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meubles en débris, d'énormes poutres, et tout ce dont le désespoir armait ses mains infatigables.

Les Prétoriens, étonnés, lèvent la tête avec une dédaigneuse fureur, et entendent le peuple rugir de joie, alors que quelques-uns des leurs tombent accablés sous quelques débris: des deux côtés de la voie Appienne, c'est la même défense, ce sont les mêmes insultes, les mêmes dangers; ils regardent avec horreur ces blessures que n'a point faites le fer d'une lance ou d'une flèche, et répondent par des imprécations aux coups qui les atteignent de si loin.

Mais un soldat gaulois, qui a vu son camarade renversé à côté de lui, sous une large dalle, lancée du haut d'un toit, fait un saut en arrière, et, saisissant, au coin d'un palais, quelques brins de foin qui avaient servi de couche à un malheureux Juif: "S'ils combattent comme des renards," s'écrie-t-il, "enfumons-les dans leurs tannières." Et, se précipitant dans un vestibule enfoncé, où brûlait une lampe en l'honneur d'un dieu laree, il y allume le brandon qu'il agite, le montre à ses compagnons qui applaudissent, et pénètre dans la maison qu'il livre de tous côtés à la flamme. "Le feu! le feu!" répètent aussitôt les Prétoriens; et, se saisissant des débris de meubles et de toitures dont les rues sont encombrées, ils en font des monceaux sous les portiques des palais, et y mettent le feu, qu'ils attisent en vomissant d'horribles menaces contre un ennemi qui les force à ce genre de combat.

Ce fut un effrayant spectacle, sitôt que la fumée monta au faîte des maisons, de voir cette multitude qui s'y trouvait amoncelée, se regarder avec étonnement, s'interroger, pâlir et pousser enfin d'affreux gémissements à chaque jet de flammes qui, se fesant jour1 à travers les ouvertures que ses propres mains avaient pratiquées, lui montraient dans toute son horreur le danger qui la pressait. Où fuir? Oû se sauver? Dans les maisons, le dévorant incendie; dans les rues, les lances prétoriennes. On courait en foule sur les toits des palais, où la flamme ne s'était pas encore montrée; et les flèches des soldats lancées contre une masse

qui ne se cachait plus à leurs coups, car elle avait changé d'ennemi, harcelaient et décimaient cette foule, à laquelle ne restait plus aucun refuge. Pour comble de malheur, un vent furieux, qui soufflait du même côté que celui par lequel s'avançaient les cohortes, vint s'emparer tout à coup du désastre qu'elles avaient commencé, et, poussant l'incendie de maison en maison, semblait s'acharner à son tour, avec ses nuages de flamme, contre ces misérables dont la moitié était ensevelie sous les décombres embrasés.

C'était un des plus beaux quartiers de Rome, celui de la Subarra; c'eût été dans les provinces une ville entière, tant il y avait de palais et de temples. Les temples surtout étaient encombrés de peuple; mais l'incendie ne respectait rien, et les malheureux qu'il venait saisir au pied des autels, y succombaient avec la douleur de douter de leurs dieux. Aussi, dans toute sa vaste enceinte, la grande Rome fut frappée d'une soudaine terreur, au bruit effroyable qui partait de ce quartier désolé; car les lamentations, les cris de rage, les écroulements des toitures, les sifflements de la flamme et des vents, les vociférations des soldats barbares, les hurlements des bêtes du cirque, que l'ardeur de l'embrasement épouvantait, se confondaient en un seul cri, comme celui d'un volcan qui éclate; et les vieillards se demandaient, en fuyant à travers la campagne, si Rome était livrée aux Scythes et aux Sarmates, ou s'il y avait, en haut de quelque tour, un empereur qui, une harpe d'or à la main, eût de nouveau besoin de s'inspirer à l'horreur d'un tel spectaclef. ALEXANDRE GUIRAUD.

ALEXANDRE GUIRAUD (le baron),

Auteur vivant; né en 1788. Poète dramatique et membre de l'Académie française.

a Maxime ou Pupien était fils d'un forgeron. L'an 236, il fut élevé à l'empire par le Sénat, avec Balbin et le jeune Gordien. Maxime se préparait à porter la guerre chez les Parthes, quand la garde prétorienne se révolta et l'égorgea avec Balbin pour donner l'empire au jeune Gordien seul, l'an de J.-C. 238.-Sous le règne de ces empereurs, il s'éleva

entre les soldats et le peuple une violente querelle, qu'ils n'eurent pas la force de réprimer.

b Troupes qui formaient la garde de l'empereur. Ils se rendirent bientôt tout-puissants, firent et défirent les empereurs à leur gré; ils allèrent même jusqu'à mettre l'empire à l'encan.

© Gallicanus, consul, natif de Carthage, excita une violente sédition dans Rome sous Maxime et Balbin, et excita le peuple à assiéger les Prétoriens dans leur camp.

d La plus célèbre de toutes les voies romaines; elle fut construite par le censeur Claudius, l'an de Rome 442. Elle sortait de Rome par la porte Capène et s'étendait jusqu'à Brindes, à l'extrémité de l'Italie (365 milles). De chaque côté il y avait de superbes trottoirs, et le pavé était de pierres très-dures parfaitement jointes sans aucun ciment.

* Les dieux Lares étaient les dieux domestiques, les dieux du foyer, protecteurs de chaque maison et de chaque famille. Aussi les représentait-on quelquefois sous la figure de deux chiens; c'est de là que nous viennent nos chenets2, autrefois chiennets, qui dans l'origine avaient deux petits chiens pour ornement.

f Quelqu'un ayant dit en présence de Néron: "Que le monde brûle quand je serai mort," il répliqua: "Qu'il brûle et que je le voie." En effet, peu de temps après, l'an 64 de J.-C., il fit mettre le feu aux quatre coins de Rome. L'incendie dura neuf jours. Dix quartiers de la ville et les plus beaux monuments de l'antiquité furent réduits en cendres. Néron monta sur une haute tour pour jouir plus à son aise de cet affreux spectacle.

