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voie du concile général aux cardinaux français, qui de nouveau la refusèrent. Le cardinal Jacques des Ursins, ayant été pris de la maladie dont il mourut cette année, fit un acte authentique le treize août, par lequel il soumet l'affaire du schisme à la décision d'un concile œcuménique. Quelques jours avant sa mort, l'évêque de Viterbe eut avec lui la conversation suivante : Révérendissime père, je crois vous avoir fidèlement servi depuis bien long-temps, j'espère donc que vous ne me refuserez pas une grâce. Il répondit: Je ne vous refuserai rien qui concerne votre personne. Alors je lui dis : Je vous prie de me dire si je me trompe en adorant le seigneur Urbain pour Pape; que si je me trompais, je voudrais déposer mon erreur; car j'aime mon âme plus que lui. Le cardinal répondit alors: Au contraire, vous seriez dans l'erreur si vous ne l'adoriez pas, car il est très-véritablement Pape. Mais alors, lui répliquai-je, pourquoi n'êtes-vous pas retourné à lui? Il répondit: C'est que la voie du concile me paraît utile pour lui, pour moi et pour toute la chrétienté1. On voit que le cardinal des Ursins reconnaissait individuellement le pape Urbain; mais comme il savait que sa connaissance et sa décision personnelles ne seraient jamais approuvées par toute l'Eglise, avant que le jugement d'un concile vint s'y joindre, il s'en référait dès-lors à son infaillible décision.

En France, on avait d'abord reconnu Urbain VI, avec tout le monde ; ensuite, sur les premières nouvelles de la dissension entre le Pape et les cardinaux français, on s'était tenu à une espèce de neutralité et on paraissait vouloir attendre la décision d'un concile général; mais quand on eut reçu les procédures et les attestations des cardinaux français, surtout quand on eut appris l'élection nouvelle qu'ils avaient faite de Robert de Genève, le roi Charles V, son conseil, la masse de l'université de Paris se déclarèrent contre le pape Urbain VI qu'ils avaient reconnu d'abord, et reconnurent pour leur pape Robert de Genève, sous le nom de Clément VII.

Sainte Catherine de Sienne écrivit encore sur ce sujet au roi de France. Après un préambule qui est un éloge de la vraie lumière de l'esprit, opposée aux ténèbres de l'amour-propre : « Je m'étonne, dit-elle, qu'un homme catholique et craignant Dieu comme vous se laisse conduire par le conseil de ces membres du démon, qui répandent partout qu'Urbain VI n'est pas vrai Pape. Il est aisé de les confondre par eux-mêmes. Car s'ils disent qu'ils l'ont élu par la crainte du peuple, on leur répond que l'élection était faite, aussi canoniquement qu'on puisse l'imaginer, avant qu'il s'élevât aucun

Raynald, 1379, n. 1-4.

tumulte dans Rome. D'ailleurs, c'est ce Pape qu'ils ont annoncé à vous, à nous et à tout le monde chrétien, qu'ils ont couronné avec tant de solennité, qu'ils ont honoré comme le vicaire de JésusChrist, qu'ils ont reconnu comme le dispensateur de toutes les grâces, en le sollicitant de leur en accorder. Si cependant ils s'obstinent à dire que la crainte les à fait agir, en cela même ne sont-ils pas dignes d'une éternelle confusion? Quoi! des hommes choisis pour être les colonnes de la sainte Eglise de Dieu, auraient été plus sensibles à la crainte de perdre la vie du corps', qu'à celle de se damner eux-mêmes et de nous damner avec eux, en donnant pour père aux fidèles un homme qui ne le serait pas! Eh! n'auraient-ils pas été idolâtres, d'honorer comme le vicaire de Jésus-Christ en terre celui à qui ce titre n'appartiendrait pas? N'auraient-ils pas été des usurpateurs, de tourner à leur usage des biens spirituels et des grâces qu'ils ne pouvaient ni demander ni obtenir?

»Mais, enfin, quand est-ce qu'ils ont commencé à révoquer en doute une vérité qu'ils avaient reconnue eux-mêmes? C'est quand sa Sainteté a voulu corriger leurs vices, quand elle leur a témoigné que la vie scandaleuse qu'ils menaient lui déplaisait. Et contre qui encore se sont-ils révoltés? Contre notre sainte foi : pires en cela que des chrétiens renégats; misérables de ne pas connaître le danger de leur état et de s'aveugler sur leur propre faute, mais imitant les démons, dont la fonction est de pervertir les âmes et de les détourner du chemin de la vérité, pour les engager dans celui du mensonge.

