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vous tranquille. Ayant ensuite fait venir les cardinaux, il leur parla en ces termes :

« C'est mon temps, c'est mon jour, vénérables et bien-aimés frères. Il me faut mourir. Je ne me plains pas des lois de la nature. J'ai vécu long-temps et honoré. Puissé-je avoir satisfait à mon devoir! Mais Dieu regarde à la volonté plus qu'aux œuvres. Le pontificat m'est advenu, sinon sans l'avoir espéré, du moins sans l'avoir ambitionné. Il est survenu bien des adversités pendant que j'ai présidé au Siége apostolique. Cependant nous ne nous en croyons pas moins agréables à Dieu; car ceux qu'il aime, il les corrige et les châtie. Il veut nous faire entendre, non pas qu'il est irrité contre les hommes qui luttent avec la fortune, mais qu'il est des causes secrètes auxquelles nulle curiosité humaine ne saurait atteindre. Mais de quelque manière que les choses aient tourné jusqu'à présent, ce nous est une très-grande consolation, avant de fermer les yeux, de voir l'Eglise réunie. Nous l'attribuons à notre fils Frédéric, roi des Romains, à notre frère Théodoric, archevêque de Mayence, et à notre cher fils le marquis de Brandebourg. Au reste, comme nos heures s'échappent et que nous serons peu de temps avec vous, comme je suis appelé devant le juge et le père des rois, nous voulons tester auparavant, et vous laisser le testament de notre Seigneur Jésus-Christ, qui, devant passer de ce monde à son Père, dit: Je vous laisse ma paix. Je vous ai tous créés cardinaux, excepté un, que néanmoins j'ai traité de mon fils; je vous ai aimés tous, et vous m'êtes des frères. Je vous conjure, mes bien-aimés, conservez le lien de la paix, aimez-vous les uns les autres; qu'il n'y ait point de division parmi vous; accomplissez la loi du Christ, et portez mutuellement les fardeaux les uns des autres. Tout à l'heure la chaire apostolique sera vacante. Vous savez quel homme réclame ce trône. Choisissez un successeur qui me surpasse en doctrine et en vertus. Qu'aucune affection ne vous séduise. Ayez en vue, non l'intérêt particulier, mais l'intérêt public. Du reste, si vous me croyez, vous choisirez plutôt unanimement un homme médiocre, qu'un homme excellent avec discordance. Où est la paix, là est l'Esprit de Dieu. Nous venons de faire l'union, mais nous n'avons point encore extirpé les racines du schisme. Prenez garde qu'il ne pullule, qu'il ne germe, que vous ne fomentiez vous-mêmes la scission. L'Eglise est sauve, si vous êtes d'accord; malheureuse, si vous êtes en discorde. Mais tout cela, nous le disons à votre discrétion, plus par affection paternelle que par nécessité; car, prudents comme vous êtes, vous n'ignorez pas ce qui convient à l'Eglise et à votre dignité. Enfin, pour qu'après ma mort vous ne vous disputiez

pas sur les funérailles, faites seulement ce qui est écrit dans le pontifical: que personne ne fasse rien de plus, ni n'ajoute des ornements funèbres. Point de pompe ni de vaine gloire dans la sépulture. Je désire être enseveli humblement auprès d'Eugène III. Si quelqu'un y met obstacle, qu'il soit anathème !

Ces paroles firent verser des larmes à tous les cardinaux. Après quelques moments de silence, plusieurs le prièrent de rappeler d'exil le cardinal de Capoue, c'était Prosper Colonne. Mais il leur répondit: Vous ne savez ce que vous demandez. Il convient que vous désiriez son retour, mais il convient qu'il reste en exil1.

Ayant ainsi parlé, il reçut des mains du saint archevêque de Florence le corps adorable de notre Seigneur et les autres sacrements de l'Eglise, avec tant de respect et de dévotion, que tous les assistants fondaient en larmes. C'était la seizième année de son pontificat, la soixante-sixième de son âge. A la chaire de saint Pierre, vingt-deux février, qui était le jour des Cendres, il fit refaire sa couche. La nuit suivante, ses camériers lurent le psaume cent dixhuit, avec ses graduels. Vers l'aurore, saint Antonin lui parla dévotement et longuement des joies du ciel, où il allait passer, On chanta les litanies, suivant la tradition chrétienne. Il s'endormit tranquillement dans le Seigneur, lorsqu'on fut à ces mots : Partez, áme chrétienne!

'Muratori. Scriptores rer. italic., t. 3, pars 2, col. 889. –

2 Ibid., col. 904.

FIN DU VINGT-UNIÈME VOLUME.

