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écrit: on se fait une habitude d'exprimer simplement et no. blement sa pensée sans effort. Ce n'est point une étude; il n'en coûte aucune peine de lire ce qui est bon, et de ne lire que cela. On n'a de maître que son plaisir et son goût.

Pardonnez, mademoiselle, à ces longues réflexions; ne les attribuez qu'à mon obéissance à vos ordres. J'ai l'hon

neur, etc.

VOLTAIRE (François-Arouet de),

Né en 1694, mort en 1778. Génie universel, il ne fut étranger à aucune gloire littéraire. L'Épopée lui doit le seul poème français dont elle puisse s'enorgueillir la Henriade. La Tragédie lui doit Edipe, Brutus, la Mort de César, Alzire, Mahomet, Zaïre, Mérope, &c. L'Histoire lui est redevable de Charles XII, Pierre-le-Grand, le Siècle de Louis XIV, &c., &c.

J. J. ROUSSEAU À UN JEUNE HOMME QUI DEMANDAIT
À S'ÉTABLIR À MONTMORENCY, POUR PROFITER
SES LEÇONS.

DE

Vous ignorez, monsieur, que vous écrivez à un pauvre homme accablé de maux, et de plus fort occupé, qui n'est guère en état de vous répondre, et qui le serait encore moins d'établir avec vous la société que vous lui proposez. Vous m'honorez, en pensant que je pourrais vous être utile, et vous êtes louable du motif qui vous le fait désirer; mais sur le motif même, je ne vois rien de moins nécessaire que de vous établir à Montmorency: vous n'avez pas besoin d'aller chercher si loin les principes de la morale.

Rentrez dans votre cœur, et vous les y trouverez, et je ne pourrai rien vous dire à ce sujet, que ne vous dise encore mieux votre conscience, quand vous la voudrez consulter. La vertu, monsieur, n'est pas une science qui s'apprend avec tant d'appareil: pour être vertueux, il suffit de vouloir l'être; et si vous avez bien cette volonté, tout est fait; votre bonheur est décidé.

S'il m'appartenait de vous donner des conseils, le premier que je voudrais vous donner serait de ne point vous livrer à ce goût que vous dites avoir pour la vie contem

plative, et qui n'est qu'une paresse de l'âme, condamnable à tout âge, et surtout au vôtre. L'homme n'est point fait pour méditer, mais pour agir; la vie laborieuse que Dieu nous impose n'a rien que de doux au cœur de l'homme de bien qui s'y livre en vue de remplir son devoir, et la vigueur de la jeunesse ne vous a pas été donnée pour la perdre à d'oisives contemplations.

Travaillez done, monsieur, dans l'état où vous ont placé vos parents et la Providence: voilà le premier précepte de la vertu que vous voulez suivre; et si le séjour de Paris, joint à l'emploi que vous remplissez, vous paraît d'un trop difficile alliage1 avec elle, faites mieux, monsieur, retournez dans votre province; allez vivre dans le sein de votre famille; servez, soignez vos vertueux parents: c'est là que vous remplirez véritablement les soins que la vertu vous impose.

Une vie dure est plus facile à supporter en province que la fortune à poursuivre à Paris, surtout quand on sait, comme vous ne l'ignorez pas, que les plus indignes manéges 2 y font plus de fripons gueux 3 que de parvenus*. Vous ne devez point vous estimer malheureux de vivre comme fait monsieur votre père; et il n'y a point de sort que le travail, la vigilance, l'innocence et le contentement de soi ne rendent supportable, quand on s'y soumet en vue de remplir son devoir.

Voilà, monsieur, des conseils qui valent tous ceux que vous pourriez venir prendre à Montmorency: peut-être ne seront-ils pas de votre goût, et je crains que vous ne preniez pas le parti de les suivre: mais je suis sûr que vous vous en repentirez un jour. Je vous souhaite un sort qui ne vous force jamais à vous en souvenir.

ROUSSEAU (Jean-Jacques),

Né à Genève en 1725, mort en 1778. Les ouvrages que cet écrivain célèbre a composés l'ont placé au rang des premiers pro sateurs français. La clarté, l'ordre, la précision du style sont les qualités qui le distinguent. Il excella aussi dans la musique; son Devin de village est un chef-d'œuvre de grâce et de sensibilité.

RÉCIT D'UN VOYAGE EN CALABRE.

EXTRAIT D'UNE

LETTRE DE P. L. COURIER.

