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Sca. Oui.

Gér. Que diable allait-il faire dans cette galère?
Sca. Vous avez raison: mais hâtez-vous.
Gér. N'y avait-il point d'autre promenade?
Sca. Cela est vrai: mais faites promptement.
Gér. Ah! maudite galère !

Sca. [à part.] Cette galère lui tient au cœur.

Gér. Tiens, Scapin, je ne me souvenais pas que je viens justement de recevoir cette somme en or, et je ne croyais

pas qu'elle dût m'être si tôt ravie. [Tirant sa bourse de sa poche, et la présentant à Scapin.] Tiens, va-t'en racheter mon fils.

Sca. [tendant la main.] Oui, monsieur.

Gér. [retenant sa bourse, qu'il fait semblant de vouloir donner à Scapin.] Mais dis à ce Turc que c'est un scélérat.

Sca. [tendant encore la main.] Oui.

Gér. [recommençant la même action.] Un infâme.

Sca. [tendant toujours la main.] Oui.

Gér. [de même.] Un homme sans foi, un voleur.
Sca. Laissez-moi faire.

Gér. [de même.] Qu'il me tire cinq cents écus contre toute sorte de droit.

Sca. Oui.

Gér. [de même.] Que je ne les lui donne ni à la mort ni à la vie.

Sca. Fort bien.

Gér. [de même.] Et que, si jamais je l'attrape, je saurai me venger de lui.

Sca. Oui.

Gér. [remettant sa bourse dans sa poche, et s'en allant.] Va, va vite requérir mon fils.

Sca. [courant après Géronte.] Holà, monsieur!

Gér. Quoi?

Sca. Où est donc cet argent?

Gér. Ne te l'ai-je pas donné?

Sca. Non vraiment, vous l'avez remis dans votre poche.

Gér. Ah! c'est la douleur qui me trouble l'esprit.

Sca. Je le vois bien.

Gér. Que diable allait-il faire dans cette galère? Ah! maudite galère! traître de Turc, à tous les diables !

Sca. [seul.] Il ne peut digérer les cinq cents écus que je lui arrache; mais il n'est pas quitte envers moi; et je veux qu'il me paie en une autre monnaie l'imposture qu'il m'a faite auprès de son fils.

Scènes tirées du MALADE IMAGINAIRE.

ARGAN, BÉLINE, Angélique, CLÉANTE, M. DIAFOIRUS, THOMAS DIAFOIRUS, TOINETTE.

Arg. [mettant la main à son bonnet sans l'ôter, s'adressant à M. Diafoirus, qui entre avec son fils.] Monsieur Purgon, monsieur, m'a défendu de découvrir ma tête. Vous êtes du métier, vous savez les conséquences.

M. Diaf. Nous sommes, dans nos visites, pour porter secours aux malades, et non pour leur porter de l'incommodité.

[Argan et M. Diafoirus parlent en même temps.]

Arg. Je reçois, monsieur,

M. Diaf. Nous venons ici, monsieur,

Arg. Avec beaucoup de joie,

M. Diaf. Mon fils Thomas et moi,
Arg. L'honneur que vous me faites,
M. Diaf. Vous témoigner, monsieur,
Arg. Et j'aurais souhaité....

M. Diaf. Le ravissement où nous sommes.

Arg. De pouvoir aller chez vous....

M. Diaf. De la grâce que vous nous faites....

Arg. Pour vous en assurer;

M. Diaf. De vouloir bien nous recevoir....

Arg. Mais vous savez, monsieur,

M. Diaf. Dans l'honneur, monsieur,

Arg. Ce que c'est qu'un pauvre malade,
M. Diaf. De votre alliance;

Arg. Qui ne peut faire autre chose....
M. Diaf. Et vous assurer....

Arg. Que de vous dire ici....

M. Diaf. Que dans les choses qui dépendront de notre métier,

Arg. Qu'il cherchera toutes les occasions....

M. Diaf. De même qu'en toute autre,

Arg. De vous faire connaître, monsieur,

M. Diaf. Nous serons toujours prêts, monsieur,
Arg. Qu'il est tout à votre service.

M. Diaf. À vous témoigner notre zèle. [A son fils.] Allons, Thomas, avancez. Faites vos compliments. Thomas Diaf. [à M. Diafoirus.] N'est-ce pas par le père qu'il convient de commencer ?

M. Diaf. Oui.

Thomas Diaf. [à Argan.] Monsieur, je viens saluer, reconnaître, chérir et révérer en vous un second père, mais un second père auquel j'ose dire que je me trouve plus redevable qu'au premier. D'autant plus je vous dois, et d'autant plus je tiens précieuse cette future filiation dont je viens aujourd'hui vous rendre, par avance, les trèshumbles et très-respectueux hommages.

Toin. Vivent les colléges, d'où l'on sort si habile homme !

Thomas Diaf. [à M. Diafoirus.] Cela a-t-il bien été, mon père?

