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aumônes qu'on lui donnait, il les distribuait à ses disciples, à chacun selon ses besoins, et employait le reste au soulagement des pauvres. Il ne voulait pas que ceux de sa compagnie reçussent de l'argent, et ne leur permettait d'accepter que ce qui leur était nécessaire pour la provision de chaque jour. Les consuls de Béziers lui présentèrent une fois trente écus d'or en aumône. Il les refusa à son ordinaire; mais les consuls firent de si grandes instances pour le prier d'accepter leur offrande, que le saint, n'osant manquer de respect aux noms de Jésus-Christ et de la sainte Vierge, qu'ils avaient employés pour le fléchir, il prit véritablement l'or qu'ils lui offraient; mais il le donna sur-le-champ à l'un de ses compagnons, avec ordre de le distribuer aux pauvres, aux orphelins et aux veuves, ayant qu'il sortit de la ville.

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Il reprenait, avec une autorité pleine de hardiesse, les vices nonseulement du peuple, mais encore des princes et des prélats, et n'épargnait personne de ceux dont la conduite scandaleuse était digne de blâme. Il avait pourtant cette modération et ce ménagement à l'égard des ecclésiastiques, de sauver l'honneur de leur caractère, en leur faisant la réprimande en particulier. Il en usait de même à l'égard des religieuses qui avaient donné lieu de parler d'elles peu avantageusement. Son cœur renfermait une source inépuisable de cette onction qui se répandait dans ses discours. On la remarquait surtout lorsqu'il célébrait la messe ; la dévotion tendre dont il était animé lui faisait couler une si grande abondance de larmes des yeux quand il était prêt à recevoir le corps et le sang de Jésus-Christ, que ses larmes excitaient celles de la nombreuse multitude qui l'accompagnait toujours.

Le fruit de ses prédications fut si grand, que l'on compte plus de cent mille hommes qui vivaient dans le déréglement, et qu'il mit dans les pratiques d'une pénitence salutaire. Il était impossible de résister à la véhémence de ses paroles. Elles pénétraient dans les cœurs les plus corrompus, et détachaient les âmes criminelles de leurs plus attrayantes habitudes. On en voyait de jour à autre, qui, ne pouvant plus supporter le poids de leurs péchés, se produisaient à cette nombreuse multitude qui suivait saint Vincent, et faisaient un aveu public de leurs fautes, sans se mettre en peine de se couvrir de confusion devant les hommes, pourvu que la pénitence pût les réconcilier avec Dieu. Mais, quoiqu'on fût presque toujours infailliblement vaincu et confondu par cet admirable prédicateur, on s'attachait cependant à le suivre, dès qu'on avait une fois commencé de l'entendre, et l'on trouvait une douceur infinie à ne point contester la victoire à l'Esprit-Saint qui parlait en lui. Il

insistait le plus ordinairement sur trois points: la passion du Sauveur, le jugement qu'il doit porter des vivants et des morts, et les peines de l'enfer. Quand il était sur ces matières, son éloquence, jointe à sa piété, exprimait si vivement ce qu'il sentait en luimême, que tout l'auditoire, pénétré de crainte et de douleur, forçait très-souvent le prédicateur au silence par le bruit des gémissements, plus grand que celui de sa voix. Lorsqu'il expliquait quelques endroits de l'Ecriture sainte, il le faisait avec autant de clarté que d'abondance. Tout ce qu'il avançait pour la correction des mœurs, il le prouvait solidement par les passages précis de l'Ecriture sainte et des Pères de l'Eglise. Sa mémoire, qui était d'une vaste étendue, lui fournissait, avec une facilité et une fidélité surprenantes, les exemples et les passages qui lui étaient nécessaires.

Il n'est pas si difficile de persuader la pénitence et la sainteté à des personnes qui ont vieilli dans le crime, que de convaincre de la vérité du christianisme les Juifs et les mahométans. On compte cependant plus de vingt-cinq mille Juifs convertis par le ministère de saint Vincent dans les divers cantons de l'Espagne, et autant de Musulmans. Parmi les fruits de ses prédications furent un grand nombre de monastères et d'hôpitaux fondés, d'églises bâties, de ponts édifiés sur des passages dangereux; la paix rétablie dans les villes, les haines les plus cruelles apaisées, l'impudicité réprimée, l'usure abolie. Quand il prêchait ces multitudes de peuple dans les places des villes et dans les campagnes, sa voix prenait un tel essor, qu'on l'entendait depuis les premiers rangs jusqu'aux derniers. Dieu renouvelait en sa faveur le miracle de la Pentecôte. Quoique Vincent ne prêchât qu'en sa langue maternelle de Valence, ou en latin, il était entendu par des Grecs, des Allemands, des Sardes, des Hongrois, des Bas-Bretons et autres étrangers, hommes, femmes et enfants, qui ne savaient point d'autres langues que la leur 1.

