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on peut en dégager des vapeurs rutilantes caractéristiques, en les chauffant dans un tube avec un peu d'eau distillée, et plaçant à la surface quelques fragments de limaille de cuivre. On pourrait en même temps constater la coloration de la morphine et celle du proto-sulfate de fer.

Lorsque les taches ont été soumises à des lavages réitérés, il n'est pas toujours possible d'y décéler l'acide azotique, soit qu'il ait été entraîné par l'eau, soit qu'il ait été complétement décomposé par les tissus. Sur un fragment de muqueuse œsophagienne, nous avons pu reconnaître l'acide azotique par le procédé ordinaire; à la vérité, la tache offrait encore la réaction acide; tandis que sur une portion de muqueuse duodénale, cela nous a été impossible; mais cette tache ne rougissait pas le papier tournesol. On nous a dit qu'elle avait été soumise à des lavages répétés. Nous pensons que c'était plutôt une tache de bile, car la muqueuse n'était ni friable, ni onctueuse au toucher, et ne changeait pas de couleur par la po

tasse.

MM. Orfila et Lesueur, pour savoir après combien de temps il était possible de décéler l'acide azotique dans les matières organiques, ont mêlé des quantités variables de cet acide avec des portions du tube intestinal, du foie, etc., dans des vases en porcelaine ouverts et laissés au contact de l'air, ou placés dans une boîte de sapin, et enfouis en terre. Lorsque la quantité d'acide était un peu forte, de 4 grammes par exemple, et que le mélange était placé en terre, au bout de 17 mois à 2 ans, il offrait encore la réaction acide, et on pouvait facilement y reconnaître l'acide azotique. Lorsque la quantité d'acide était faible (10 gouttes), et que le mélange était surtout exposé l'air, il ne conservait son acidité que pendant 24 à 50 jours, et offrait même plus tard la réaction alcaline et répandait l'odeur ammoniacale; mais, par la potasse il donnait encore les caractères de l'acide azotique. Dans ce dernier cas, l'expert doit être très-circonspect, le mélange pouvant contenir du nitrate d'ammoniaque, par suite de la putréfaction des matières orga niques.

Ces expériences sont intéressantes sans doute, mais elles auraient reçu une application plus directe à la toxicologie, si elles avaient été faites sur des chiens empoisonnés par l'acide azotique, ou même sur les cadavres dans l'estomac desquels cet acide aurait été ingéré. Dans ces derniers cas, comme dans les cas d'empoisonnement, il y a des phénomènes d'imbibition qui n'ont pas lieu dans les vases inertes.

Effets toxiques. Nous n'avons presque rien à ajouter à ce que nous avons dit dans les généralités sur l'empoisonnement par les acides; car, c'est l'acide nitrique qui nous a servi de type. Nous dirons seulement : 1o que les rapports gazeux sont bien plus fréquents dans cette espèce, et qu'ils offrent l'odeur et la saveur particulières de l'acide nitreux, et que, le malade perçoit ces qualités dans l'intervalle des vomissements, et même quand ceux-ci n'ont pas lieu; 2° que les matières des vomissements présentent aussi cette odeur et cette saveur, et qu'ordinaire ment elles sont colorées en jaune, et corrodent les vases en cuivre, même à froid; 3o que la constipation, la suspension de la sécrétion urinaire, et le froid à l'extérieur, surtout des extrémités inférieures, sont plus prononcés, et offrent en général plus de persistance; 4o qu'enfin la coloration des tissus offre quelque chose de spécial. Fourcroy a noté aussi une éruption de boutons à la peau, semblables à ceux de la petite vérole, mais cet effet est très-rare et non spécial à ce poison.

Altérations pathologiques. Lorsque le malade succombe dans. la période des effets immédiats ou primitifs, en outre des lésions communes aux acides minéraux, on en observe de spéciales à l'acide azotique, c'est-à-dire, la coloration jaune des tissus, qui, d'après Tartra, serait assez caractéristique pour qu'on puisse affirmer judiciairement, soit sur l'homme vivant, soit sur le cadavre, qu'il y a eu empoisonnement par cet acide. Il conviendrait peut-être d'ajouter, dans l'état actuel de la science, que les taches ne disparaissent pas par la potasse, qu'au contraire elles se foncent en couleur, ce qui les distingue des taches d'iode et de bile. Cependant, nous verrons ci-après que, dans

l'empoisonnement par l'acide sulfurique, les tissus du tube intestinal peuvent présenter des colorations analogues. Le bord libre des lèvres, les gencives, la muqueuse buccale et pharyngée, sont blanches et comme brûlées dans les premières 12 heures, mais après, elles deviennent d'un jaune citron, et se dé tachent par fragments. On trouve aussi de semblables taches sur les dents, les ongles, le menton, les doigts, les vêtements, etc. La muqueuse œsophagienne est aussi colorée en jaune; elle se soulève par lambeaux, ou bien elle est friable et réduite en une matière pultacée, savonneuse. La muqueuse gastrique duodénale, et plus rarement celle des petits intestins, offrent aussi des modifications analogues. Ces membranes sont assez souvent tapissées d'un enduit gras, épais, pàteux, jaunâtre ou jaune-verdâtre, qui résulte probablement de l'action de l'acide azotique sur le mucus, sur les matières alimentaires, ou sur la bile, dont il précipite la matière colorante. Les ulcérations sont quelquefois entourées d'une auréole jaunâtre. Les matières vomies contenues dans le tube intestinal ou épanchées dans le péritoine sont réduites ordinairement en une espèce de bouillie pultacée, jaunâtre. Le péritoine, le foie, la rate, le diaphragme, peuvent aussi être colorés en jaune. Enfin, les parties atteintes par l'acide azotique répandent assez souvent l'odeur d'acide nitreux, surtout lorsqu'elles n'ont point été soumises à des lavages.

