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ici, la voix sinistre et bourrue de la Bastille; à l'autre bout, la grosse tour du Louvre, avec sa basse-taille. Le royal carillon du Palais jette sans relâche de tous côtés des trilles resplendissantes, sur lesquelles tombent à temps égaux les lourdes coupetées du beffroi de Notre-Dame, qui les font étinceler comme l'enclume sous le marteau. Par intervalles vous voyez passer des sons de toutes formes, qui viennent de la triple volée de Saint-Germain-des-Prés. Puis encore, de temps en temps, cette masse de bruits sublimes s'entr'ouvre et donne passage à la strette de l'Avé-Maria, qui éclate et pétille comme une aigrette d'étoiles. Au-dessus, au plus profond du concert, vous distinguez confusément le chant intérieur des églises, qui transpire à travers les pores vibrants de leurs voûtes. Certes, c'est là un opéra qui vaut la peine d'être écouté. D'ordinaire, la rumeur qui s'échappe de Paris le jour, c'est la ville qui parle; la nuit, c'est la ville qui respire: ici, c'est la ville qui chante. Prêtez donc l'oreille à ce tutti des clochers; répandez sur l'ensemble le murmure d'un demimillion d'hommes, la plainte éternelle du fleuve, les souffles infinis du vent, le quatuor grave et lointain des quatre forêts disposées sur les collines de l'horizon, comme d'immenses buffets d'orgue; éteignez-y, ainsi que dans une demi-teinte, tout ce que le carillon central aurait de trop rauque et de trop aigu, et dites si vous connaissez au monde quelque chose de plus riche, de plus joyeux, de plus doré, de plus éblouissant que ce tumulte de cloches et de sonneries; que cette fournaise de musique; que ces dix mille voix d'airain chantant à la fois dans des flûtes de pierre, hautes de trois cents pieds; que cette cité qui n'est plus qu'un orchestre; que cette symphonie qui fait le bruit d'une tempête.i

VICTOR HUGO. Notre-Dame de Paris. (Voyez la page 300.)

a

Crecelle, moulinet de bois avec lequel on fesait du bruit pour appeler les fidèles à l'église.

b Bourdon, grosse cloche.

C

Sauteler, vieux mot inusité qui signifiait aller en sautant tant soit peu. On dit aujourd'hui sautiller.

Tril ou trille de l'italien trillo, espèce de cadence. Au propre, il

signifie battement de gosier. L'Académie ne lui donne que le genre masculin.

e Coupetée, mot qui ne se trouve dans aucun dictionnaire. Il signifie sans doute suite de coups, coups répétés d'une manière continue.

f Strette, terme de musique emprunté à la langue italienne; il vient d'un mot qui signifie saccade, secousse.

Pièce de feu d'artifice.

1 Tutti, terme de musique emprunté à la langue italienne et qui répond à notre mot ensemble ou final.

"Le style de ce morceau," dit Boniface, "est une admirable peinture pour les yeux, une admirable harmonie pour l'oreille; il est resplendissant et sonore. N'entendez-vous pas ce concert des cloches? Ne voyez-vous pas pleuvoir de tous côtés une grêle de notes lumineuses et retentissantes? C'est à la fois de la peinture et de la musique. Cette merveilleuse description vous laisse ébloui et charmé."

FRANÇOIS 1er.

François Ier, roi de France, surnommé le Père des Lettres, né à Cognac le 12 septembre 1494, succéda à Louis XIIa, son beaupère, mort sans enfants mâles, en 1515. Son règne, célèbre par les événements politiques qui le remplirent, ne l'est pas moins par la renaissance des lettres et des arts, dont il se déclara le protecteur. Il mourut en 1547, deux mois après Henri VIII, roi d'Angleterre, laissant le trône à son fils Henri Il qui, comme lui, fut l'ennemi de Charles-Quint.

FRANÇOIS Ier avait le courage d'un soldat, l'enthousiasme d'un héros, la générosité d'un chevalier, la galanterie d'un Espagnol, la politesse et les vices d'un aimable courtisan, et la prodigalité d'un héritier du trône qui n'est jamais entré dans une chaumière. L'éducation n'avait pu corriger en lui un discernement médiocre, le désir insatiable des conquêtes, l'amour de tous les plaisirs, un naturel impétueux et la témérité sans bornes unis à la faiblesse du caractère. Un mauvais génie lui opposa des rivaux que la prudence des conseils et leur situation défendaient contre lui; il eut à lutter contre les plus ambitieux, les plus puissants et les plus fourbes des princes; ses succès, ses revers, son administration, son règne enfin, tout est expliqué

d'avance. S'il gagne avec beaucoup de gloire la bataille de Marignan, il doit perdre celle de Pavie ou toute autrec, et rester prisonnier de son plus cruel ennemi; une longue captivité ne changera pas son imprudence et ses desseins; malgré des échecs multipliés, il voudra toujours reconquérir l'Italie; attaqué de toutes parts, il défendra la France avec le courage d'un lion; mais, au sortir d'un péril, il la jettera dans un autre. Avec un tel guide, tout sera perdu en quelques années, s'il ne vient quelque secours du dehors. Ce secours est trouvé dans le nouveau système d'équilibre qui commence à s'établir parmi les nations de l'Occident.

TISSOT. Introduction des fastes civils de la France.

