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tributaires toutes les nations éclairées du globe. L'illustre Cuvier n'est plus; la France, l'Europe, déplorent avec nous la perte immense que vient de faire le monde savant.

Elle est éteinte cette sublime intelligence qui semble franchir les bornes de la nature pour lui dérober ses plus intimes secrets. Elle est glacée pour jamais cette voix éloquente qui retentit encore à notre oreille. À pareil jour, nous assistions à ses doctes leçons; au pied de cette tribune, où se pressait la foule de ses élèves et de ses admirateurs, nous l'entendions converser avec les siècles passés, et, remontant avec lui jusqu'au berceau de la science, nous la précédions dans sa marche, nous la devancions dans ses progrès. À pareil jour, la semaine dernière,

il nous assemblait autour de sa chaire: où nous rassemblet-il aujourd'hui? autour de sa tombe.

Ce n'est pas à nous qu'il appartient d'assigner à M. Cuvier le rang qu'il doit occuper parmi ce petit nombre d'hommes de génie dont les travaux scientifiques ont agrandi le domaine de l'esprit humain contentons-nous de dire que cet émule des Fontenelle, des Dalembert, des Buffon, fut à la fois un savant du premier ordre, un littérateur distingué; c'est à ce dernier titre que l'Académie française s'honora de le compter parmi ses membres, et qu'elle exprime en ce moment, par ma voix, les profonds regrets qu'elle éprouve en voyant disparaître la plus éclatante lumière du siècle. Aussi remarquable par la multiplicité de ses connaissances que par leur étendue, cette haute intelligence n'avait pu rester étrangère à la science de l'homme d'état: M. Cuvier fut appelé successivement aux fonctions les plus importantes du gouvernement; dans toutes, il porta cette force de conception, cette profondeur de vues, ces recherches lumineuses qui lui avaient révélé quelques-uns des mystères de la nature; mais quels que soient les services qu'il ait pu rendre à l'État dans la carrière politique qu'il a parcourue, c'est le réformateur de la zoologie, c'est le fondateur du Cabinet d'anatomie comparée, c'est l'auteur d'une création nouvelle, qui exhuma, qui ressuscita des classes d'animaux disparus de la terre;

c'est l'homme de la science, en un mot, qui vivra dans la postérité.

Celui dont les travaux avaient immortalisé l'existence vit arriver la mort avec une courageuse résignation. "Je suis anatomiste," disait-il aux doctes amis qui lui prodiguaient leurs soins, "la paralysie a gagné la moelle épinière, vous n'y pouvez plus rien, et moi je n'ai plus qu'à mourir."

Hier M. Cuvier était baron, pair de France, conseillerd'État, membre du Conseil de l'instruction publique, grand officier de la Légion-d'Honneur, secrétaire-perpétuel de l'Académie des Sciences, membre de l'Académie française, de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, et de presque toutes les sociétés savantes et littéraires du monde.

Aujourd'hui George Cuvier perd tous ces titres pompeux, mais il reste en possession de cette vie intellectuelle qui n'a point de terme dans l'avenir; ses titres ont péri, mais son nom est immortel.

a Voyez la page 193.

DE JOUY. (Voyez la page 156.)

b Voyez la note, page 154. C'est comme auteur d'éloges académiques que M. de Jouy compare ici Fontenelle à M. Cuvier.

LA FRANCE INDUSTRIELLE.

Il y a quelques années, je conçus le projet d'étudier la France, de connaître son sol, ses monuments, ses villes, ses hameaux, et cette vaste ceinture de fleuves, de mers et de montagnes, qui se déroule des Pyrénées aux Alpes, de la Méditerranée à l'Océan. J'espérais un grand plaisir de cette course: mon attente ne fut pas trompée. Sous les climats les plus doux, je rencontrai des populations intelligentes et une singulière abondance de tous les biens de la terre. Je vis avec admiration d'innombrables vaisseaux entrer dans nos ports, et y verser les richesses des cinq

parties du monde; ces richesses, plus de cinquante mille voitures de transport s'en emparent et les dispersent, çà et là, dans le pays dont elles entretiennent sans cesse le mouvement et la prospérité. Ici, les fers de la Norvège s'enflamment et s'amollissent sous le marteau des forgerons; là, se déploient en tissus moelleux les laines d'Espagne et de Cachemire; plus loin, des peuples d'ouvriers reçoivent le coton des Indes, le filent, le tissent et lui impriment les plus vives couleurs; je trouvai partout les vieux cloîtres et les vieilles abbayes transformés en manufactures; leurs voûtes profondes répétaient les chansons des ouvriers, et le bruit incessant des machines à vapeur. J'étais ravi de tant de bien-être; mais ce qui excita vivement ma surprise, ce fut de voir l'impulsion immense donnée à tout le pays par l'éducation d'un insecte. Du Midi au Nord, des frontières de l'Italie aux montagnes volcaniques du Vivarais, une chenille excite partout l'activité. A Avignon, à Lisle", à Vaucluse, on dévide ses cocons1. En Normandie, les doigts exercés des femmes attachent ces fils à de légers fuseaux, et jettent mille gracieux dessins sur les mailles aériennes de nos blondes.

