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une planche fragile, au milieu de l'Océan, contemplaient un soleil couchant sur les flots! Comme elle allait à l'âme cette invocation du pauvre matelot! Cette humiliation devant celui qui envoie les orages et le calme; cette conscience de notre petitesse à la vue de l'Infini; ces chants s'étendant au loin sur les vagues; la nuit s'approchant avec ses embûches7; la merveille de notre vaisseau au milieu de tant de merveilles; un équipage religieux, saisi d'admiration et de crainte; un prêtre auguste en prière; Dieu penché sur l'abîme, d'une main retenant le soleil aux portes de l'occident, de l'autre élevant la lune à l'horizon opposé, et prêtant, à travers l'immensité, une oreille attentive à la faible voix de sa créature: voilà ce que l'on ne saurait peindre, et ce que tout le cœur de l'homme suffit à peine pour sentir.

CHATEAUBRIAND. (Voyez la page 63.)

a Les haubans sont de gros cordages qui tiennent et affermissent les mâts.

LES INVALIDES AU PIED DES AUTELS.

Qui de nous n'a pas vu quelquefois ces vieux soldats qui, à toutes les heures du jour, sont prosternés çà et là sur les marbres du temple élevé au milieu de leur auguste retraitea? Leurs cheveux, que le temps a blanchis; leur front, que la guerre a cicatrisé; ce tremblement, que l'âge seul a pu leur imprimer, tout en eux inspire d'abord le respect: mais de quel sentiment n'est-on pas ému, lorsqu'on les voit soulever et joindre avec effort leurs mains défaillantes' pour invoquer le Dieu de l'univers et celui de leur cœur et de leur pensée; lorsqu'on leur voit oublier, dans cette touchante dévotion, et leurs douleurs présentes et leurs peines passées; lorsqu'on les voit se lever avec un visage serein, et emporter dans leur âme un sentiment de tranquillité et d'espérance! Ah! ne les plaignez point dans cet instant, vous qui ne jugez du bonheur que par les joies du monde. Leurs traits sont abattus2, leur corps

chancelle, et la mort observe leurs pas; mais cette fin inévitable, dont la seule image vous effraie, ils la voient venir sans alarmes: ils se sont approchés par le sentiment de celui qui est bon, de celui qui peut tout, de celui qu'on n'a jamais aimé sans consolation. Venez contempler ce spectacle, vous qui méprisez les opinions religieuses, et qui vous dites supérieurs en lumières; venez, et voyez vous-mêmes ce que peut valoir, pour le bonheur, votre prétendue science. Ah! changez donc le sort des hommes, et donnez-leur à tous, si vous le pouvez, quelque part aux délices de la terre, ou respectez un sentiment qui leur sert à repousser les injures de la fortune; et, puisque la politique des tyrans n'a jamais essayé de le détruire, puisque leur pouvoir ne serait pas assez grand pour réussir dans cette farouche entreprise, vous, que la nature a mieux doués, ne soyez ni plus durs, ni plus terribles qu'eux; ou si, par une impitoyable doctrine, vous vouliez enlever aux vieillards, aux malades et aux indigents, la seule idée de bonheur à laquelle ils peuvent se prendre, parcourez aussi ces prisons et ces souterrains, où des malheureux se débattent3 dans leurs fers, et fermez de vos propres mains la seule ouverture qui laisse arriver jusqu'à eux quelques rayons de lumière.

NECKER. Importance des opinions religieuses.

NECKER (Jacques),

Né à Genève en 1734, mort en 1804; ministre des finances en France en 1788. Connu par le rôle qu'il a joué dans la révolution française, et par plusieurs ouvrages estimés. Il fut le père de madame de Staël, et rien n'égale la vénération que son illustre fille professa toujours pour lui.

a L'hôtel des Invalides à Paris. C'est là que près de sept mille défenseurs de la patrie trouvent un refuge tranquille, lorsque l'âge ou les blessures les éloignent de la carrière militaire. Cet édifice fut fondé par Louis XIV. en 1675.

b Ici front au singulier est pris dans un sens général; c'est ainsi qu'on dit: Ils ont le front haut, la tête droite, &c.

PHOSPHORESCENCE DE LA MER.

LA phosphorescence des eaux de l'océan, depuis Aristote et Pline, a été, pour les voyageurs et pour les physiciens, un égal objet d'intérêt et de méditation. Combien les phénomènes n'en sont-ils pas effectivement nombreux et variés! Ici, la surface de l'océan étincelle et brille dans toute son étendue, comme une étoffe d'argent électrisée dans l'ombre; là, se déploient les vagues en nappes immenses de soufre et de bitume embrasés; ailleurs, on dirait une mer de lait dont on n'aperçoit pas les bornes. Bernardin de Saint-Pierre a décrit avec enthousiasme ces étoiles brillantes qui semblent jaillir par milliers du fond des eaux, et dont, ajoute-t-il avec raison, celles de nos feux d'artifice ne sont qu'une bien faible imitation. D'autres ont parlé de ces masses embrasées qui roulent sous les vagues, comme autant d'énormes boulets rouges, et nous en avons vu nous-mêmes qui ne paraissaient pas avoir moins de vingt pieds de diamètre. Plusieurs marins ont observé des parallélogrammes incandescents 3b, des cônes de lumières pirouettant sur eux-mêmes, des guirlandes éclatantes, des serpenteaux lumineux. Dans quelques lieux des mers, on voit souvent s'élancer au-dessus de leur surface des jets de feux étincelants; ailleurs on a vu comme des nuages de lumière et de phosphore errer sur les flots au milieu des ténèbres. Quelquefois l'océan semble comme décoré d'une immense écharpe de lumière mobile, onduleuse, dont les extrémités vont se rattacher aux bornes de l'horizon. Tous ces phénomènes, et beaucoup d'autres encore que je m'abstiens d'indiquer ici, quelque merveilleux qu'ils puissent paraître, n'en sont pas moins de la plus incontestable vérité. D'ailleurs ils ont été plus d'une fois décrits pas les voyageurs de la véracité la moins suspecte, et je les ai moi-même presque tous observés en différentes parties des mers.

