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question que d'un gîte, et elle ne doit pas exposer la caravane entière pour réformer le gîte d'une nuit. Si une bande de pélerins réussit toute seule dans cette entreprise hasardeuse, tant mieux. Que si elle ne réussit pas, il faut tâcher de remédier à sa mésaventure le mieux que l'on pourra. Tel est à peu près le fond de mes idées sur cette matière.

Maintenant, il y a dans les Paroles d'un Croyant plusieurs choses que je ne comprends pas bien. D'abord, si la patrie n'est point ici, si ce n'est ici qu'un gîte d'une nuit, pourquoi vouloir tout y bouleverser, au risque de ne s'y trouver pas mieux après qu'avant? Il me semble que les deux derniers chapitres contredisent un peu la tendance générale des chapitres précédents.

<< Je vais combattre pour Dieu et les autels de la patrie. » Telle est la première réponse du jeune soldat. Ne voilà-t-il pas le glaive du bras séculier tiré pour la défense de la religion? Ne voilà-t-il pas précisément ce que l'Eglise recommandait aux puissances chrétiennes de faire pour l'extirpation des hérétiques? N'est-ce pas ce que Dieu lui-même dit au chapitre 13 du Deutéronome, où il commande d'exterminer sans pitié les Israélites qui solliciteraient leurs frères à l'idolâtrie? Mais alors le chapitre 27 des Paroles d'un Croyant n'est-il pas en contradiction et avec le jeune soldat, et avec l'Eglise, et avec Dieu? Il me paraît surtout en contradiction fondamentale avec la philosophie du sens commun. Car, s'il est une autorité à laquelle l'individu doive se soumettre, il peut arriver tel cas où son insoumission mérite les peines les plus graves, au jugement de cette autorité souveraine. Il me semble que l'unique moyen pour soutenir sans inconséquence la liberté illimitée de l'individu, c'est de professer dans tous ses excès la philosophie individualiste, ou bien le scepticisme absolu.

Le chapitre 19 et certains passages d'autres me semblent proclamer cette liberté illimitée de l'individu comme l'état normal. Et cependant le chapitre 20 y met des limites par ces mots : « Les frères se lient entre eux par des conventions mutuelles, et ces conventions c'est la loi, et la loi doit être respectée, et tous doivent s'unir pour empêcher qu'on ne la viole. »

Je ne vois pas non plus bien comment concilier entre eux les chapitres 3 et 18 sur l'origine des rois. Dans celui-ci se trouve cette proposition: C'est le péché qui a fait les princes. Je crois, d'après le contexte, que le sens en est : C'est le péché qui les a rendus nécessaires. C'est comme la maladie fait les remèdes. Le fond de la pensée est très-vrai, mais l'expression me paraît fausse. Dans ce même

chapitre, la royauté commence par des rois justes et légitimes; leur pouvoir était le pouvoir de Dieu. Dans le chapitre 3, au contraire, la royauté commence par des tyrans, et c'est Satan qui en est l'auteur. Il est aussi question ici et là d'un temps où tous les hommes vivaient en frères; je ne vois pas trop à quelle époque de l'histoire placer cet âge d'or. Comme c'est le péché qui a rendu nécessaires les princes, j'en conclus qu'il y aura des princes, sous un nom ou sous un autre, jusqu'à la fin du monde. Je tire la même conséquence d'un mot du chapitre 36: Où Dieu ne règne pas, il est nécessaire qu'un homme domine. Or, Dieu ne régnera complètement qu'au ciel; donc il y aura toujours des hommes à dominer plus ou moins sur la terre.

Enfin, dans le chapitre 1er, il y a deux passages qui me paraissent étranges: l'un semble dire que l'Esprit consolateur, promis par le Fils, n'est pas encore venu, mais qu'il viendra. Je pense que le fond de la pensée n'est pas de contredire les actes des apôtres, mais simplement d'espérer, vers la fin des temps, comme une nouvelle effusion de lumières et de grâces. Le second passage est celui-ci : A présent la terre est redevenue ténébreuse et froide. Pour moi, occupé depuis neuf ans de l'histoire de l'Eglise, je pense différemment. Bien que l'état actuel de l'Eglise catholique laisse beaucoup à désirer, ce qui, au reste, sera toujours, à cause que la perfection où elle aspire est infinie, je ne vois cependant aucun siècle passé avec lequel le nôtre ne puisse soutenir avantageusement la comparaison..

