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Toin. [prenant la thèse.] Donnez, donnez; elle est toujours bonne à prendre pour l'image: cela servira à parer notre chambre.

Thomas Diaf. [saluant encore Argan.] Avec la permission aussi de monsieur, je vous invite à venir voir, l'un de ces jours, pour vous divertir, une dissection sur laquelle je dois raisonner.

Toin. Le divertissement sera agréable. Il y en a qui donnent la comédie à leurs maîtresses; mais donner une dissection est quelque chose de plus galant.

Arg. [à M. Diafoirus.] N'est-ce pas votre intention, monsieur, de pousser votre fils à la cour, et d'y ménager pour lui une charge de médecin ?

M. Diaf. À vous en parler franchement, notre métier auprès des grands ne m'a jamais paru agréable; et j'ai toujours trouvé qu'il valait mieux pour nous autres demeurer au public. Le public est commode: vous n'avez à répondre de vos actions à personne; et, pourvu que l'on suive le courant des règles de l'art, on ne se met point en peine de tout ce qui peut arriver; mais ce qu'il y a de fâcheux auprès des grands, c'est que, quand ils sont malades, ils veulent absolument que leurs médecins les guérissent.

Toin. Cela est plaisant! et ils sont bien impertinents, de vouloir que vous autres messieurs vous les guérissiez ! Vous n'êtes pas auprès d'eux pour cela: vous n'y êtes que pour recevoir vos pensions, et leur ordonner des remèdes; c'est à eux à guérir, s'ils peuvent.

M. Diaf. Cela est vrai; on n'est obligé qu'à traiter les gens dans les formes.

Arg. [à Béline qui entre.] M'amour, voilà le fils de monsieur Diafoirus.

Thomas Diaf. Madame, c'est avec justice que le ciel vous a concédé le nom de belle-mère, puisque l'on voit sur votre visage....

Bél. Monsieur, je suis ravie d'être venue ici à propos, pour avoir l'honneur de vous voir.

Thomas Diaf. Puisque l'on voit sur votre visage....

....

Puisque l'on voit sur votre visage.. Madame, vous m'avez interrompu dans le milieu de la période, et cela m'a troublé la mémoire.

M. Diaf. Thomas, réservez cela pour une autre fois. Arg. Je voudrais, m'amie, que vous eussiez été ici tantôt.

Toin. Ah! madame, vous avez bien perdu de n'avoir point été ici au second père, à la statue de Memnon, et à la fleur nommée héliotrope.

Arg. Allons, ma fille, touchez dans la main de monsieur, et lui donnez votre foi comme à votre mari.

Angél. Mon père!...

Arg. Hé bien! mon père! Qu'est-ce que cela veut dire ? Angél. De grâce, ne précipitez pas les choses. Donneznous au moins le temps de nous connaître, et de voir naître en nous, l'un pour l'autre, cette inclination si nécessaire à composer une union parfaite.

Thomas Diaf. Quant à moi, mademoiselle, elle est déjà toute née en moi; et je n'ai pas besoin d'attendre davantage.

Angél. Si vous êtes si prompt, monsieur, il n'en est pas de même de moi; et je vous avoue que votre mérite n'a pas encore fait assez d'impression dans mon âme.

Arg. Oh! bien, bien; cela aura tout le loisir de se faire quand vous serez mariés ensemble.

Angél. Hé! mon père, donnez-moi du temps, je vous prie. Le mariage est une chaîne où l'on ne doit jamais soumettre un cœur par force; et si monsieur est honnête homme, il ne doit point vouloir accepter une personne qui serait à lui par contrainte.

Thomas Diaf. Nego consequentiam, mademoiselle; et je puis être honnête homme, et vouloir bien vous accepter des mains de monsieur votre père.

Angél. C'est un excellent moyen de se faire aimer de quelqu'un, que de lui faire violence.

Thomas Diaf. Nous lisons des anciens, mademoiselle, que leur coutume était d'enlever par force de la maison des pères les filles qu'on menait marier, afin qu'il ne sem

blât pas que ce fût de leur consentement qu'elles convolaient dans les bras d'un homme.

Angél. Les anciens, monsieur, sont les anciens; et nous sommes les gens de maintenant. Les grimaces ne sont point nécessaires dans notre siècle; et, quand un mariage nous plaît, nous savons fort bien y aller sans qu'on nous y traîne. Donnez-vous patience; si vous m'aimez, monsieur, vous devez vouloir tout ce que je veux.

Thomas Diaf. Oui, mademoiselle, jusqu'aux intérêts de mon amour exclusivement.

Angél. Mais la grande marque d'amour, c'est d'être soumis aux volontés de celle qu'on aime.