COMBAT D'UN GLADIATEUR CONTRE UN TIGRE DANS

UN AMPHITHEATRE D'ALEXANDRIEa.

On avait établi, selon l'usage, surtout sous le ciel d'Afrique, au haut des gradins, des poteaux surmontés de piques dorées, auxquels étaient attachées des voiles de pourpre retenues par des nœuds de soie et d'or. Ces voiles étendues formaient, au-dessus des spectateurs, une vaste tente circulaire, dont les reflets éclatants donnaient à tous ces visages africains une teinte animée, en parfaite harmonie avec leur expression vive et passionnée. Au-dessus de l'arène, le ciel était libre et vide, et des flots de lumière qui en descendaient, comme par la coupole, dans le Panthéon d'Agrippa", se répandaient largement de tous côtés, et ne laissaient rien perdre, aux yeux ravis, ni des colon

nes, ni des statues, ni des vases de bronze et d'or, ni de ces joyaux brillants dont le sein des femmes et des jeunes filles étincelait.

Soixante mille spectateurs avaient trouvé place; soixante mille autres erraient autour de l'enceinte, et ils se renvoyaient les uns aux autres ce vague tumulte où rien n'est distinct, ni fureur ni joie; l'amphithéâtre ressemblait à un vaisseau dans lequel la vague a pénétré, et qu'elle a rempli jusqu'au pont1, tandis que d'autres vagues le battent à l'extérieur, et se brisent, en mugissant, contre lui.

Un horrible rugissement, auquel répondirent les cris de la foule, annonça l'arrivée du tigre, car on venait d'ouvrir sa loge.

À l'une des extrémités, un homme était couché sur le sable, nu et comme endormi, tant il se montrait insouciant de ce qui agitait si fort la multitude; et, tandis que le tigre s'élançait de tous côtés dans l'arène vide, impatient de la proie attendue, lui, appuyé sur un coude, semblait fermer ses yeux pesants, comme un moissonneur qui, fatigué d'un jour d'été, se couche et attend le sommeil.

Cependant plusieurs voix parties des gradins demandent à l'intendant des jeux de faire avancer la victime; car, ou le tigre ne l'a point distinguée, ou il l'a dédaignée, en la voyant si docile. Les préposés de l'arène, armés d'une longue pique, obéissent à la volonté du peuple, et, du bout de leur fer aigu, excitent le gladiateur. Mais à peine a-t-il ressenti les atteintes de leurs lances, qu'il se lève avec un cri terrible, auquel répondent, en mugissant d'effroi, toutes les bêtes enfermées dans les cavernes de l'amphithéâtre. Saisissant aussitôt une des lances qui avaient ensanglanté sa peau, il l'arrache, d'un seul effort, à la main qui la tenait, la brise en deux portions, jette l'une à la tête de l'intendant, qu'il renverse; et, gardant celle qui est garnie de fer, il va lui-même avec cette arme au devant de son sauvage ennemi.

Dès qu'il se fut levé, et que le regard des spectateurs put mesurer sur le sable l'ombre que projetait sa taille colossale, un murmure d'étonnement circula dans toute l'as

semblée, et plus d'un spectateur, le montrant du doigt avec une sorte d'orgueil, le nommait par son nom et racontait tous ses exploits du cirque et ses violences dans les séditions.

Le peuple était content: tigre et gladiateur, il jugeait les deux adversaires dignes l'un de l'autre. . . .

Pendant ce temps, le gladiateur s'avançait lentement dans l'arène, se tournant parfois du côté de la loge impériale, et laissant alors tomber ses bras avec une sorte d'abattement, en creusant, du bout de sa lance, la terre qu'il allait bientôt ensanglanter.

Comme il était d'usage que les criminels ne fussent pas armés, quelques voix crièrent: "Point d'armes au bestiaire! le bestiaire sans armes !” . . . Mais lui, brandissant le tronçon qu'il avait gardé, et le montrant à cette multitude: "Venez le prendre," disait-il; mais d'une bouche contractée, avec des lèvres pâles et une voix rauque, presque étouffée par la colère. Les cris ayant redoublé, cependant, il leva la tête, fit du regard le tour de l'assemblée, lui sourit dédaigneusement; et, brisant de nouveau entre ses mains l'arme qu'on lui demandait, il en jeta les débris à la tête du tigre, qui aiguisait en ce moment ses dents et ses griffes contre le socle d'une colonne.

Ce fut là son défi.

L'animal, se sentant frappé, détourna la tête, et, voyant son adversaire debout au milieu de l'arène, d'un bond il s'élança sur lui; mais le gladiateur l'évita en se baissant jusqu'à terre, et le tigre alla tomber en rugissant à quelques pas. Le gladiateur se releva, et trois fois il trompa par la même manœuvre la fureur de son sauvage ennemi ; enfin le tigre vint à lui à pas comptés, les yeux étincelants, la queue droite, la langue déjà sanglante, montrant les dents et alongeant le museau; mais cette fois ce fut le gladiateur qui, au moment où il allait le saisir, le franchit d'un saut3, aux applaudissements de la foule, que l'émotion de cette lutte maîtrisait déjà tout entière.

Enfin, après avoir longtemps fatigué son ennemi furieux, plus excédé des encouragements que la foule semblait lui donner que des lenteurs d'un combat qui avait

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