Images de page
PDF
ePub

66

ne me parle pas; ne me parle pas: ta voix, ton accent m'ôterait ma force. Tais-toi, prie Dieu, ne remue pas."

Guillaume l'embrasse en disant ces mots, veut le quitter, l'embrasse encore, répète ces dernières paroles, pose la pomme sur sa tête, et, se retournant brusquement, regagne sa place à pas précipités.

Là, il reprend son arc, sa flèche, reporte ses yeux vers ce but si cher, essaie deux fois de lever son arc, et deux fois ses mains paternelles le laissent retomber. Enfin, rappelant toute son adresse, toute sa force, tout son courage, il essuie les larmes qui viennent toujours obscurcir sa vue; il invoque le Tout-Puissant, qui, du haut du ciel, veille sur les pères; et, roidissant son bras qui tremble, il force, accoutume son œil à ne regarder que la pomme. Profitant de ce seul instant, aussi rapide que la pensée, où il parvient à oublier son fils, il vise, tire, lance son trait, et la pomme emportée vole avec lui. FLORIAN.

FLORIAN (Jean-Pierre CLARIS de),

Né en 1755, mort en 1794. Membre de l'Académie française. On a de cet écrivain célèbre des fables, des nouvelles, des romans poétiques, des comédies, etc. Ses Fables, le plus beau titre qu'il ait à la gloire, le placent immédiatement après La Fontaine. Gonzalve de Cordoue est le meilleur et le plus intéressant de ses romans; dans ses comédies on remarque la Bonne mère, petite pièce pleine de grâce et de naïveté.

a Guillaume Tell, l'un des chefs de la révolution helvétique de 1307, naquit à Bürghen, canton d'Uri, et mourut en 1354.

b Gesler, gouverneur de la Suisse pour Albert d'Autriche. Le gouverneur de ce fief de l'Empire, à l'époque de la révolution de 1307, se nommait Handenberg.

EXTRAITS DE L'HISTOIRE DE CHARLES XII.

Bataille de Narva.

Il ne restait plus à Charles XII, pour achever sa première campagne, que de marcher contre son rival de gloire,

Pierre Alexiowits. Il était d'autant plus animé contre lui, qu'il y avait encore à Stockholm trois ambassadeurs moscovites, qui venaient de jurer le renouvellement d'une paix inviolable. Il ne pouvait comprendre, lui qui se piquait d'une probité sévère, qu'un législateur, comme le czar, se fît un jeu de ce qui doit être si sacré. Le jeune prince, plein d'honneur, ne pensait pas qu'il y eût une morale différente pour les rois et pour les particuliers. L'empereur de Moscovie venait de faire paraître un manifeste qu'il eût mieux fait de supprimer. Il alléguait, pour raison de la guerre, qu'on ne lui avait pas rendu assez d'honneurs lorsqu'il avait passé incognito à Riga, et qu'on avait vendu les vivres trop cher à ses ambassadeurs. C'étaient là les griefs pour lesquels il ravageait l'Ingrie avec quatre-vingt mille hommes.

Il parut devant Narva à la tête de cette grande armée, le premier octobre (1700), dans un temps plus rude en ce climat que ne l'est le mois de janvier à Paris. Le czar, qui, dans de pareilles saisons, faisait quelquefois quatre cent lieues en poste à cheval, pour aller visiter lui-même une mine ou quelque canal, n'épargnait pas plus ses troupes que lui-même. Il savait d'ailleurs que les Suédois, depuis le temps de Gustave-Adolphe, faisaient la guerre au cœur de l'hiver, comme dans l'été: il voulut accoutumer aussi les Moscovites à ne point connaître de saisons, et les rendre, un jour, pour le moins égaux aux Suédois. Ainsi, dans un temps où les glaces et les neiges forcent les autres nations, dans des climats tempérés, à suspendre la guerre, le czar Pierre assiégeait Narva à trente degrés du pôle, et Charles XII s'avançait pour le secourir. Le czar ne fut pas plus tôt arrivé devant la place, qu'il se hâta de mettre en pratique ce qu'il venait d'apprendre dans ses voyages. Il traça son camp, le fit fortifier de tous côtés, éleva des redoutes de distance en distance, et ouvrit lui-même la tranchée. Il avait donné le commandement de son armée au duc de Croi, Allemand, général habile, mais peu secondé alors par les officiers russes. Pour lui, il n'avait dans ses troupes que le rang de simple lieutenant. Il avait donné

l'exemple de l'obéissance militaire à sa noblesse, jusque-là indisciplinable, laquelle était en possession de conduire, sans expérience et en tumulte, des esclaves mal armés. Il n'était pas étonnant que celui qui s'était fait charpentier à Amsterdam pour avoir des flottes, fût lieutenant à Narva pour enseigner à sa nation l'art de la guerre.

Les Russes sont robustes, infatigables, peut-être aussi courageux que les Suédois; mais c'est au temps à aguerrir les troupes, et à la discipline à les rendre invincibles. Les seuls régiments dont on pût espérer quelque chose étaient commandés par des officiers allemands, mais ils étaient en petit nombre. Le reste était composé de barbares arrachés à leurs forêts, couverts de peaux de bêtes sauvages, les uns armés de flèches, les autres de massues: peu avaient des fusils; aucun n'avait vu un siége régulier; il n'y avait pas un bon canonnier dans toute l'armée. Cent cinquante canons, qui auraient dû réduire la petite ville de Narva en cendres, y avaient à peine fait brèche, tandis que l'artillerie de la ville renversait à tout moment des rangs entiers dans les tranchées. Narva était presque sans fortifications: le baron de Horn, qui y commandait, n'avait pas mille hommes de troupes réglées; cependant cette armée innombrable n'avait pu la réduire en six semaines.