Thomas Diaf. Distinguo, mademoiselle. Dans ce qui ne regarde pas sa possession, concedo; mais dans ce qui la regarde, nego.

Toin. [à Angélique.] Vous avez beau raisonner. Monsieur est frais émoulu9 du collége, et il vous donnera toujours votre reste 10. Pourquoi tant résister, et refuser la gloire d'être attachée au corps de la faculté?

Angél. Pour finir toute discussion il vaut mieux que je me retire. Adieu.

[Scène suivante.]

ARGAN, M. DIAFOIRUS, THOMAS DIAFOIRUS.

Arg. Je vous prie, monsieur, de me dire un peu comment je suis.

M. Diaf. [tátant le pouls d'Argan.] Allons, Thomas, prenez l'autre bras de monsieur, pour voir si vous saurez porter un bon jugement de son pouls. Quid dicis?

Thomas Diaf. Dico que le pouls de monsieur est le pouls d'un homme qui ne se porte point bien. M. Diaf. Bon.

Thomas Diaf. Qu'il est duriuscule, pour ne pas dire

dur.

M. Diaf. Fort bien.

Thomas Diaf. Repoussant.

M. Diaf. Bene.

Thomas Diaf. Et même un peu caprisant 1.
M. Diaf. Optime.

Thomas Diaf. Ce qui marque une intempérie dans le parenchymea splénique, c'est-à-dire la rate.

M. Diaf. Fort bien.

Arg. Non; monsieur Purgon dit que c'est mon foie qui est malade.

M. Diaf. Et oui: qui dit parenchyme dit l'un et l'autre, à cause de l'étroite sympathie qu'ils ont ensemble par le moyen du vas breve, du pylore, et souvent des méats cholédoques. Il vous ordonne sans doute de manger force rôti?

Arg. Non; rien que du bouilli.

M. Diaf. Et oui: rôti, bouilli, même chose. Il vous ordonne fort prudemment, et vous ne pouvez être entre de meilleures mains.

Arg. Monsieur, combien est-ce qu'il faut mettre de grains de sel dans un œuf ?

M. Diaf. Six, huit, dix, par les nombres pairs, comme dans les médicaments par les nombres impairs. Arg. Jusqu'au revoir, monsieur.

a

Parenchyme est un terme de médecine par lequel on désigne la substance d'un viscère.

b Termes de médecine et d'anatomie.

Scènes du MARIAGE FORCÉ.

[Les hommes sont quelquefois la dupe des conseils qu'ils demandent, parce qu'ils n'en veulent que de conformes à leurs propres sentiments.]

SGANARELLE, parlant à ceux qui sont dans sa maison.

Je suis de retour dans un moment. Que l'on ait bien soin du logis, et que tout aille comme il faut. Si l'on

m'apporte de l'argent, que l'on me vienne quérir vite chez le seigneur Géronimo; et si l'on vient m'en demander, qu'on dise que je suis sorti, et que je ne dois revenir de toute la journée.

[Scène suivante.]

SGANARELLE, GERONIMO.

Gér. [ayant entendu les dernières paroles de Sganarelle.] Voilà un ordre fort prudent.

Sgan. Ah! seigneur Géronimo, je vous trouve à

et j'allais chez vous, vous chercher.

Gér. Et pour quel sujet, s'il vous plaît?

propos;

Sgan. Pour vous communiquer une affaire que j'ai en tête, et vous prier de m'en dire votre avis.

Gér. Très-volontiers. Je suis bien aise de cette rencontre, et nous pouvons parler ici en toute liberté.

Sgan. Mettez donc dessus, s'il vous plaît. Il s'agit d'une chose de conséquence, que l'on m'a proposée; et il est bon de ne rien faire sans le conseil de ses amis.

Gér. Je vous suis obligé de m'avoir choisi pour cela. Vous n'avez qu'à me dire ce que c'est.

Sgan. Mais, auparavant, je vous conjure de ne me point flatter du tout, et de me dire nettement votre pensée. Gér. Je le ferai, puisque vous le voulez.

Sgan. Je ne vois rien de plus condamnable qu'un ami qui ne nous parle pas franchement.

Gér. Vous avez raison.

Sgan. Et, dans ce siècle, on trouve peu d'amis sincères.
Gér. Cela est vrai.

Sgan. Promettez-moi donc, seigneur Géronimo, de me parler avec toute sorte de franchise.

Gér. Je vous le promets.

Sgan. Jurez-en votre foi.

Gér. Oui, foi d'ami. Dites-moi seulement votre affaire. Sgan. C'est que je veux savoir de vous si je ferai bien de me marier.

Gér. Qui, vous ?

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