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comme celui qui n'a rien. Suspect.-Étiez-vous d'un caractère sombre, mélancolique et d'un extérieur négligé? ce qui vous affligeait, c'est que les affaires publiques allaient bien. Suspect. Un citoyen se donnait-il du bon temps et des indigestions? c'est parce que le prince allait mal. Suspect.Était-il vertueux, austère dans ses mœurs? il faisait la censure de la cour. Suspect.-Était-ce un philosophe, un orateur, un poète? il lui convenait bien d'avoir plus de renommée que ceux qui gouvernaient. Suspect. Enfin, s'était-on acquis de la réputation à la guerre? on n'en était que plus dangereux par son talent. Il fallait se défaire du général ou l'éloigner promptement de l'armée. Suspect.

La mort naturelle d'un homme célèbre ou seulement en place, était si rare que les historiens la transmettaient comme un événement à la mémoire des siècles. La mort de tant de citoyens innocents et recommandables semblait une moindre calamité que l'insolence et la fortune scandaleuse de leurs meurtriers et de leurs dénonciateurs. Chaque jour le délateur sacré et inviolable faisait son entrée triomphale dans le palais des morts, et recueillait quelque riche succession. Tous ces dénonciateurs se paraient des plus beaux noms, se faisaient appeler Cotta, Scipion, Régulus, Sævius Sévérus. Pour se signaler par un début illustre, le marquis Sérénush intenta une accusation de contre-révolution contre son vieux père déjà exilé, après quoi il se faisait appeler fièrement Brutus. Tels accusateurs, tels juges : les tribunaux, protecteurs de la vie et des propriétés, étaient devenus des boucheries, où ce qui portait le nom de supplice et de confiscation n'était que vol

et assassinat.

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MIGNET. Histoire de la révolution française. (Voyez la page 322.)

Cremutius Cordus, sénateur et historien de Rome, contemporain d'Auguste et de Tibère.

b Mamercus Scaurus, autre Romain célèbre par sa grande éloquence, fut condamné à mort sous le règne de Tibère, comme coupable de lèsemajesté.

A qui, moins prosaïque et moins traînant que auquel, se dit quelquefois des choses, surtout dans le style soutenu.

4 Torquatus Silanus, Romain condamné à mort par Néron.

• Pomponius, sénateur romain, fut mis en accusation sous Tibère pour avoir donné asile dans ses jardins à Elius Gallus, ami de Séjan ministre de Tibère.

f Chevalier romain que Tibère fit mourir comme complice de Séjan. gh Célèbres Romains.

LA FRANCE APRÈS LA RÉVOLUTION.

LA France offrait alors un des spectacles les plus curieux dans l'histoire morale des peuples. La lassitude du crime avait amené des lois plus douces. Une sorte de trève avait suspendu les vengeances civiles; dans cet intervalle, l'ordre social essayait de renaître. Ses maux s'oubliaient rapidement; on se hâtait d'espérer, et de se confier au sol tremblant de la France. Une joie frivole et tumultueuse s'était emparée des âmes, comme par l'étonnement d'avoir survécu; et l'on célébrait des fêtes sur les ruines. Ainsi, dans les campagnes ravagées par le Vésuve, quand le torrent de flamme a détruit les ouvrages et les habitations des hommes, bientôt la sécurité succède au péril, on se réunit, on se rapproche, et l'on bâtit de nouvelles demeures avec les laves refroidies du volcan.

VILLEMAIN. (Voyez la page 320.)

PROCLAMATION ADRESSÉE AUX HABITANTS DE L'Égypte. Alexandrie, 1 juillet 1798.

DEPUIS trop longtemps les beys qui gouvernent l'Égypte insultent à la nation française et couvrent ses négociants d'avanies: l'heure de leur châtiment est arrivée.

Depuis trop longtemps ce ramas d'esclaves achetés dans le Caucase et la Géorgie tyrannisent la plus belle partie du monde; mais Dieu, de qui dépend tout, a ordonné que leur empire finît.

Peuples de l'Égypte, on vous dira que je viens pour dé

truire votre religion; ne le croyez pas

répondez que je viens vous restituer vos droits et punir les usurpateurs. Dites-leur que tous les hommes sont égaux devant Dieu : la sagesse, les talents et les vertus mettent seuls de la différence entre eux.

Or quelle sagesse, quels talents, quelles vertus distinguent les Mameluks, pour qu'ils aient exclusivement tout ce qui rend la vie aimable et douce?

Y a-t-il une belle terre? elle appartient aux Mameluks. Y a-t-il une belle esclave, un beau cheval, une belle maison? cela appartient aux Mameluks.

Si l'Égypte est leur ferme, qu'ils montrent le bail que Dieu leur en a fait. Mais Dieu est juste et miséricordieux pour le peuple; tous les Égyptiens sont appelés à gérer? toutes les places: que les plus sages, les plus instruits, les plus vertueux gouvernent, et le peuple sera heureux.

Il y avait jadis parmi vous de grandes villes, de grands canaux, un grand commerce: qui a tout détruit, si ce n'est l'avarice, les injustices et la tyrannie des Mameluks?