» Pardonnez-moi, mon très-cher père, si je parle ainsi ; la douleur que je ressens de la perte des âmes et l'amour que j'ai pour leur salut en sont la cause. Je ne dis point tout ceci par un sentiment de mépris contre les auteurs de tant de troubles; ce qui me touche, c'est le scandale et l'erreur qu'ils répandent par tout le monde, c'est la cruauté dont ils usent envers eux-mêmes et envers ceux qu'ils font périr avec eux. S'ils avaient eu la crainte de Dieu et des hommes, ils ne se seraient jamais portés à de telles extrémités, quand même le pape Urbain en aurait usé plus mal à leur égard; et ils auraient mieux aimé mourir mille fois, que de faire une démarche si préjudiciable au bien de l'Eglise 1. »

La sainte finit par des exhortations au roi, de pourvoir au salut de tant d'âmes qui se précipitent dans l'erreur, de prendre l'avis de gens sages et éclairés, de se rappeler la pensée de la mort, et de juger de tout selon les lumières de la sagesse divine, et non suivant les vues de l'intérêt temporel. La lettre est du sixième de mai 1379.

'Hist. de l'égl. gall., 1. 41.

Malgré les efforts de sainte Catherine de Sienne, le monde chrétien se divisa dès-lors, non sur aucune question de dogme, de morale ou de rite, mais sur la personne du chef de l'Eglise. La plus grande partie de la chrétienté continua de reconnaître pour pape légitime Urbain VI, comme tout le monde l'avait reconnu d'abord ; savoir: tout l'empire d'Allemagne, la Hongrie, la Pologne, la Suède, le Danemarck, l'Angleterre, la Bretagne, la Flandre, et toute l'Italie, hors le royaume de Naples, dans lequel encore il y eut bien des variations, suivant les princes qui y dominèrent. La France ayant rejeté Urbain VI et reconnu pour Pape, sous le nom de Clément VII, le cardinal Robert de Genève, entraîna par son exemple les princes habitués à suivre ses impressions, comme la reine de Naples, les rois de Chypre et d'Ecosse. Les rois de Castille et d'Aragon restèrent quelque temps neutres, reconnurent quelque temps Clément VII, mais une grande partie du clergé et du peuple adhérait à Urbain VI. Le Portugal, après avoir été entraîné dans le parti français quelques moments, revint à Urbain VI pour toujours.

Dans ces graves conjonctures, la nation dont le zèle ressembla le plus au zèle de sainte Catherine de Sienne, fut la nation anglaise. Lorsque les Anglais eurent reçu la lettre des cardinaux français contre Urbain VI, ils leur répondirent entre autres choses: Méchants serviteurs! vous allez être condamnés par votre propre bouche. Vous dites qu'une multitude indomptée d'hommes en armes entoura votre conclave, vous faisant des menaces terribles et mortelles, si vous n'élisiez un Italien ou un Romain, sans pourtant limiter votre choix à aucune personne en particulier. Il est donc manifeste, quant à la personne que vous convenez d'avoir élue, que vous l'avez élue librement et non par force. Ainsi donc, quant à la personne que vous avez élue, nous tenons et tiendrons fermement que l'élection a été bien et canoniquement célébrée 1.

Ce que les Anglais répondirent dès le premier moment aux cardinaux français, ils le soutinrent constamment contre la nation française, et cela par les raisons suivantes, que leurs adversaires eux-mêmes nous ont fait connaître.

1o Les Romains ne pressaient point les cardinaux d'élire aucune personne en particulier; ils demandaient seulement, ce qui est raisonnable, qu'on élût un Romain ou un Italien. Ainsi donc, quant à la personne à élire, tous les cardinaux étaient libres. Ayant donc élu l'archevêque de Bari, que les Romains ne demandaient il est clair qu'ils l'ont élu librement. Il est donc Pape.

pas,

'Walsingham. in Richard., an. 1378.

2o Le seigneur archevêque refusa, avec une grande et très-grande instance, d'accepter la papauté, et il l'accepta enfin sur les vives instances des cardinaux. Puis donc qu'ils l'ont prié d'accepter, ils. ne l'ont pas élu malgré eux. Ils l'ont donc élu librement. Il est donc Pape.

3o Par la relation des archevêques, évêques, maîtres en théologie et autres docteurs qui furent alors à Rome, les Anglais savent que, même avant que d'entrer au conclave, ils le nommèrent Pape d'une voix unanime, n'ayant pu s'accorder sur aucun des cardinaux.

4o Et après qu'ils furent entrés au conclave, ils firent sur lui une triple élection, afin qu'elle fût sans aucun doute. On voit donc que son élection fut complètement libre.