Telles sont les réflexions que m'a fait naître la lecture de vos deux derniers ouvrages, en particulier les Paroles d'un Croyant; car, pour la préface des Mélanges, je n'ai pas encore fini de la transcrire. Ça été un besoin pour mon cœur de vous en faire part, afin que vous voyiez si j'ai bien compris. Mon très-cher M. de La Mennais, voilà bientôt quinze ans que j'ai eu l'honneur de vous écrire pour la première fois. Depuis cette époque, mon attachement pour vous a été inaltérable; il se confondait d'ailleurs avec le dévouement pour la cause de Dieu et de son Eglise. J'ai la confiance qu'il en sera ainsi toute ma vie.

ROHRBACHER.

Depuis la publication du vingtième volume, plusieurs personnes bienveillantes ont publié en France et ailleurs des réponses aux attaques. Nous ne croyons pouvoir mieux leur témoigner notre

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reconnaissance, que de communiquer leurs observations à nos

lecteurs.

QUELQUES OBSERVATIONS

Au rédacteur de l'Ami de la Religion '.

L'Ami de la Religion a reproduit, dans ses cahiers des 17 et 19 juin dernier, un article du Journal historique et littéraire de Liége, contre l'Histoire universelle de l'Eglise catholique de M. l'abbé Rohrbacher, qui a cru devoir lui envoyer une réponse. Mais M. Veyssière ayant cédé, a-t-il dit, aux injonctions d'une certaine influence, pour ouvrir ses colonnes à l'attaque, s'est refusé à insérer la défense. L'Univers a suppléé à son silence et a publié la lettre de M. Rohrbacher. L'Ami de la Religion est revenu à la charge et a répété les accusations de la Gazette de Liége, en y ajoutant les siennes, dans les numéros des 26 et 29 juillet. Voici comment il les résume en terminant le dernier article:

<< Nous avons fait connaître, trop tard peut-être, quelques-unes des principales idées qui ont présidé à la composition de la nouvelle Histoire de l'Eglise de M. l'abbé Rohrbacher. Nous croyons pouvoir dire, dès à présent, que cette interminable histoire, fruit d'une érudition mal digérée, ne prête pas moins à la critique par le défaut absolu d'ordre, de mesure, de précision, de clarté, que par les paradoxes et les erreurs dont elle est remplie. Le style est à l'avenant. Il ne sera peut-être pas difficile d'apporter de nouvelles preuves à l'appui de cette assertion. En attendant, nous le répétons: Voilà donc les doctrines qu'on ne craint pas d'offrir au clergé dans une Histoire de l'Eglise le système de la philosophie du sens commun de M. de La Mennais réprouvé par l'épiscopat et le Saint-Siége; la suprématie absolue de l'Eglise sur les puissances temporelles; la souveraineté du peuple; le droit de révolte et d'insurrection; l'illégimité du pouvoir royal; la démocratie dans le gouvernement ecclésiastique! M. l'abbé Rohrbacher développe longuement ces divers points dans son Histoire universelle de l'Eglise catholique, qu'il fait remonter jusqu'à Adam pour prendre les choses dans leur source. »

Ces accusations sont graves, il faut l'avouer; mais elles ne nous paraissent pas bien fondées. Examinons les principales.

M. Rohrbacher enseigne « le système du sens commun de M. de

L'Espérance, Courrier de Nancy; l'Abeille, Union catholique d'Alsace,

19 et 21 août 1845.

La Mennais, réprouvé par l'épiscopat et le Saint-Siége. » Nous n'ignorons pas que le Saint-Siége a réprouvé, en effet, le système de M. de La Mennais comme nouveau et fallacieux. Mais en quoi la doctrine du sens commun a-t-elle été condamnée? Le Saint-Siége a-t-il censuré quelques propositions en particulier? Aucune, bien qu'il en ait été prié par quelques évêques français, qui avaient cru devoir porter un jugement doctrinal sur plusieurs qu'ils lui avaient adressées. Quel est donc le point juste qu'on doit rejeter? Voilà, ce nous semble, ce qui, avant tout, devrait être nettement précisé ; et c'est ce qu'on se garde bien de faire. Les partisans du système cartésien s'imaginent avoir résolu toutes les difficultés qu'on leur fait, quand ils vous ont accusé d'être Lamennaisien. Ce seul mot paraît leur tenir lieu de raisons. Mais prenons garde; s'il est dangereux de donner trop à l'autorité, il ne l'est pas moins de trop accorder à la raison; c'est Pascal qui le dit.

