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et la centralisation du pouvoir dans sa personne: ce qu'il fit en bien et en mal vient de cette préoccupation.

En tout, Louis XI était ce qu'il fallait qu'il fût pour accomplir son œuvre. Né à une époque sociale où rien n'était achevé et où tout était commencé, il eut une forme monstrueuse, indéfinie, toute particulière à lui, et qui tenait des deux tyrannies entre lesquelles il paraissait. Une preuve de son énergie sous cette enveloppe, c'est qu'il craignait la mort, et que pourtant il surmontait cette frayeur quand il s'agissait de commettre un crime. Il est vrai qu'il espérait tromper Dieu comme les hommes; il avait des amulettes et des reliques pour toutes les sortes de forfaits. Louis XI vint en son lieu et en son temps: il y a une si grande force dans cet à-propos, que le plus vaste génie hors de sa place peut être frappé d'impuissance, et que l'esprit le plus rétréci, dans telle position donnée, peut bouleverser le monde.

Louis XI, vers la fin de sa vie, s'enferma au Plessis-lèsTours, dévoré de peur et d'ennui. Il se traînait d'un bout à l'autre d'une longue galerie, ayant sous les yeux pour toute récréation, quand il regardait par les fenêtres, le paysage, des grilles de fer, des chaînes, et des avenues de gibets qui menaient à son château: pour seul promeneur dans ces avenues, parassait Tristan le grand-prévôt, compère de Louis. Des combats de chats et de rats, des danses de jeunes paysans et de jeunes paysannes, qui venaient figurer dans les donjons du Plessis le bonheur et l'innocence champêtres, servaient à dérider le front du tyran.

Quand Louis XI disparaît, l'Europe féodale tombe; Constantinople est pris; les Lettres renaissent; l'imprimerie est inventée; l'Amérique au moment d'être découverte; la grandeur de la maison d'Autriche se fait pressentir par le mariage de l'héritière de Bourgogne avec Maximilien. Henri VIII, Léon X, François Ier, CharlesQuint, Luther avec la réformation, ne sont pas loin: vous êtes au bord d'un nouvel univers.

CHATEAUBRIAND. (Voyez la page 63.)

a Louis de Luxembourg, connétable de France, accusé d'avoir invité les Anglais à tenter une nouvelle invasion continentale.

b"Va, Perrette." Ce mot fait sans doute allusion à une certaine Perrette de Châlons, qui fut l'une des maîtresses de Louis XI.

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Olivier-Ledain, barbier de Louis XI, sut captiver l'affection de ce prince, au point qu'il en obtint des lettres de noblesse; mais, après la mort du roi, Olivier fut arrêté par ordre du procureur-général de Tours, et pendu en 1484.

d Louis Tristan, grand-prévôt de Louis XI, servit d'abord avec distinction dans les guerres de Charles VII contre les Anglais. Louis XI, monté sur le trône, l'attacha à sa personne, et dès lors il ne fut plus que l'exécuteur des vengeances du roi, qui le menait partout à sa suite, se plaisant à l'appeler son compère.

e Walter Scott, dans son roman de Quentin Durward, a rendu populaires ces deux personnages, dont l'un est Petit-André et l'autre Trois-Echelles.

f L'astrologie judiciaire était l'un des travers de ce temps. On lit dans l'histoire de Louis XI par Duclos, que le roi, mécontent d'un astrologue, le fit un jour appeler, et lui dit: "Toi, qui prévois tout, quand mourras-tu?" L'astrologue, averti, ou soupçonnant que ce prince lui tendait un piége, répondit: "Je mourrai trois jours avant votre Majesté." La crainte et la superstition du roi l'emportèrent sur son ressentiment, et il prit un soin particulier de cet adroit imposteur.

Marie de Bourgogne, fille unique de Charles-le-Téméraire; elle mourut en 1482.

n Querelles philosophiques du temps.