5o Ils l'ont librement couronné; ce qui est manifeste, en ce que les cardinaux qui étaient hors de la ville, y rentrèrent pour son

couronnement.

6o Les cardinaux restèrent pacifiquement avec lui pendant plusieurs mois, reçurent de lui la sainte communion, lui demandèrent des bénéfices et des grâces pour eux et pour les leurs : or, il n'est pas vraisemblable qu'ils l'eussent fait, s'ils n'avaient su qu'il est Pape. Il paraît donc qu'il l'est vraiment.

7o Les Romains n'ont pas pressé les cardinaux d'écrire pour le même archevêque des lettres de recommandation. Ce qu'ils ont écrit aux princes et aux grands, pour assurer que c'est lui le Pape et pour faire son éloge, ils l'ont done fait librement. Il paraît donc qu'il est vrai Pape..

8° pour rien au monde les cardinaux ne doivent tromper l'Eglise de Dieu. Or, de deux choses l'une, ou les cardinaux ont su que Barthélemi Prignano était Pape, ou ils ont su qu'il ne l'était pas. Si c'est la première, nous avons gagné ; si c'est la seconde, donc ils ont trompé toute la sainte Eglise de Dieu. Donc il ne faut plus les croire désormais.

9o Le grand pénitencier a scellé les lettres de son tribunal avec son sceau et cette inscription: Donné à Rome, la première année d'Urbain VI. Il a donc rendu témoignage, avec toute l'autorité possible, que c'est lui le Pape.

10° Les cardinaux électeurs ont écrit unanimement au parlement du roi d'Angleterre, qu'ils ont élu l'archevêque de Bari, disant: Nous avons élu l'archevêque de Bari, toutefois par crainte. Donc ils l'ont élu. Or, cette crainte ne vicie point l'élection, parce qu'elle ne leur fut pas imprimée pour élire cette personne, attendu que les Romains ne la demandaient pas; parce que nul ne peut

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être forcé à élire, l'élection étant un acte de libre arbitre, qui ne peut être forcé par l'homme; parce que, même avant que cette crainte leur fût imprimée, ils avaient nommé l'archevêque de Bari à élire.

11o Les Romains ne demandaient point aux cardinaux d'affirmer par leurs sceaux propres et par des actes publics, que l'archevêque Barthélemi est Pape. Si donc ils l'ont fait, ils l'ont fait librement. Les Anglais doivent donc croire sur ces témoignages qu'il est Pape. 12o Il est dit dans un canon: Si quelqu'un a été élu souverain Pontife, soit par argent, soit par un tumulte militaire ou populaire, sans le consentement unanime du clergé, etc. Si donc le consentement est unanime, l'élection est valide, quoiqu'il y ait tumulte militaire ou populaire. On le voit par Grégoire V, qui fut élu Pape à l'instance de l'empereur et reconnu pour tel. On peut dire égalelement de l'archevêque de Bari que, quoiqu'il y ait eu tumulte populaire dans son élection, il y eut néanmoins consentement unanime des cardinaux pour lui.

Enfin, si après l'avoir reconnu pour Pape légitime, ils s'en sont séparés, on dit que c'est pour trois causes. La première, parce qu'il voulait maintenir avec justice le roi d'Angleterre et son droit, et ne voulut point favoriser injustement le roi de France contre lui. La seconde, parce qu'il voulait que chacun des cardinaux restaurât son titre cardinalice à Rome. La troisième, parce qu'il voulait en eux moins de faste, mais une vie plus régulière et plus édifiante1.

Telles étaient les raisons des Anglais. Les Français tâchaient d'y répondre. Pour apprécier le résultat de leurs efforts, quelques remarques suffisent. L'unique base de leur défense, c'est le témoignage de ceux qui sont en cause, les cardinaux français. Mais là revient toujours, aujourd'hui comme alors, cette terrible objection : Ces mêmes cardinaux, pendant plusieurs mois, et de vive voix, et par écrit, et par leurs actes, ont dit à tout l'univers qu'ils avaient élu librement et unanimement le pape Urbain VI; pendant plusieurs mois, et de vive voix, et par écrit, et par leurs actes, ils ont reconnu publiquement Urbain VI pour Pape légitime; pendant plusieurs mois ils l'ont fait reconnaître pour tel à tout l'univers chrétien. Or, si, pendant tout ce temps, ils ont menti à tout l'univers, leur témoignage n'est plus recevable, surtout dans leur propre cause. Ils conviennent qu'ils n'ont pas été forcés d'élire la personne de l'archevêque de Bari: donc ils l'ont élu librement. Quand le peuple de Rome demandait un Pape romain ou italien, ce peuple

1 Raynald, 1578, n. 51.

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