NOUVELLES

PIÈCES JUSTIFICATIVES

DES TROIS PREMIERS VOLUMES

AVEC UNE DÉCLARATION DE L'AUTEUR.

A la fin du précédent volume de cette histoire, qui est le vingtième, on a vu que deux journaux, l'un de Belgique, l'autre de France, après avoir loué dans un temps les trois premiers volumes, ont jugé à propos de les attaquer plus tard, en attribuant à l'auteur des pensées et des sentiments qu'il n'a pas, savoir : 1o qu'il accorde aux gentils une connaissance du vrai Dieu plus grande que ne leur en accordent les Pères et les théologiens; 2o qu'il fait remonter l'Eglise catholique plus haut que ne la font remonter, entre autres, Bailly, Bossuet et saint Epiphane; 3° qu'il voit dans le gouvernement de cette Eglise plus de démocratie que n'y en voit le cardinal Bellarmin; 4o qu'il suppose à la souveraineté temporelle une autre origine que ne lui en reconnaissent les Pères et les théologiens, notamment Suarès et saint Thomas, et qu'il la subordonne à l'E– glise en autre chose que dans ce qui regarde la conscience; 5° que, pour la certitude rationnelle, il ne reconnaît que le sens commun, exclusivement aux autres moyens de certitude. Or, que l'auteur n'ait pas ces pensées et ces sentiments que les deux journalistes veulent bien lui attribuer, les pièces suivantes le prouveront de plus en plus à qui sait lire et comprendre.

Lettre de l'auteur à monseigneur d'Astros,
ARCHEVÊQUE DE TOULOUSE.

Monseigneur,

24 Janvier 1835.

Pardonnez-moi la liberté que je prends de vous écrire. Depuis long-temps j'y pense devant Dieu. Je le fais pour sa gloire et celle de son Eglise.

Je suis soumis de cœur et d'âme aux deux Encycliques de notre

Saint-Père le Pape1. D'avance mes pensées y étaient conformes. Il y a une dizaine d'années, je fis le Catéchisme du Sens commun. Mon intention était, non pas précisément d'en soutenir les idées, mais d'en présenter un ensemble aussi net que possible, afin qu'on pût les examiner plus facilement. Ayant vu bientôt que ces sortes de discussions n'avançaient rien ou presque rien, j'entrepris une histoire de l'Eglise ou plutôt de la Religion, depuis l'origine du monde jusqu'à nos jours, si Dieu me prête vie et force. Il m'a semblé que c'était le meilleur moyen pour renverser les objections des incrédules et des hérétiques, et même pour éclaircir, autant que faire se peut, les questions qui embarrassent aujourd'hui les catholiques. J'y travaille sans relâche depuis huit ans. Il y a de fait pour la valeur de sept à huit volumes. Ils vont depuis la création du monde jusqu'au milieu du troisième siècle de l'ère chrétienne. Par la grâce de Dieu, il ne s'y trouve pas un mot, que je sache, qui ne soit conforme aux deux Encycliques; il semblerait même que c'en est un commentaire fait exprès. Voilà comme j'en juge; voilà comme en jugent deux ecclésiastiques du pays, à qui j'ai donné mon travail à lire, et qui, j'en suis sûr, ne pensent nullement à me flatter. Ils m'engagent d'en commencer la publication. Mais auparavant je voudrais une plus grande assurance, du moins pour les questions principales et plus difficiles. J'ai cru ne pouvoir mieux m'adresser qu'à vous, monseigneur. Vous vous êtes occupé de ces questions, et yous n'êtes point porté à me juger trop favorablement. Je prends donc la liberté de vous exposer aujourd'hui comme je pense en avoir éclairci une: si votre Grandeur le permet, je vous en exposerai une autre plus tard. Quant à mes relations actuelles avec l'auteur de l'Essai, elles se réduisent à prier pour lui, et à aider son frère, l'excellent abbé Jean, à l'amener (Dieu nous en fasse la grâce!) aux sentiments de soumission filiale où nous sommes tous les deux et où nous avons toujours été. Je vous parle avec confiance; votre Grandeur peut compter aussi que je n'abuserai point de ce qu'elle voudra bien me dire. Je suis de mon naturel assez discret; et d'ailleurs je suis ici presque tout seul; j'y reste parce que mes livrés y sont.

Voici la première question, dont je crois avoir trouvé l'éclaircissement: Les gentils avaient-ils une connaissance distincte du vrai Dieu? Il y a des Pères de l'Eglise qui disent non; vous les connaissez. Il y en a d'autres qui disent oui. Ce sont :

Mon acte particulier de soumission fut adressé dans le temps au supérieur ecclésiastique dont je dépendais alors, et inséré dans les journaux.

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