Quadhys, Cheikhs, Imans, Tchorbâdjys, dites au peuple que nous sommes aussi de vrais musulmans... Trois fois heureux ceux qui seront avec nous! ils prospéreront dans leur fortune et leur rang. Heureux ceux qui seront neutres! ils auront le temps de nous connaître, et ils se rangeront avec nous; mais malheur, trois fois malheur à ceux qui s'armeront pour les Mameluks, et combattront contre nous! il n'y aura pas d'espérance pour eux; ils périront! BONAPARTE.

NAPOLEON BONAPARTE,

Né à Ajaccio en Corse, le 15 août 1769; mort à Ste Hélène le samedi 5 mai 1821.

BATAILLE DES PYRAMIDES.

LE 21 juillet (1798), l'armée, partie d'Omdinar pendant la nuit, arrive sur les deux heures après midi à une demilieue d'Embabeha, et voit le corps des Mameluks se dé

ployer en avant du village. Bonaparte fait faire halte; l'excès de la fatigue et de la chaleur accablait les troupes: un repos d'une heure seulement est le besoin du soldat mais les mouvements de l'ennemi leur en commandent le sacrifice, et l'ordre de bataille devient un besoin plus impérieux.

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Tout est nouveau pour les Français. En arrière de la gauche de l'ennemi s'élevaient les Pyramides, ces immobiles témoins des plus grandes fortunes et des plus grandes adversités du monde. En arrière de la droite coulait majestueusement le vieux Nil, brillaient les trois cents minarets du Caire, et s'étendaient les plaines jadis si fertiles de l'antique et populeuse Memphis. Le costume magnifique, l'éclat des armes, la beauté des chevaux de la cavalerie des beys, contrastaient singulièrement avec l'uniforme et l'armement sévère des bataillons français, dont le général est armé et vêtu avec la même simplicité. C'est Léonidas luttant avec ses Spartiates contre la fastueuse armée des Satrapes; mais il n'y eut pas de Thermopyles. Les Pyramides furent heureuses aux Français. Soldats," s'écrie Bonaparte, "vous allez combattre aujourd'hui les dominateurs de l'Egypte; songez que, du haut de ces monuments, quarante siècles vous contemplent."

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Mourad-Bey appuie sa droite au Nil, vers lequel il a construit à la hâte un camp retranché, garni de quarante pièces de canon, et défendu par une vingtaine de mille hommes, janissaires et spahis; sa gauche, qui se prolonge vers les Pyramides, comprend dix mille Mameluks, servis chacun par trois fellahs, et trois mille Arabes. naparte dispose son armée comme à Chébreiss, mais de manière à présenter plus de feu aux ennemis. Desaix occupe notre droite; Vial, notre gauche ; Dugua, le centre. La reconnaissance du camp retranché nous apprend que son artillerie n'est point sur affûts de campagne, et ne pourra sortir, non plus que l'infanterie qui n'oserait le faire sans canons. Aussitôt Bonaparte ordonne un mouvement de toute son armée sur sa droite, en passant hors de la portée des pièces du camp: dès lors l'artillerie et l'infan

terie deviennent presque inutiles à l'ennemi, et nous n'aurons affaire qu'aux Mameluks.

Né avec l'instinct de la guerre et doué d'un coup d'œil pénétrant, Mourad sent que le succès de la journée dépend de ce mouvement, et qu'il faut l'empêcher à tout prix. Il part avec six à sept mille chevaux, et vient fondre sur la colonne du général Desaix. Attaquée en marche, cette colonne paraît un moment ébranlée et même en désordre; mais les carrés se forment et reçoivent avec sang-froid la charge des Mameluks dont la tête seule avait commencé le choc. Reynierd flanque notre gauche. Bonaparte, qui se tenait dans le carré du général Dugua, avance aussitôt sur le gros des Mameluks et se place entre le Nil et Reynier. Les Mameluks font des efforts inouïs pour nous entamer; ils périssent foudroyés par le feu de nos carrés, comme sous les murs d'autant de forteresses. Ces remparts vivants font croire à l'ennemi que nos soldats sont attachés les uns aux autres. Alors les plus braves acculent leurs chevaux contre les baïonnettes de nos grenadiers, et les renversent sur eux; ils succombèrent tous. La masse tourne autour de nos carrés en cherchant à pénétrer dans les intervalles; dès lors leur but est manqué : au milieu de la mitraille et des boulets, une partie rentre dans le camp; Mourad, suivi de ses plus habiles officiers, se dirige sur Gizehe, et se trouve ainsi séparé de son armée. Cependant la division Bon se porte sur le camp retranché, tandis que le général Rampon vole occuper une espèce de défilé entre Gizeh et le camp, où règne la plus horrible confusion. La cavalerie se jette sur l'infanterie, qui, voyant la défaite des Mameluks, s'enfuit vers la gauche d'Embabeh: un bon nombre parvient à se sauver à la nage ou avec des bateaux, mais beaucoup sont précipités dans le Nil par le général Vial. Les autres divisions françaises gagnent du terrain; pris entre leur feu et celui des carrés, les Mameluks essaient de se faire jour, et tombent en désespérés sur la petite colonne du général Rampon, tout leur courage échoue contre ce nouvel obstacle: ils tournent bride, mais un bataillon de carabiniers,

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