UN jour je voyageais en Calabre. C'est un pays de méchantes gens, qui, je crois, n'aiment personne, et en veulent surtout aux Français. De vous dire pourquoi, cela serait long; suffit qu'ils nous haïssent à mort, et qu'on passe fort mal son temps lorsqu'on tombe entre leurs mains. J'avais pour compagnon un jeune homme d'une figure.... Je ne dis pas cela pour vous intéresser, mais parce que c'est la vérité. Dans ces montagnes les chemins sont des précipices, nos chevaux marchaient avec beaucoup de peine; mon camarade allant devant, un sentier qui lui parut plus praticable et plus court nous égara. Ce fut ma faute, devais-je me fier à une tête de vingt ans? Nous cherchâmes, tant qu'il fit jour, notre chemin à travers ces bois; mais plus nous cherchions, plus nous nous perdions, et il était nuit noire quand nous arrivâmes près d'une maison fort noire. Nous y entrâmes, non sans soupçon, mais comment faire? Là nous trouvons toute une famille de charbonniers à table, où du premier mot on nous invita. Mon jeune homme ne se fit pas prier: nous voilà mangeant et buvant, lui du moins, car pour moi j'examinais le lieu et la mine de nos hôtes. Nos hôtes avaient bien mines de charbonniers ; mais la maison, vous l'eussiez prise pour un arsenal. Ce n'étaient que fusils, pistolets, sabres, couteaux, coutelas. Tout me déplut, et je vis bien que je déplaisais aussi. Mon camarade au contraire: il était de la famille, il riait, il causait avec eux; et par une imprudence que j'aurais dû prévoir, il dit d'abord d'où nous sommes, où nous allions, qui nous étions; Français, imaginez un peu ! chez nos plus mortels ennemis, seuls, égarés, si loin de tout secours humain! et puis, pour ne rien omettre de ce qui pouvait nous perdre, il fit le riche, promit à ces gens pour la dépense, et pour nos guides le lendemain, ce qu'ils voulurent. Enfin, il parla de sa valise1, priant fort qu'on en eût grand soin, qu'on la mît au chevet de son lit; il ne voulait point, disaitil, d'autre traversin. Ah! jeunesse ! jeunesse! que votre

âge est à plaindre; cousine, on crut que nous portions les diamants de la couronne: ce qu'il y avait qui lui causait tant de souci dans cette valise, c'étaient les lettres de sa inaîtresse.

Le souper fini on nous laisse; nos hôtes couchaient en bas, nous dans la chambre haute où nous avions mangé; une soupentes élevée de sept à huit pieds, où l'on montait par une échelle, c'était là le coucher qui nous attendait, espèce de nid, dans lequel on s'introduisait en rampant sous des solives1 chargées de provisions pour toute l'année. Mon camarade y grimpa seul, et se coucha tout endormi, la tête sur la précieuse valise. Moi, déterminé à veiller, je fis bon feu, et m'assis auprès. La nuit s'était déjà passée presque entière assez tranquillement, et je comniençais à me rassurer, quand sur l'heure où il me semblait que le jour ne pouvait être loin, j'entendis au-dessous de moi notre hôte et sa femme parler et se disputer; et prêtant l'oreille par la cheminée qui communiquait avec celle d'en bas, je distinguai parfaitement ces propres mots du mari: “Eh bien! enfin voyons, faut-il les tuer tous deux? à quoi la femme répondit: "Oui," et je n'entendis plus rien. Que vous dirai-je ? je restai respirant à peine, tout mon corps froid comme un marbre; à me voir, vous n'eussiez su si j'étais mort ou vivant. Ciel quand j'y pense encore!... Nous deux presque sans armes, contre eux douze ou quinze qui en avaient tant! Et mon camarade mort de sommeil et de fatigue! L'appeler, faire du bruit, je n'osais; m'échapper tout seul, je ne pouvais; la fenêtre n'était guère haute, mais en bas deux gros dogues hurlant comme des loups.... En quelle peine je me trouvais, imaginez-le, si vous pouvez. Au bout d'un quart d'heure qui fut long, j'entends sur l'escalier quelqu'un, et par les fentes de la porte, je vis le père, sa lampe dans une main, dans l'autre un de ses grands couteaux. Il montait, sa femme après lui; moi derrière la porte; il ouvrit; mais avant d'entrer il posa la lampe que sa femme vint prendre; puis il entre pieds nus, et elle de dehors lui disait à voix basse, masquant avec ses doigts le trop de lumière de la lampe: "Douce

ment, va doucement." Quand il fut à l'échelle, il monte, son couteau dans les dents, et venu à la hauteur du lit, ce pauvre jeune homme étendu offrant sa gorge découverte, d'une main il prend son couteau, et de l'autre. . . . Ah! cousine... il saisit un jambon qui pendait au plancher, en coupe une tranche, et se retire comme il était venu. La porte se referme, la lampe s'en va, et je reste seul à mes réflexions.

Dès que le jour parut, toute la famille, à grand bruit, vint nous éveiller, comme nous l'avions recommandé. On apporte à manger: on sert un déjeuner fort propre, fort bon, je vous assure. Deux chapons en faisaient partie, dont il fallait, dit notre hôtesse, emporter l'un et manger l'autre. En les voyant, je compris enfin le sens de ces terribles mots: "Faut-il les tuer tous deux?" Et je vous crois, cousine, assez de pénétration pour deviner à présent ce que cela signifiait.

Cousine, obligez-moi ne contez point cette histoire. D'abord, comme vous voyez, je n'y joue pas un beau rôle, et puis vous me la gâterez. Tenez, je ne vous flatte point; c'est votre figure qui nuirait à l'effet de ce récit. Moi, sans me vanter, j'ai la mine qu'il faut pour les contes à faire peur. Mais vous, voulez-vous conter? Prenez des sujets qui aillent à votre air, Psyché, par exemple.

COURIER (Paul-Louis),

Né en 1772, mort en 1825. Auteur de plusieurs lettres fort estimées. La naïveté des détails et le naturel des expressions sont les caractères qui les distinguent.

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