Images de page
PDF
ePub

tendrait à démontrer qu'une portion du poison a pénétré dans le larynx, ce qui, du reste, s'observe assez souvent dans les suicides par empoisonnement. L'épanchement de sérosité sanguinolente dans la plèvre est une lésion assez rare. Quoique la dose du poison fût moindre que dans l'observation précédente, les résultats cependant ont été bien différents, ce qui dépend probablement de l'état particulier des organes gastriques et des secours plus ou moins promptement administrés. Cependant, les observations suivantes démontrent que, quoique le traitement soit appliqué après un laps de temps plus long, on peut arrêter, pendant un certain temps, les effets du poison et même obtenir la guérison complète.

Observation IV. Une femme de quarante-cinq ans, inconsolable de plusieurs revers, prend 1 once et 112, environ 5 décagra. d'acide nitrique. Aussitôt, douleurs extrêmement vives dans les organes des premières voies; vomissements répétés et avec efforts; sensation trèsmarquée de froid à l'extérieur; angoisses continuelles; malaise inexprimable. Elle but sur-le-champ beaucoup d'eau pour éteindre la chaleur brûlante qu'elle ressentait à la gorge et à l'estomac. Trois heures après, on la transféra dans la soirée au grand hospice de l'Humanité, le 29 fructidor an VI: une saignée du bras, une boisson abondante de veau, coupée avec du lait d'amandes, un julep huileux, un julep diacodé pour la nuit, des lavements émollients, etc., furent successivement administrés. Le lendemain, les douleurs étaient fort affaiblies. On commença par faire boire à cette femme du lait en très-grande abondance. Les accidents se dissipèrent par degrés insensibles, et furent remplacés par un état de simple malaise, accompagné de vomissements habituels, de crachotements répétés, de constipation opiniâtre, etc. La malade se croyant guérie, sortit de l'hospice au bout d'un mois. Tombée dans une sorte de dépérissement, pendant les vingt-six jours qu'elle resta dans sa chambre, elle fut contrainte de rentrer à l'Hôtel-Dieu, le 13 brumaire de l'an VII. Sa maigreur était extrême, et son épuisement très-avancé, par l'anéantissement des fonctions digestives, et parce qu'elle vomissait sans cesse. Enfin, cette femme, arrivée promptement à un état de décrépitude accidentelle et prématurée, succomba le 29 frimaire de l'an VII, trois mois et six jours après son accident.

Autopsie. Tous les organes des premières voies, et surtout l'estomac et le canal intestinal, étaient frappés d'une sorte de flétrissure. La masse

de ces viscères était réduite à un si petit volume, qu'on les aurait, pour ainsi dire, tenus dans le creux de la main. Le canal intestinal n'avait dans toute sa longueur que le calibre d'un tuyau de plume; sa cavité, en grande partie desséchée, offrait une oblitération presque absolue. L'estomac avait tout au plus la grosseur ordinaire de l'intestin grêle. Les autres viscères du bas-ventre étaient pareillement racornis et rapetissés, mais d'une manière moins sensible. A l'intérieur de l'estomac, on remarquait des espèces de taches lisses et polies, un peu enfoncées, très-irrégulières à leurs bords, qui étaient probablement des cicatrices formées après la chute des escarres; la membrane muqueuse s'était régénérée, comme le fait l'épiderme; l'estomac adhérait fortement aux parties environnantes par divers points de sa face externe. L'œsophage présentait à son extrémité inférieure, tout proche de l'orifice cardiaque, plusieurs petites taches pareilles à celles de l'estomac, et inégalement parsemées; leur point de contact avec les portions tout à fait saines et intactes, était d'un rouge vif, nuancé et comme irisé.

Cette observation démontre combien peu on doit compter sur l'amélioration dans la période des effets consécutifs, car le plus souvent elle n'est qu'apparente. Les rechutes sont aussi très-fréquentes et le plus ordinairement funestes. La constipation, le froid à l'extérieur sont les deux phénomènes les plus persistants dans cette espèce d'empoisonnement. Tartra cite une personne qui, dans une chambre au quatrième étage, exposée au midi, et par une température de +30°, éprouvait un un froid glacial, frissonnait dans son lit, quoique garni de couvertures, et qui, après de vains efforts pour aller à la selle, ne rendait, qu'à des époques extraordinairement éloignées, de très-petites boules de matières fécales excessivement dures. L'état d'émaciation, de flétrissure, dans lequel ont été trouvés tous les organes, témoigne de l'imperfection et même de l'anéantissement des phénomènes digestifs et nutritifs. Il est rare cependant que le tube intestinal offre d'une manière aussi générale ce degré de racornissement. Le plus souvent les rétrécissements sont partiels et se rencontrent aux orifices cardia que et surtout pylorique. M. Bouillaud, chez un homme qui s'était empoisonné par l'acide nitrique, et qui succomba trois mois après, quoique le rétablissement parût assez complet pour