M. Diaf. Optimè.

Arg. [à Angélique.] Allons, saluez monsieur.

Thomas Diaf. [à M. Diafoirus.] Baiserai-je?

M. Diaf. Oui, oui.

Thomas Diaf. [à Angélique.] Madame, c'est avec justice que le ciel vous a concédé le nom de belle-mère, puisque l'on ....

Arg. [à Thomas Diafoirus.] Ce n'est pas ma femme, c'est ma fille à qui vous parlez.

Thomas Diaf. Où donc est-elle ?

Arg. Elle va venir.

Thomas Diaf. Attendrai-je, mon père, qu'elle soit venue? M. Diaf. Faites toujours le compliment à mademoiselle. Thomas Diaf. Mademoiselle, ni plus ni moins que la statue de Memnon rendait un son harmonieux lorsqu'elle venait à être éclairée des rayons du soleil, tout de même me sens-je animé d'un doux transport à l'apparition du soleil de vos beautés; et, comme les naturalistes remarquent que la fleur nommée héliotrope tourne sans cesse vers cet astre du jour, ainsi mon cœur dorénavant tournera-t-il toujours vers les astres resplendissants de vos yeux adorables, ainsi que vers son pôle unique. Souffrez donc, mademoiselle, que j'appende aujourd'hui à l'autel de vos charmes l'offrande de ce cœur, qui ne respire et n'ambitionne autre gloire que d'être toute sa vie, mademoiselle, votre très-humble, trèsobéissant et très-fidèle serviteur et mari.

Toin. Voilà ce que c'est que d'étudier, on apprend à dire de belles choses.

Arg. [à Cléante.] Hé! que dites-vous de cela?

Cléan. Que monsieur fait merveilles, et que, s'il est aussi bon médecin qu'il est bon orateur, il y aura plaisir à être de ses malades.

Toin. Assurément. Ce sera quelque chose d'admirable, s'il fait d'aussi belles cures qu'il fait de beaux discours. Arg. Allons, vite, ma chaise, et des siéges à tout le monde. [Les laquais donnent des siéges.] Mettez-vous là, ma fille. [A M. Diafoirus.] Vous voyez, monsieur, que tout le monde admire monsieur votre fils; et je vous trouve bien heureux de vous voir un garçon comme celui-là.

M. Diaf. Monsieur, ce n'est pas parce que je suis son père, mais je puis dire que j'ai sujet d'être content de lui, et que tous ceux qui le voient, en parlent comme d'un garçon qui n'a point de méchanceté. Il n'a jamais eu l'imagination bien vive, ni ce feu d'esprit qu'on remarque dans quelques uns; mais c'est par là que j'ai toujours bien auguré de sa judiciaire', qualité requise pour l'exercice de notre art. Lorsqu'il était petit, il n'a jamais été ce qu'on

appelle vif et éveillé ; on le voyait toujours doux, paisible et taciturne, ne disant jamais mot, et ne jouant jamais à tous ces petits jeux que l'on nomme enfantins. On eut toutes les peines du monde à lui apprendre à lire; et il avait neuf ans, qu'il ne connaissait pas encore ses lettres. Bon! disais-je en moi-même, les arbres tardifs sont ceux qui portent les meilleurs fruits. On grave sur le marbre bien plus mal-aisément que sur le sable; mais les choses y sont conservées bien plus longtemps; et cette lenteur à comprendre, cette pesanteur d'imagination, est la marque d'un bon jugement à venir. Lorsque je l'envoyai au collége, il trouva de la peine, mais il se raidissait contre les difficultés; et ses régents se louaient toujours à moio de son assiduité et de son travail. Enfin, à force de battre le fer3 il en est venu glorieusement à avoir ses licences; et je puis dire, sans vanité, que, depuis deux ans qu'il est sur les bancs, il n'y a point de candidat qui ait fait plus de bruit que lui dans toutes les disputes de notre école. Il s'y est rendu redoutable; et il ne s'y passe point d'acte où il n'aille argumenter à outrance pour la proposition contraire. Il est ferme dans la dispute, fort comme un Turc sur ses principes, ne démord jamais de son opinion, et poursuit un raisonnement jusques dans les derniers recoins de la logique. Mais, sur toute chose, ce qui me plaît en lui, et en quoi il suit mon exemple, c'est qu'il s'attache aveuglément aux opinions de nos anciens, et que jamais il n'a voulu comprendre ni écouter les raisons et les expériences des prétendues découvertes de notre siècle touchant la circulation du sang, et autres opinions de même espèce.

Thomas Diaf. [tirant de sa poche une grande thèse roulée qu'il présente à Angélique.] J'ai, contre les circulateurs, soutenu une thèse, qu'avec la permission [saluant Argan] de monsieur, j'ose présenter à mademoiselle, comme un hommage que je lui dois des prémices de mon esprit.

Angél. Monsieur, c'est pour moi un meuble inutile, et je ne me connais pas à ces choses-là.

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