Images de page
PDF
ePub

DERNIÈRE ALLOCUTION DE NAPOLÉON À SA GARDE.

Fontainebleau, 21 avril 1814.

GÉNÉRAUX, officiers, sous-officiers et soldats de ma vieille garde, je vous fais mes adieux: depuis vingt ans je suis content de vous; je vous ai toujours trouvés sur le chemin de la gloire.

Les Puissances alliées ont armé toute l'Europe contre moi....la France a voulu d'autres destinées.

Avec vous et les braves qui me sont restés fidèles, j'aurais pu entretenir la guerre civile pendant trois ans ; mais la France eût été malheureuse, ce qui était contraire au but que je me suis proposé.

Soyez fidèles au nouveau roi que la France s'est choisi ; n'abandonnez pas notre chère patrie, trop longtemps malheureuse! aimez-la toujours, aimez-la bien, cette chère patrie!

Ne plaignez pas mon sort; je serai toujours heureux lorsque je saurai que vous l'êtes.

J'aurais pu mourir; rien ne m'eût été plus facile; mais je suivrai sans cesse le chemin de l'honneur. J'ai encore à écrire ce que nous avons fait.

Je ne puis vous embrasser tous, mais j'embrasserai votre général....venez, général.....(il serre le général Petit dans ses bras.) Qu'on m'apporte l'aigle......(il la baise) chère Aigle! que ces baisers retentissent dans le cœur de tous les braves!...Adieu, mes enfants!...mes vœux vous accompagneront toujours; conservez mon souvenir....

NAPOLÉON BONAPARTE.

NAPOLÉON Bonaparte, le héros des temps modernes, héros dans le sens antique du mot, héros à la façon de ces personnages épiquesa, demi-dieux de la terre, qui la remplissent de leurs exploits, laissent un souvenir ineffaçable dans la mémoire des hommes, prennent place dans les traditions de tous les peuples, grandissent de siècle en siècle,

grâce aux actions surhumaines dont la fable grossit leur histoire, et finissent par laisser l'érudit incertain si ces Hercule, ces Sésostris, ces Romulus, dont le nom et les monuments sont partout, ont jamais vécu; qu'un jour la civilisation disparût de notre vieux continent; qu'il restât des poésies, des chroniques, des médailles, des ruines; qu'à travers les ravages du temps, l'historien lût le même nom inscrit sur la pierre de l'Escurial, sur le marbre du Capitole, sur le granit des Pyramides; qu'il le retrouvât dans les débris de Schoenbrünn, de Potsdam, de Kremline, comme sous le sable des déserts, ajouterait-il foi aux témoignages qui feraient de ce nom celui d'un seul conquérant, d'un même potentat, d'un monarque grand entre les législateurs aussi bien qu'entre les guerriers? Comment croire à cet empire du monde avec un point de départ si lointain, à ce complet changement de la face de l'univers sous la main d'un seul homme, à ces nations, à ces dynasties faites ou défaites en dix ans ? comment croire surtout à ces victoires sans nombre, à ces conquêtes sans terme, avec toutes les créations des arts, les routes ouvertes, les temples restaurés, les ponts construits, les musées fondés, avec Anvers creuséf et les Alpes aplanies? Que dire de ces autres créations plus grandes, les institutions, les codes, une législation entière, qui embrasse à la fois la vie civile et politique des peuples, au lendemain d'une révolution dévorante, à travers les invasions et les guerres plus dévorantes peut-être ? Conciliez avec tant de puissance ces catastrophes soudaines; avec tant de génie, sa chute immense; avec tant de gloire, l'abandon du genre humain ; et avec cet abandon, les terreurs des rois, l'Europe liguée pour se défendre contre un homme, l'Océan même préposé à sa garde, parce qu'un de ses pas pouvait encore ébranler le monde ! cet exil sur un écueil solitaire en face du géant Adamastor, cette agonie de Prométhée1, tiennent de la mythologie plus que de l'histoire. L'histoire, comment fera-t-elle pour expliquer la mort de Napoléon, impuissante et ignorée comme sa naissance, lorsque, longtemps après, il reste à son nom assez d'empire pour prêter de la force à

qui l'honore, et affermir le roik qui va à la tête de tout le peuple rendre gloire à sa statue relevée! Les partis mêmes qui l'ont combattu, se disputant l'héritage de sa mémoire comme un trophée, comme une arme, comme un bouclier, sembleront une imitation des chefs de la Grèce se disputant les armes d'Achille. Tout est homérique, tout est fatal, tout est prodigieux dans cette grande vie, pour qui contemple son cours depuis l'île où fut son berceau jusqu'à celle où gît son sépulcre, astre éclatant et terrible qui, pour remplir l'Orient et l'Occident, se lève du sein des mers et retourne s'y abîmer!

[blocks in formation]

a Comme Achille dans l'Iliade, Enée dans l'Enéide, &c.

b L'Escurial, à sept lieues de Madrid. C'est une célèbre maison royale où les souverains d'Espagne séjournent de temps à autre.

© Schoenbrünn (belle source), palais impérial à une demi-lieu de Vienne, où, en 1805 et en 1809, Napoléon établit son quartier-général.

d Potsdam, ville des Etats prussiens, à six lieues de Berlin. Dans une des églises de cette ville est le tombeau de Frédéric II, que visita Napoléon.

e Le Kremlin est, à Moscou, l'ancien palais des Czars.

f Le grand bassin d'Anvers.