PÉRON. Voyages aux terres australes.

PERON (François),

Né en 1775, mort en 1810. Principaux ouvrages: Voyages; Mémoires sur l'histoire naturelle; &c.

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Phosphorescence, du grec pŵs (phós), lumière, et pépw (phérô), je porte. Lumière que rendent certains végétaux et quelques animaux. b Incandescent, du latin incandescens, du verbe incandescere (devenir tout en feu), dérivé de candidus (blanc).

LA CATARACTE DE NIAGARA.

Nous arrivâmes bientôt au bord de la cataracte, qui s'annonçait par d'affreux mugissements. Elle est formée par la rivière Niagara, qui sort du lac Érié, et se jette dans le lac Ontario; sa hauteur perpendiculaire est de cent quarante-quatre pieds: depuis le lac Érié jusqu'au saut, le fleuve arrive toujours en déclinant par une pente rapide; et, au moment de la chute, c'est moins un fleuve qu'une mer, dont les torrents se pressent à la bouche béante1 d'un gouffre. La cataracte se divise en deux branches, et se courbe en fer-à-cheval. Entre les deux chutes s'avance une île, creusée en dessous, qui pend, avec tous ses arbres, sur le chaos des ondes. La masse du fleuve, qui se précipite au midi, s'arrondit en un vaste cylindre, puis se déroule en nappe3 de neige, et brille au soleil de toutes les couleurs: celle qui tombe au levant, descend dans une ombre effrayante; on dirait une colonne d'eau du déluge. Mille arcs-en-ciel se courbent et se croisent sur l'abîme. L'onde, frappant le roc ébranlés, rejaillit en tourbillons d'écume qui s'élèvent au-dessus des forêts, comme les fumées d'un vaste embrasement. Des pins, des noyers sauvages, des rochers taillés en forme de fantômes, décorent la scène. Des aigles, entraînés par le courant d'air, descendent en tournoyant au fond du gouffre, et des carcajoux se suspendent par leurs longues queues au bout d'une branche abaissée, pour saisir dans l'abîme les cadavres brisés des élans? et des ours.

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Carcajou ou glouton, quadrupède très-rusé qui se trouve dans les grandes forêts du Nord.

RUINES DES MONUMENTS GRECS.

L'INSOUCIANCE des Turcs a fait plus de tort aux arts que la lime du temps. Ils ne se donnent pas la peine de tailler des pierres, ils démolissent de superbes édifices antiques, et se servent des matériaux pour construire des baraques. J'ai vu les ruines d'un temple de la plus riche architecture, des blocs de granit, des marbres précieux, des bas-reliefs et des ornements du plus beau fini, servir à construire une digue grossière qui détournait les eaux d'un ruisseau pour faire tourner les roues d'un misérable moulin en bois. Ailleurs, ce sont des colonnes de tous ordres, arrachées à divers monuments pour servir de soutien au comble1 d'une écurie. Ici, c'est un autel qu'on a creusé en forme de mortier, qui sert à dépouiller le grain de son enveloppe ; un tombeau antique dont on a brisé le fond, formera ia margelle2 d'un puits, et un autre servira d'auge3 où les troupeaux viendront s'abreuver; une statue qui par sa masse ne peut être déplacée, sera défigurée par les coups de la lance des fanatiques sectateurs du Koran qui proscrit toute représentation humaine. L'on trouvera enfin dans un atelier de sculpteur, ou plutôt d'un barbare fabricant de tombeaux, des marbres dont il s'efforce d'effacer les inscriptions précieuses pour l'histoire de l'antiquité, et cela pour y substituer l'épitaphe d'un obscur descendant de Mahomet. On ne peut faire un pas sans gémir de voir dénaturer ces restes vénérables, et disparaître en un instant le témoignage de tant de siècles de gloire.

CASTELLAN. Lettres sur la Morée.

CASTELLAN,

Né à Paris en 1772; auteur vivant. On a de lui des lettres sur la Morée, la Grèce, l'Hellespont, &c.

L'AMOUR MATERNEL.

Tour Paris se souvient de cette nuit désastreuse qui fut si funeste à l'amour maternel. Un ambassadeur d'Allemagne faisait célébrer le mariage d'un illustre conqué

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