Traitement. Celui de l'empoisonnement des acides en général.

Faits pratiques.

La découverte de l'acide azotique date du milieu du quatorzième siècle. Il a été désigné sous les noms d'eau de nitre, d'espritde-nitre, d'eau-forte, d'acide nitrevx, d'acide nitrique, d'acide azotique. On appelle eaux-fortes première, seconde, troisième, l'acide nitrique plus ou moins étendu d'eau. Peu usité en médecine, l'acide nitrique l'est très-fréquemment dans les arts. On s'en sert dans les manufactures de toiles peintes, dans les laboratoires de chimie, de docimasie, de métallurgie. Les essayeurs,

les fondeurs, lesaffineurs, les relieurs, les peintres, etc., emploient aussi cet acide.

Les observations d'empoisonnement par l'acide azotique remontent vers le milieu du quinzième siècle; mais elles sont incomplètes, et ce n'est que depuis l'excellente thèse de Tartra (Empoisonnement par l'acide nitrique, an X, 1802), thèse qu'on devrait prendre pour modèle dans tous les travaux de toxicologie médicale, que son histoire médicale est parfaitement connue. Ces empoisonnements étaient très-fréquents vers la fin du dernier siècle et au commencement de celui-ci. Tartra, pendant les années 1801 et 1802, en a observé jusqu'à 6 par jour dans le même hôpital. De nos jours, ils sont plus rares, car on en trouve seulement çà et là quelques observations dans les journaux français; et, dans un relevé fait en Angleterre, pendant les années 1858 et 1839, sur 543 cas d'empoisonnements mortels, on n'en cite pas un seul par l'acide azotique. Les em poisonnements par cet acide ont presque toujours lieu par suicide ou par imprudence, aussi, sont-ils bien rarement le sujet d'une expertise légale. Sur 56 cas observés ou recueillis par Tartra, dont 30 hommes, 24 femmes, et 2 enfants, 31 ont eu lien par imprudence, 24 par suicide, et 1 seul par homicide; encore était-ce dans une orgie, chez une femme ivre.

Quoique l'acide nitrique ne soit considéré comme poison que lorsqu'il est ingéré à l'intérieur, il peut cependant, étant appliqué à l'extérieur ou sur les muqueuses externes, occasionner des accidents très-graves et même mortels.

Une femme, sujette à une violente céphalalgie, consulte un charlatan, qui lui donne de l'acide nitrique, pour une eau céphalique, qu'elle répandit sur sa tête. Les cheveux ainsi que tout ce qui les environnait furent brûlés, la peau et le péricrâne désorganisés. Il survint des douleurs, des convulsions assez graves. Cependant, ces accidents cédèrent à un traitement convenable, et la malade fut guérie de son mal de tête, et d'un relâchement de la luette qu'elle avait avant. (Tartra.) Les vapeurs d'eau forte ont aussi une action très-intense sur la muqueuse nasale et pulmonaire; elles peuvent occasionner

l'inflammation chronique de ces membranes. Les personnes qui les respirent habituellement, tels que les graveurs, les fabricants d'eau forte, etc., sont exposés à des maux de tête opiniâtres, à des ulcérations de la muqueuse nasale, à l'ozène (comme nous l'avons observé chez un graveur), à des ophtalmies, à des crachements de sang, à des toux chroniques, à des oppressions, à des coliques, etc. Il est vrai que, dans la plupart des cas, ces accidents sont dus plutôt aux vapeurs nitreuses. Quant au traitement, la soustraction de la cause est la première indication; ensuite on a recours aux narcotiques, à la diète émolliente, l'observation ayant démontré, qu'en général, les anti-phlogistiques aggravaient la maladie. Voici un exemple très-remarquable, sous plusieurs rapports, d'empoisonnement par l'acide azotique introduit dans le conduit auditif.

Observation I. Catherine O'Neil, âgée de quarante ans, bien constituée, adonnée à l'ivrognerie, pendant que, ivre, elle dormait, son mari lui versa dans l'oreille droite une certaine quantité d'acide nitrique (pour la corriger, dit-il, de ce vice). Ce côté de la face et du cou prit immédiatement une couleur jaune, qu'on ne put enlever par les lavages. Au bout de six jours, une escarre membraneuse, épaisse, cordée, se détacha du conduit auditif. Cette élimination fut suivie, le lendemain, d'une hémorragie d'environ 20 onces de sang. Le jour suivant, la malade perdit complétement l'usage du bras droit, et devint tellement faible que, son mari, craignant pour ses jours, tenta de se suicider, en se coupant la gorge. Le docteur Morisson, appelé le huitième jour, trouva la malade dans l'état suivant : plusieurs ulcérations à la surface de l'oreille, surtout dans la conque; le lobule semblait complétement insensible. Une partie de la face et du cou étaient également ulcérés. Un écoulement ichoreux peu abondant sortait du méat externe. L'ouïe était complétement abolie, le pouls petit, faible, intermittent, 88 pulsations, sans autre appareil fébrile; la température de la peau plus basse que dans l'état normal. Pas de céphalalgie, de stupeur, de vertiges. Respiration stertoreuse. L'affaiblissement seul paraissait devoir attirer l'attention. Le tamponnement de l'oreille, les lotions astringentes, combinées à l'usage interne des toniques, du bouillon de veau, etc., ne purent arrêter l'hémorragie, qui se reproduisit tous les jours, pendant environ un mois, avec assez d'abondance; elle cessa alors, mais la débilité avait fait des progrès.

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