8 La route du Simplon, pratiquée au travers des Alpes lépontiennes, a 14 lieues de longueur, et a coûté six années de travaux.

Le géant Adamastor, génie des tempêtes, est une création du Camoëns, dans son poème de la Lusiade.

i Prométhée, ayant dérobé le feu du ciel (voyez la note ", page 264), fut condamné par Jupiter à être attaché sur un rocher du Caucase, où un vautour devait lui dévorer le foie.

* Louis-Philippe ler, roi des Français.

ALGER.

CETTE pyramide de maisons inégales et blanches, et dont la base est une ceinture crénelée1, par où sortent des canons à fleur d'eau2; ces dômes blafards' que coiffent des palmiers et des cigognes, comme autant d'aigrettes

sur un turban; ces monuments sans croisées extérieures, espèces de maisons aveugles; cette plage sur laquelle se balancent quelques barques alongées, mais sans voile déployée, sans rames, sans gouvernail: enfin cette ville et cette mer engourdies sous le soleil, c'est Alger.

Alger dort, ce vaste nid de pirates; rien n'y décèle la vie et l'activité. Il est impossible d'admettre que c'est de là que partent des nuées de corsaires, avec leurs mille barques; que c'est là qu'ils retournent avec leurs mille prises, remorquant à la suite les uns des autres le brick français et le schooner anglais, la flûte hollandaise et la tartane' sicilienne, le chebec napolitain et le misticko sarde: non, ce n'est pas là Alger, la terreur des mers, l'effroi de la chrétienté.

Ce dernier mot nous dispense presque de dire que nous nous plaçons à cinquante ans environ de distance de notre époque, où Alger est une ville européenne, presque une ville de second ordre; ayant des lanternes et un peuple, ce qui est le commencement de toute civilisation et de toute révolution; possédant des fontaines et pas d'eau, comme une ville de premier ordre; ayant enfin ce que nous n'avons pas, les Bédouins; ce que n'a pas le désert, un maire et un juge de paix.

Alger n'était pas comme cela il y a cinquante ans.

Il y a cinquante ans aussi, lorsqu'une voile française ou italienne blanchissait à l'horizon, ne fût-elle grande que comme l'aile d'un albatros, Alger, la vieille barbaresque, s'éveillait alors, frappait dans le creux de ses mains comme un sultan appelant ses esclaves, et hommes nus, rouges, noirs, cuivrés, armés ou sans armes, brandissant l'aviron ou la hache, femmes et enfants, tous coulaient sans bruit le long des maisons, le long des ravins, le long des plages, le long de leurs barques plates, et puis gagnaient la haute

mer.

Le soir, Alger fumait et flamboyait comme un brasier; les captifs ramenés étaient traînés dans les chantiers du dey. Les femmes captives passaient dans son sérail, avec leurs éventails ou leurs mantilles, et puis s'effectuait le

partage du menu butin. À ceux-ci les belles voiles, à ceux-ci les draps moelleux, à ceux-ci les belles armes, les armes d'acier incrustées de nacre, les fusils à double coup, les pistolets si beaux à la ceinture, si fiers au poignet; à ceux-là l'or en barre ou l'or monnayé, à ceux-là les comestibles, le café, le sucre, le tabac, le vin, l'eau-de-vie; au chef le tonneau de riz, au soldat le sac, à la femme la mesure, à l'enfant la pincée 10. Ainsi de tout; puis Alger, ivre et repue, ivre de vin français, repue de comestibles anglais, dansait en rond et tournait, comme un derviche, jusqu'à ce qu'elle tombât sur la terre. Dans cet état, Alger paraissait ne pas exister; c'est peut-être dans cet état que la surprit une fois Barberoussed; mais à coup sûr ce ne fut pas dans celui-là qu'elle chassa Charles-Quinte.

GOZLAN (Léon),

LÉON GOZLAN.

Auteur vivant. Jeune écrivain de l'école moderne, et dont le style est plein d'originalité et d'éclat. Il est un des rédacteurs des Cent et un, de la Revue de Paris, de la France littéraire, &c.

a C'est en 1830 qu'Alger fut prise par les Français.

↳ Grand oiseau aquatique très-vorace, qui habite les mers australes. c Derviche, sorte de religieux musulman. Un des plus grands actes de piété des derviches est de tourner sur eux-mêmes jusqu'à ce qu'ils tombent étourdis.

d Barberousse (Oroush), fameux pirate, mort en 1518.

e Charles-Quint, empereur d'Allemagne et roi d'Espagne, né à Gand en 1500, mort en 1558. Il s'éleva entre lui et François Ier des débats qui ensanglantèrent l'Europe pendant tout le cours de son règne. (Voyez la note, page 304.) En 1555, il se démit de la couronne en faveur de son fils Philippe. En 1535 il avait essayé, mais en vain, de conquérir Alger.

OBSÈQUES DE M. CUVIERa.
Discours de M. de Jouy.

MESSIEURS,

La mort nous ravit un homme puissant par la pensée, puissant par la parole, un homme dont le génie avait rendu

« PrécédentContinuer »