Comme notre but n'est pas d'exposer ici la théorie de la certitude, nous sommes contraint de présenter seulement quelques réfléxions qui suffiront, nous osons l'espérer, pour justifier M. Rohrbacher du reproche qui lui est fait.

Nous pensons donc que le système de M. de La Mennais a été réprouvé, uniquement parce qu'il ne reconnaît d'autre moyen de certitude que l'autorité ou le sens commun, et que, par conséquent, il anéantit la raison individuelle de l'homme.

M. Rohrbacher dit-il quelque part que l'autorité ou le sens commun est le seul moyen de certitude? Oui, dit M. Kersten, rédacteur du Journal de Liége; il le répète plus d'une fois dans son Catéchisme du sens commun. M. Rohrbacher répond qu'il l'a dit en effet dans une première édition; mais que, dans une seconde, publiée en 1841, il a fait des corrections nombreuses et retranché ce qu'on lui reproche aujourd'hui. Il reconnaît de la manière la plus expresse, que l'homme étant à la fois esprit, corps, individu, social, chrétien, il doit connaître la vérité avec certitude, par la raison, par les sens, par les moyens individuels, par le sens commun, par la foi, et que tous les systèmes de philosophie qui ne considèrent pas l'homme sous tous ces rapports, sont faux, parce qu'ils sont exclusifs. Ce sont ses propres paroles.

Cependant le journal de M. Veyssière reprend : « Sans avoir à nous inquiéter des additions ou changements qu'il a pu faire subir à son premier travail, et même de quelque restriction qu'il aura voulu apporter au système du principal auteur, il est assez notoire que ce livre contenait et avait pour but d'exposer et d'expliquer la doctrine du sens commun, entendue à la manière de M. de La

Mennais. » Nous demandons à tout homme de bonne foi s'il est juste de condamner la doctrine d'un auteur sans s'inquiéter des modifications qu'il lui a fait subir.

Mais voici le grand principe du système, t. I, p. 264 : « Si l'on ne croit point au sens commun, entendu, comme de raison, à la manière de l'auteur de l'Essai, on ne peut plus rien croire, il n'y a plus de certitude, de vérité pour l'homme c'est le doute universel et la mort de l'intelligence. » Nous ferons d'abord observer que ces mots : entendu, comme de raison, à la manière de l'auteur de l'ESSAI, ne font point certainement partie du texte. Si les paroles citées sont de M. Rohrbacher, elles ne se trouvent pas sûrement à à la page indiquée. Mais soit; il nous semble que le reste de la phrase est très-exact; car il signifie littéralement que le rationalisme aboutit enfin au scepticisme absolu; et c'est ce que soutiennent tous les philosophes catholiques. En effet, celui qui ne croit point au sens commun, ne croit plus qu'à ses moyens individuels et à sa raison privée : il est donc rationaliste; or, il est d'expérience que toutes les vérités finissent par échapper au rationaliste. Bergier le prouve en cent endroits de ses ouvrages 1.

On le voit, de la doctrine de M. Rohrbacher au système du sens commun entendu à la manière de l'auteur de l'Essai, il y a toute la distance d'un monde.

L'abbé Rohrbacher, dit M. Kersten, « a présenté Abimélech comme le premier roi qui nous apparaît en Israël; et ce fait lui semble prouver que la puissance royale ou la simple puissance de fait ne vient pas originairement de Dieu, mais de l'orgueil, du péché et de celui qui en est l'auteur. »

A cette accusation capitale, M. Rohrbacher n'a rien répondu, dit l'Ami de la Religion, puis il ajoute : « Que pouvait-il répondre en effet! il enseigne positivement que la puissance royale ne vient point originairement de Dieu, mais de l'orgueil, du péché et de celui qui en est l'auteur. » On ne peut plus en douter, l'auteur de l'Histoire de l'Eglise enseigne que la puissance royale vient du démon. Cependant il n'en est rien: voici la phrase tout entière. A propos d'Abimélech, notre historien rapporte une réflexion de saint Grégoire et de saint Augustin: « Ainsi, dit-il, d'après saint Augustin, la puissance royale ou la souveraineté, prise, non pour l'autorité patriarchale qui dirige comme un père ses enfants, mais pour la

1 Traité de la vraie Relig., introd., § 13. « Quiconque se pique de raisonner, doit être chrétien catholique ou entièrement incrédule et pyrrhonien dans toute la rigueur du terme. »

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