aux horreurs du naufrage, leur fermant toute voie de salut, leur montrant en quelque sorte leur tombe ouverte, et plaçant sous leurs yeux le signal de la

« PrécédentContinuer »