TISSOT (Pierre-François),

Né à Versailles vers 1770; auteur vivant; membre de l'Académie française et professeur au collège de France. Ses leçons peuvent être regardées comme des modèles de conversation noble et élégante, de bon goût, de grâce et d'urbanité.

a Louis XII, roi de France, fils de Charles duc d'Orléans, était petitfils de Louis duc d'Orléans, frère de Charles VI, assassiné par le duc de Bourgogne. Voyez la page 291.

b L'empereur Maximilien étant mort vers 1520, François Ier et Charles-Quint se disputèrent sa succession. Les électeurs de l'empire donnèrent la préférence au dernier, et ce fut la source d'une rivalité qui ensanglanta et désola l'Europe pendant trente ans.

C

Ceci est comme une conséquence du caractère de François Ier.

LOUIS XII ET FRANÇOIS 1er.

LOUIS.-Mon cher cousin, dites-moi des nouvelles de la France; j'ai toujours aimé mes sujets comme mes enfants, j'avoue que j'en suis en peine. Vous étiez bien jeune en toute manière, quand je vous laissai la couronne. Comment avez-vous gouverné mon pauvre royaume?

François. J'ai eu quelques malheurs; mais, si vous voulez que je vous parle franchement, mon règne a donné à la France bien plus d'éclat que le vôtre.

Louis. C'est cet éclat que j'ai toujours craint. Je vous

ai connu, dès votre enfance, d'un naturel à ruiner les finances, à hasarder tout pour la guerre, à ne rien soutenir avec patience, à renverser le bon ordre au dedans de l'État, et à tout gâter pour faire parler de vous.

François. C'est ainsi que les vieilles gens sont toujours prévenus contre ceux qui doivent être leurs successeurs; mais voici le fait : j'ai soutenu une horrible guerre contre Charles-Quint, empereur et roi d'Espagne ; j'ai gagné en Italie les fameuses batailles de Marignan contre les Suisses a et de Cérisoles contre les impériaux'; j'ai vu le roi d'Angleterre ligué avec l'Empereur contre la France, et j'ai rendu leurs efforts inutiles. J'ai cultivé les sciences. J'ai mérité d'être immortalisé par les gens de lettres. J'ai fait revivre le siècle d'Auguste au milieu de ma cour; j'y ai mis la magnificence, la politesse, l'érudition et la galanterie. Avant moi, tout était grossier, pauvre, ignorant, gaulois; enfin je me suis fait nommer le père des lettres. Louis. Cela est beau; et je ne veux point en diminuer la gloire; mais j'aimerais mieux encore que vous eussiez été le père du peuple, que le père des lettres. Avez-vous laissé les Français dans la paix et dans l'abondance?

François.-Non, mais mon fils, qui est jeune, soutiendra la guerre; et ce sera à lui de soulager enfin les peuples épuisés. Vous les ménagiez plus que moi; mais aussi vous fesiez faiblement la guerre.

Louis.-Vous l'avez faite sans doute avec de grands succès? Quelles sont vos conquêtes? Avez-vous pris le royaume de Naples?

François.-Non, j'ai eu d'autres expéditions à faire. Louis.-Du moins vous avez conservé le Milanais? François. Il m'est arrivé bien des accidents imprévus. Louis. Quoi donc! Charles-Quint vous l'a enlevé? Avez-vous perdu quelque bataille? Parlez: vous n'osez tout dire.

François. Je fus pris dans une bataille à Pavied.

Louis.-Comment, pris! Hélas! en quel abîme s'estil jeté par de mauvais conseils !

C'est donc ainsi que vous m'avez surpassé à la guerre?

Vous avez replongé la France dans les malheurs qu'elle souffrit sous le roi Jeane. Pauvre France, que je te plains! Je l'avais bien prévu. Hé bien, je vous entends; il a fallu rendre des provinces entières, et payer des sommes immenses. Voilà à quoi aboutit ce faste, cette hauteur, cette témérité, cette ambition. Et la justice....comment va-t-elle ?

François.—Elle m'a donné de grandes ressources; j'ai vendu les charges de magistrature.

Louis.-Et les juges qui les ont achetées vendront à leur tour la justice. Mais tant de sommes levées sur le peuple ont-elles été bien employées pour lever et faire subsister les armées avec économie?

François. Il en fallut une partie pour la magnificence de ma cour.

Louis. Je parie que vos maîtresses y ont eu une plus grande part que les officiers de l'armée; si bien donc, que le peuple est ruiné, la guerre encore allumée, la justice vénale, la cour livrée à toutes les folies des femmes galantes, tout l'État en souffrance. Voilà ce règne si brillant qui a effacé le mien. Un peu de modération vous aurait fait bien plus d'honneur.

François. Mais j'ai fait plusieurs grandes choses qui m'ont fait louer comme un héros, on m'appelle le grand roi FRANÇOIS.

Louis. C'est-à-dire que vous avez été flatté pour votre argent, et que vous vouliez être héros aux dépens de l'État, dont la seule prospérité devait faire toute votre gloire.

François. Non, les louanges qu'on m'a données étaient sincères.

Louis.-Hé! y a-t-il quelque roi si faible et si corrompu à qui on n'ait pas donné autant de louanges que vous en avez reçu? Donnez-moi le plus indigne de tous les princes, on lui donnera tous les éloges qu'on vous a donnés. Après cela, achetez des louanges par tant de sang et par tant de sommes qui ruinent un royaume !

François.-Du moins j'ai eu la gloire de me soutenir avec constance dans mes malheurs.

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