On le voit, si l'Eglise catholique était divisée par l'incertitude. sur la personne de son chef visible, elle était toujours unie et animée par l'esprit de son chef invisible, par l'Esprit de Dieu; car Vincent Ferrier prêchait, convertissait, faisait des miracles, attirait la foule des peuples dans l'une et l'autre obédience. Les peuples reconnaissaient en lui le même Esprit de Dieu qu'en sainte Catherine de Sienne et sainte Catherine de Suède.

Sainte Catherine de Sienne avait terminé sa vie sainte le vingtsept avril 1580, à Rome, où le pape Urbain VI l'avait fait venir pour être plus à portée de profiter de ses conseils. Il forma même

› Acta SS., 5 april., c. 3. Vies des saints de Bretagne, t. 3.

le projet de la députer, avec sainte Catherine de Suède, vers Jeanne, reine de Naples, qui s'était déclarée pour le Pape d'Avignon, Clément VII; mais cette députation n'eut point licu. Le Père Raymond de Capoue, directeur et biographe de Catherine de Sienne, craignit et fit craindre au Pape que les suites de cette députation ne fussent dangereuses pour les deux servantes de Dieu. Catherine répondit tout haut à Raymond: Si Agnès et Marguerite, et les autres saintes vierges, avaient ainsi pensé, jamais elles n'auraient acquis la couronne du martyre. Est-ce que nous n'avons pas un époux qui puisse nous arracher aux mains des impies et conserver notre pureté au milieu d'hommes corrompus? Ce sont là.de vaines pensées, qui procèdent d'un manque de foi, plus que d'une véritable prudence. La sainte, ne pouvant aller vers la reine de Naples, lui écrivit plusieurs lettres pressantes, mais qui demeurèrent sans effet. Nous avons vu quelle fut la fin tragique de cette princesse.

Catherine de Sienne voyait avec la plus vive douleur les maux de l'Eglise. Pendant qu'elle était à Rome, il se forma dans cette ville même une conspiration contre la vie du pape Urbain VI. Catherine conjurait nuit et jour son céleste époux de ne point permettre un pareil forfait. Elle vit toute la ville pleine de démons qui excitaient le peuple à ce parricide, et poussaient des cris horribles contre la pieuse vierge en prières. Au lieu de leur répondre, elle priait le Seigneur avec plus d'instances, pour l'honneur de son nom et le salut de son Eglise, de frustrer entièrement les désirs des démons, de protéger son Vicaire et de préserver le peuple d'un crime aussi énorme. Le Seigneur répondit que, ce dernier crime mettant le comble à tous les autres, il exterminerait ce peuple rebelle pour satisfaire à sa justice. Catherine implora sa miséricorde pendant plusieurs jours et plusieurs nuits de suite, et enfin, pour satisfaire à sa justice irritée, elle s'offrit à endurer toutes les peines que ce peuple avait méritées. Le Seigneur se tut. L'effervescence du peuple se calma peu à peu; mais toute la rage des démons s'exerça contre la sainte, depuis le dimanche de la Sexagésime, vingt-neuf janvier, jusqu'au jour de sa mort, vingt-neuf avril, dimanche avant l'Ascension.

Le désir qu'elle éprouvait de quitter cette terre, pour contempler Dieu face à face, augmentait de jour en jour; et plus ce désir augmentait, plus aussi Dieu répandait en son âme la lumière surnaturelle. Deux ans avant sa mort, la vérité se manifestait à elle d'une manière si claire, qu'elle pria des scribes de mettre par écrit ce qu'elle dirait pendant ses extases. On recueillit ainsi, en peu de temps, un livre sur l'obéissance, qui contient un dialogue entre

une âme et le Seigneur. En voici la récapitulation dans l'avantdernier chapitre.

<< Maintenant donc, très-chère fille, j'ai satisfait à votre désir, depuis le commencement jusqu'à la fin, touchant l'obéissance. Si vous vous souvenez bien, vous m'avez demandé d'abord avec un désir inquiet, comme je vous ai fait demander pour vous faire croître dans le feu de la charité; vous m'avez demandé, dis-je, quatre choses. L'une pour vous-même, à quoi j'ai satisfait en vous illuminant de la lumière de ma vérité et en vous montrant de quelle manière vous parveniez à connaître cette vérité, par la connaissance de vous et de moi, et moyennant la lumière de la foi. La seconde demande fut que je fisse miséricorde au monde. La troisième fut pour le corps mystique de la sainte Eglise, me priant d'en ôter les ténèbres et la persécution, et de punir sur vous leurs iniquités.