PARIS AU XVe SIÈCLE; SON ACCROISSEMENT SUCCESSIf.

LE Paris d'il y a trois cent-cinquante ans, le Paris du quinzième siècle était déjà une ville géante. Nous nous trompons en général, nous autres Parisiens, sur le terrain que nous croyons avoir gagné depuis. Paris, depuis Louis XI, ne s'est pas accru de beaucoup plus d'un tiers. Il a, certes, bien plus perdu en beauté, qu'il n'a gagné en grandeur.

Paris est né, comme on sait, dans cette vieille île de la Cité qui a la forme d'un berceau. La grève de cette île fut sa première enceinte, la Seine son premier fossé. Paris demeura plusieurs siècles à l'état d'île, avec deux ponts, l'un au nord, l'autre au midi, et deux têtes de ponts, qui étaient à la fois ses portes et ses forteresses: le grand Châ

telet sur la rive droite, le petit Châtelet sur la rive gauche. Puis, dès les rois de la première race, trop à l'étroit dans son île, et ne pouvant plus s'y retourner, Paris passa l'eau. Alors au delà du grand, au delà du petit Châtelet, une première enceinte de murailles et de tours commença à entamer la campagne des deux côtés de la Seine. De cette ancienne clôture il restait encore au siècle dernier quelques vestiges; aujourd'hui il n'en reste que le souvenir, et çà et là une tradition, la porte Baudets ou Baudoyer, porta Bagauda. Peu à peu, le flot des maisons, toujours poussé du cœur de la ville au dehors, déborde, ronge, use et efface cette enceinte. Philippe-Auguste lui fait une nouvelle digue. Il emprisonne Paris dans une chaîne circulaire de grosses tours, hautes et solides. Pendant plus d'un siècle, les maisons se pressent, s'accumulent et haussent leur niveau dans ce bassin comme l'eau dans un réservoir. Elles commencent à devenir profondes; elles mettent étages sur étages; elles montent les unes sur les autres; elles jaillissent en hauteur comme toute sève comprimée, et c'est à qui passera la tête par dessus ses voisines pour avoir un peu d'air. La rue de plus en plus se creuse et se rétrécit; toute place se comble et disparaît. Les maisons enfin sautent par dessus le mur de Philippe-Auguste, et s'éparpillent joyeusement dans la plaine, sans ordre et tout de travers, comme des échappées. Là, elles se carrent, se taillent des jardins dans les champs, prennent leurs aises. Dès 1367, la ville se répand tellement dans le faubourg, qu'il faut une nouvelle clôture, surtout sur la rive droite: Charles V la bâtit. Mais une ville comme Paris est dans une crues perpétuelle. Il n'y a que ces villes-là qui deviennent capitales. Ce sont des entonnoirs où viennent aboutir tous les versants géographiques, politiques, moraux, intellectuels d'un pays, toutes les pentes naturelles d'un peuple; des puits de civilisation, pour ainsi dire, et aussi des égouts, où commerce, industrie, intelligence, population, tout ce qui est sève, tout ce qui est vie, tout ce qui est âme dans une nation, filtre et s'amasse sans cesse, goutte à goutte, siècle à siècle. L'enceinte de Charles V a donc le sort de l'enceinte de Phi

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lippe-Auguste. Dès la fin du quinzième siècle, elle est enjambée, dépassée, et le faubourg court plus loin. Au seizième, il semble qu'elle recule à vue d'œil et s'enfonce de plus en plus dans la vieille ville, tant une ville neuve s'épaissit déjà au dehors. Ainsi dès le quinzième siècle, pour nous arrêter là, Paris avait déjà usé les trois cercles concentriques de murailles, qui, du temps de Julienl'Apostata, étaient, pour ainsi dire, en germe dans le grand Châtelet et le petit Châtelet. La puissante ville avait fait craquer successivement ses quatre ceintures de murs, comme un enfant qui grandit et qui crève ses vêtements de l'an passé. Sous Louis XI, on voyait, par places, percer, dans cette mer de maisons, quelques groupes de tours en ruines des anciennes enceintes, comme les pitons des collines dans une inondation, comme les archipels du vieux Paris submergé sous le nouveau.