À Saint-Étienne, ces mêmes fils se tissent en rubans qui se déroulent sur toute la surface de l'Europe. À Nîmes, on en fabrique des étoffes qui bruissent et chatoient comme des métaux. À Lyon, mon beau pays, ils se déploient en velours épais, en gazes transparentes comme l'air et brillantes comme la nacre, en satin, en damas, en lampasc.

À Paris enfin, la soie rivalise avec le pinceau, et va jusqu'à reproduire, sur les somptueuses tentures des Gobelins, les tableaux des plus grands maîtres d. Telle est la richesse de la France. Mais ces chefs-d'œuvre de l'art, ces prodiges de l'industrie, que sont-ils en comparaison des biens que lui prodigue la nature? Vous y voyez tous les climats, vous y rencontrez toutes les cultures; au Midi, l'olivier, le citronnier, l'oranger; au Nord, le mélèze et le sapin, les deux extrémités de la chaîne botanique. Les arbres de la Perse et des deux Amériques viennent s'y

mêler à l'orme féodal et aux chênes de la vieille Gaule ; les fruits parfumés de l'Asie, au pommier indigène; la flore entière de l'Orient, à l'humble violette, à nos couronnes de bluets, aux bouquets champêtres de la pâquerette et de la mystérieuse verveinee. Ainsi la France se couvre des productions du nouveau monde et des trésors de l'ancien. Du haut de ses coteaux chargés de vignes, des fleuves de vin coulent éternellement dans la coupe de tous les peuples, tandis que, sur ses larges plaines, les moissons ondoient, comme les flots de la mer, sous le vent qui les courbe, sous le soleil qui les mûrit.

À la vue de tant de biens, mon cœur bondissait de joie. Je m'écriais: Chère patrie! terre fortunée! tu possèdes tout, richesse, intelligence, liberté. Est-il sur le globe un spectacle comparable à celui de ta gloire! Tu t'es dépouillée de tes superstitions et de tes vices, comme on se dépouille d'un haillon flétri2; plus de moines inutiles, plus de droits féodaux, plus de corvées, plus de servage, plus de castes qui se méprisent, plus de provinces rivales et jalouses; je ne vois dans ton sein qu'un peuple, et, dans ce peuple, qu'une famille!

L. AIMÉ-MARTIN. De l'éducation des mères de famille.

AIME-MARTIN (Louis),

Auteur vivant, né à Lyon en 1786. Parmi les ouvrages de cet écrivain, on remarque les Lettres à Sophie sur la physique, la chimie et l'histoire naturelle; le roman de Raymond; et surtout le traité De l'éducation des mères de famille. On cite aussi avec éloge ses Commentaires sur Molière, Racine, &c., sa Vie de Bernardin de Saint-Pierre, son Introduction au Panthéon littéraire,

&c.

a Le Vivarais, ancienne province de France, dont Viviers était la capitale. Elle a formé le département de l'Ardèche et une partie de celui de la Haute-Loire.

b Jolie petite ville du département de Vaucluse.

Etoffe de soie de la Chine.

d Ce n'est pas la soie, mais bien la laine qui, par son admirable teinture, produit de tels chefs-d'œuvre.

• Mystérieuse, sans doute à cause de l'usage qu'on en fesait dans certaines opérations magiques.

f Corvée. Travail et service gratuit qui était dû par le paysan ou le tenancier à son seigneur, soit en journées de corps, soit en journées de chevaux, de bœufs et de harnais.

VERSAILLES.

C'EST là un pèlerinage poétique. Partir de Paris à deux heures, traverser cette grande route par laquelle tout le dix-septième siècle a passé, ce chemin de Versailles à Paris, traversé par la royauté de France dans des appareils si divers et pour des causes si différentes. Au bord de ces chemins, quand passait Louis XIV, ses sujets s'agenouillaient dans la poussière; deux rois plus tard, ces mêmes sujets s'en allaient à main armée chercher de force le petitfils de Louis XIV, lui, sa femme, sa sœur, et son enfant; et du château de Versailles, cette monarchie de tant de siècles passait dans les prisons, et de là à l'échafaud. Quel drame de gloire et d'infamie s'est passé sur cette grande route aujourd'hui si tranquille! Aujourd'hui la bourgeoisie a remplacé la cour; elle va à Versailles pour voir jouer les eaux, elle en revient au galop des chevaux de coucou ; elle est la reine de ces beaux lieux, reine paisible et sans peur, et à l'abri de toute calomnie. Demandez à qui appartient le château de Louis XIV aujourd'hui? Il appartient au premier bourgeois qui s'y vient promener avec sa femme et son enfant. Ils foulent tranquillement ces belles allées où passèrent, comme un songe, tant de grandeurs et tant de beautés : le grand Condé, M. de Turenne, Racine, Molière, la Vallière, Montespan.

Le château de Versailles est beau, surtout quand vient l'automne souffler de sa tiède haleine sur la feuille qui jaunit et qui tombe. Alors, quand toute verdure a passé, quand tout oiseau fait silence, quand les eaux dorment dans leur prison de plomb, quand le buis seul, ce buis travaillé par Le Nôtre, en pyramides factices, jette seul, sur

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