>> A ce propos, je vous ai montré que nulle peine finie ou temporelle ne peut satisfaire par elle seule pour une faute commise contre moi, qui suis le bien infini; elle satisfait, néanmoins, si elle est unie à la contrition de cœur et au désir de l'âme ; et je vous en ai expliqué la manière. Je vous ai répondu aussi que je veux faire miséricorde au monde, en vous montrant qu'il m'est propre d'être miséricordieux. Aussi, est-ce par la miséricorde et l'amour inestimable que je portais à l'homme, que j'ai envoyé mon Fils unique et mon Verbe. Et, pour vous le montrer plus clairement, je l'ai comparé à un pont, qui va du ciel à la terre par l'union de ma nature divine avec votre nature humaine. Pour vous éclairer plus encore de ma vérité, je vous ai montré qu'on monte à ce pont par trois degrés, savoir, par les trois puissances de l'âme. J'ai figuré ces trois degrés dans le corps du Verbe même le premier en ses pieds, le second en son côté ouvert, le troisième en sa bouche; j'y ai distingué trois états de l'âme, l'imparfait, le parfait, et le trèsparfait, qui atteint à l'excellence de l'amour unitif. Sur chaque point, je vous ai montré ce qui ôte l'imperfection, et par quelle voie on arrive à la perfection; j'ai parlé des tromperies cachées des démons, de l'amour-propre spirituel et des réprimandes que fait ma clémence en ces trois états: la première en la vie, la seconde à la mort, la troisième au jugement général.

» Je vous ai promis et vous promets de nouveau que, moyennant bien des souffrances de mes serviteurs, je réformerai mon épouse, vous invitant à souffrir, me plaignant, avec vous de l'iniquité des mauvais ministres, vous montrant l'excellence où je les ai placés et le respect que je demande que les séculiers aient pour eux,

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pect que leurs défauts ne doivent pas diminuer. Je vous ai aussi parlé de la vertu de ceux qui vivent comme des anges, ajoutant quelque chose sur l'excellence du Sacrement de l'autel. Enfin, comme à propos de ces trois états, vous avez demandé d'où procèdent les larmes, je vous ai dit qu'elles sourdent de la fontaine du cœur, qu'il y en a de quatre sortes, et une cinquième qui donne la mort.

> Quant à votre quatrième demande touchant un événement particulier, j'y ai répondu de même, vous expliquant ma providence tant générale que spéciale, depuis le commencement de la création jusqu'à la fin du monde ; comment je fais tout avec une providence souveraine et divine, donnant ou permettant tout ce qui vous arrive, soit les tribulations, soit les consolations spirituelles et temporelles, tout pour votre bien, afin que vous soyez sanctifiés en moi, et que ma vérité vienne à se parfaire en vous. Ma vérité est, que je vous ai créés pour avoir la vie éternelle, et je vous l'ai manifestée par le sang de mon Fils unique. Enfin j'ai satisfait à votre désir, en vous parlant de la perfection de l'obéissance, de l'imperfection de la désobéissance, de leur source, et de ce qui vous fait perdre l'obéissance. Je l'ai représentée comme une clé générale, ce qu'elle est en effet. Je vous ai parlé de la paix que l'obéissance procure, de la guerre que la désobéissance entraîne, et combien celui qui n'obéit pas se trompe lui-même, ajoutant que c'est par la désobéissance d'Adam que la mort est entrée dans le monde.

» Moi donc, le Père éternel, la souveraine et éternelle vérité, je conclus pour vous, que, par l'obéissance de mon Fils uniqne et de mon Verbe, vous avez la vie éternelle; et comme, depuis le premier vieil homme, vous avez tous contracté la mort, de même, tous ceux qui veulent porter la clé de l'obéissance, vous avez contracté la vie par l'homme nouveau, Jésus-Christ, duquel je vous ai fait un pont, aprés que la voie du ciel eut été rompue, afin que, moyennant la clé de l'obéissance, vous puissiez passer par cette voie douce et droite, qui est la Vérité une et lumineuse, traverser les ténèbres de ce monde, et avec la clé de mon Verbe vous ouvrir enfin le ciel. Maintenant je vous invite à pleurer, vous et mes autres serviteurs; car c'est par les pleurs et une humble et continuelle oraison que je veux faire miséricorde au monde. >>

A ces communications divines, l'âme répondit: Grâces vous soient rendues, ô Père éternel, de ce que vous ne m'avez point dédaignée, moi votre créature, ni rejeté mes désirs. Lumière, vous n'avez point fait attention à mes ténèbres; vie, vous n'avez point considéré que je suis morte; médecin, vous n'avez point dédaigné

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