On était déjà au 15 novembre, quand le czar apprit que le roi de Suède, ayant traversé la mer avec deux cents vaisseaux de transport, marchait pour secourir Narva. Les Suédois n'étaient que vingt mille. Le czar n'avait que la supériorité du nombre. Loin donc de mépriser son ennemi, il employa tout ce qu'il avait d'art pour l'accabler. Non content de quatre-vingt mille hommes, il se prépara à lui opposer encore une autre armée, et à l'arrêter à chaque pas. Il avait déjà mandé près de trente mille hommes, qui s'avançaient de Pleskow à grandes journées. Il fit alors une démarche qui l'eût rendu méprisable, si un législateur qui a fait de si grandes choses pouvait l'être. Il quitta son camp, où sa présence était nécessaire, pour aller chercher ce nouveau corps de troupes, qui pouvait très-bien arriver sans lui, et sembla, par cette démarche, craindre de com

battre dans un camp retranché, un jeune prince sans expérience, qui pouvait venir l'attaquer.

Quoi qu'il en soit, il voulait enfermer Charles XII entre deux armées. Ce n'était pas tout: trente mille hommes, détachés du camp devant Narva, étaient postés à une lieue de cette ville, sur le chemin du roi de Suède; vingt mille strélitz étaient plus loin, sur le même chemin; cinq mille autres faisaient une garde avancée. Il fallait passer sur le ventre à toutes ces troupes avant que d'arriver devant le camp, qui était muni d'un rempart et d'un double fossé. Le roi de Suède avait débarqué à Pernaw, dans le golfe de Riga, avec environ seize mille hommes d'infanterie et un peu plus de quatre mille chevaux. De Pernaw il avait précipité sa marche jusqu'à Rével, suivi de toute sa cavalerie et seulement de quatre mille fantassins. Il marchait toujours en avant, sans attendre le reste de ses troupes. Il se trouva bientôt, avec ses huit mille hommes seulement, devant les premiers postes des ennemis. Il ne balança pas à les attaquer tous les uns après les autres, sans leur donner le temps d'apprendre à quel petit nombre ils avaient affaire. Les Moscovites, voyant arriver les Suédois à eux, crurent avoir toute une armée à combattre. La garde avancée de cinq mille hommes, qui gardait entre des rochers un poste où cent hommes résolus pouvaient arrêter une armée entière, s'enfuit à la première approche des Suédois. Les vingt mille hommes qui étaient derrière, voyant fuir leurs compagnons, prirent l'épouvante, et allèrent porter le désordre dans le camp. Tous les postes furent emportés en deux jours; et ce qui, en d'autres occasions, eût été compté pour trois victoires, ne retarda pas d'une heure la marche du roi. Il parut donc enfin, avec ses huit mille hommes, fatigués d'une si longue marche, devant un camp de quatrevingt mille Russes, bordé de cent cinquante canons. À peine ses troupes eurent-elles pris quelque repos, que, sans délibérer, il donna ses ordres pour l'attaque.

Le signal était deux fusées et le mot, en allemand, Avec l'aide de Dieu. Un officier lui ayant représenté la grandeur du péril: "Quoi! vous doutez," dit-il, "qu'avec mes huit

mille braves Suédois je ne passe sur le corps à quatre-vingt mille Moscovites?" Un moment après, craignant qu'il n'y eût un peu de fanfaronnade dans ces paroles, il courut luimême après cet officier: "N'êtes-vous donc pas de mon avis?" lui dit-il; "n'ai-je pas deux avantages sur les ennemis? l'un, que leur cavalerie ne pourra leur servir, et l'autre, que le lieu étant resserré, leur grand nombre ne fera que les incommoder, et ainsi je serai réellement plus fort qu'eux." L'officier n'eut garde d'être d'un autre avis, et l'on marcha aux Moscovites à midi, le 30 novembre 1700.

Dès que le canon des Suédois eut fait brèche aux retranchements, ils s'avancèrent, la baïonnette au bout du fusil, ayant au dos une neige furieuse, qui donnait au visage des ennemis. Les Russes se firent tuer pendant une demi-heure, sans quitter le revers des fossés. Le roi attaquait à la droite du camp, où était le quartier du czar: il espérait le rencontrer, ne sachant pas que l'empereur luimême avait été chercher ces quarante mille hommes qui devaient arriver dans peu. Aux premières décharges de la mousqueterie ennemie, le roi reçut une balle à la gorge; mais c'était une balle morte1, qui s'arrêta dans les plis de sa cravate noire, et qui ne lui fit aucun mal. Son cheval fut tué sous lui. M. de Spaar m'a dit que le roi sauta légèrement sur un autre cheval, en disant: "Ces gens-ci me font faire mes exercices," et continua de combattre et de donner les ordres avec la même présence d'esprit. Après trois heures de combat, les retranchements furent forcés de tous côtés. Le roi poursuivit la droite des ennemis jusqu'à la rivière de Narva, avec son aile gauche, si l'on peut appeler de ce nom environ quatre mille hommes qui en poursuivaient près de quarante mille. Le pont rompit sous les fuyards; la rivière fut en un moment couverte de morts. Les autres, désespérés, retournèrent à leur camp sans savoir où ils allaient: ils trouvèrent quelques baraques, derrière lesquelles ils se mirent. Là, ils se défendirent encore, parce qu'ils ne pouvaient pas se sauver; mais enfin leurs généraux Dolgorouki, Gollofkin, Fédérowitz vinrent se rendre au roi, et mettre leurs armes à ses pieds. Pen

« PrécédentContinuer »