VICTOR HUGO. Notre-Dame de Paris.

HUGO (Marie-Victor),

Auteur vivant; né en 1802. Cet écrivain célèbre après avoir puissamment contribué à la révolution qui s'est faite en littérature est devenu le chef le plus éloquent de la nouvelle école, dite romantique. Il se forma de bonne heure à ces graves et sévères pensées d'avenir, à ce style si éclatant, si magnifique, qui exprime si bien · l'enthousiasme calme et majestueux du poète, et à ce style si simple, si naturel, qui contraste si pittoresquement avec le premier; alliance inconnue jusqu'alors, et qui caractérise le romantisme proprement dit; style où le naturel succède au sublime, la vulgarité de l'expression à la noblesse des pensées. Ce style romantique se fait surtout remarquer dans Hernani, Le roi s'amuse, Cromwell, Angelo et autres productions dramatiques.

Parmi les romans de cet auteur, on remarque Bug-Jargal, Han d'Islande, Le dernier jour d'un condamné, et Notre-Dame de Paris, sublime épopée du moyen-âge et admirable peinture du cœur humain.

Ses dernières poésies, Les chants du crépuscule, décèlent le grand poète et le profond observateur.

a Julien-l'Apostat, empereur romain, neveu de Constantin-le-Grand, né à Constantinople en 331.

L'ÉVEIL DES CLOCHES DU VIEUX PARIS (1470).

Si vous voulez recevoir de la vieille ville une impression que la moderne ne saurait plus vous donner, montez, un matin de grande fête, au soleil levant de Pâques ou de la Pentecôte, montez sur quelque point élevé d'où vous dominiez la capitale entière; et assistez à l'éveil des carillons. Voyez, à un signal parti du ciel, car c'est le soleil qui le donne, ces mille églises tressaillir à la fois. Ce sont d'abord des tintements1épars, allant d'une église à l'autre, comme lorsque des musiciens s'avertissent qu'on va commencer. Puis, tout à coup, voyez, car il semble qu'en certains instants l'oreille aussi a sa vue, voyez s'élever, au même moment, de chaque clocher, comme une colonne de bruit, comme une fumée d'harmonie. D'abord la vibration de chaque cloche monte droite, pure, et pour ainsi dire isolée des autres, dans le ciel splendide du matin; puis, peu à peu, en grossissant, elles se fondent, elles se mêlent, elles s'effacent l'une dans l'autre, elles s'amalgament dans un magnifique concert. Ce n'est plus qu'une masse de vibrations sonores qui se dégage sans cesse des innombrables clochers, qui flotte, ondule, bondit, tourbillonne sur la ville, et prolonge bien au delà de l'horizon le cercle assourdissant de ses oscillations. Cependant cette mer d'harmonie n'est point un chaos; si grosse et si profonde qu'elle soit, elle n'a point perdu sa transparence: vous y voyez serpenter à part chaque groupe de notes, qui s'échappe des sonneries3; vous y pouvez suivre le dialogue, tour à tour grave et criard, de la crecelle et du bourdon; vous y voyez sauteler les octaves d'un clocher à l'autre, vous les regardez s'élancer ailées, légères et sifflantes, de la cloche d'argent, tomber cassées et boiteuses de la cloche de bois; vous admirez au milieu d'elles la riche gamme qui descend et remonte sans cesse les sept cloches de Saint-Eustache; vous voyez courir tout au travers des notes claires et rapides qui font trois ou quatre zigzags lumineux, et s'évanouissent comme des éclairs. Là bas, c'est l'abbaye Saint-Martin, chanteuse aigre et fêlée1 ;

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