[ocr errors][ocr errors][ocr errors]

permettre au malade de sortir de l'hospice, a trouvé le pilore tellement rétréci que son diamètre était réduit à une ligne. Ce rétrécissement s'étendait à un pouce et demi, 145 millim. dans le duodénum. Les tissus, en cet endroit, étaient évidemment lardacés, squirreux. La muqueuse offrait çà et là des rougeurs, des indices de ramollissement et des ulcérations en grande partie cicatrisées. Cet homme a été traité par la magnésie, les sangsues, et les antiphlogistiques.

Observation V. Marie Ladan, âgée de trente-cinq ans, adonnée depuis longtemps à l'ivrognerie, but avidement environ une cuillerée d'eau forte, pour de l'eau ordinaire, le 19 thermidor an IX. Aussitôt, hoquet, rapports abondants, nausées, vomissements de tous les aliments qu'elle venait de prendre en déjeunant. On lui donna une grande quantité d'eau tiède, et on la transporta, une demi-heure après, au grand hospice de l'Humanité. On lui fit une saignée du bras, et on lui donna en abondance une dissolution de gomme, du lait, et des juleps huileux composés, qui furent administrés à diverses reprises. Les premiers accidents se calmèrent par degrés; mais la constipation, excessivement opiniâtre dès les premiers jours, resta la même. Au bout d'une décade de traitement et de décroissement assez marqué dans les symptômes, cette malade mangea, pour la première fois, un peu de vermicelle, et le vomit aussitôt. Depuis son accident elle salivait beaucoup, avait une haleine d'une fétidité incroyable; mais elle ne rendait dans les matières de ses vomissements, des portions de membranes; seulement elle croyait sentir dans le fond de la gorge la présence d'un corps étranger qui la fatiguait sans cesse, gênait la déglutition et la respiration, altérait la parole, etc.

pas

Le 9 thermidor, le vingtième jour de son empoisonnement, cette femme eut dans le courant de la nuit une pressante envie d'aller à la selle, et rendit, après beaucoup d'efforts, un long paquet membraneux d'une seule pièce singulièrement replié et roulé sur lui-même. Ce paquet ayant été bien lavé, étendu et développé, représenta la forme de l'œsophage et de l'estomac avec toutes leurs dimensions. C'était la membrane interne de ces organes qui avait été soulevée et décollée dans tous ses points à la fois, qu'on reconnut au plus simple examen son tissu, dont l'altération était à peu près égale partout. Elle avait 3 à 4 millimètres (1 ou 2 lignes) d'épaisseur et une couleur brune très-marquée. Les por

tions correspondantes au grand et petit cul-de-sac de l'estomac étaient amincies et percées de plusieurs trous.

Depuis cette exfoliation en masse de la muqueuse œsophagienne et gastrique, la sensibilité du canal alimentaire est devenue exquise, les vomissements ont été plus répétés; tout est vomi, même le lait, qui, pendant les quinze premiers jours, avait servi de nourriture, était à présent rejeté tout caillé par la bouche. Cependant, quelques jours après, la sensibilité des organes gastriques paraissait se rétablir daus son état ordinaire. La malade mangeait de la soupe, des œufs, des brioches, et ne les vomissait qu'assez rarement. Son embonpoint habituel avait beaucoup diminué, quoique sa figure conservât toujours une extrême fraîcheur. Enfin, elle avait encore l'extérieur d'une personne bien portante. Elle se levait et marchait un peu, se promenait quelquefois; tout présageait alors un événement heureux; mais, des tiraillements d'estomac, une constipation des plus opiniâtres, une espèce de malaise continuel, s'opposaient sans cesse à son rétablissement.

Ces légers accidents consécutifs prirent tout à coup une intensité inattendue. Combattus vainement, ils entraînèrent bientôt l'état de ma rasme. Cette femme vomissait, sans exception, tout ce qu'elle prenait; la salivation, excessivement abondante depuis son accident, augmentait tous les jours. Enfin, elle finit par ne plus supporter les matières alimentaires les plus douces; elle n'avait plus la force de vomir, et s'é puisait en vains efforts. Elle succomba le 15 vendémiaire an X, 2 mc s après l'accident. Les facultés intellectuelles sont toujours restées intactes.

Autopsie. Orifices cardiaque et pylorique très-sensiblement rétrécis. Surface interne de l'œsophage et de l'estomac très-lisse et polie, tachetée et nuancée en rouge plus ou moins vif; elle n'avait nullement l'aspect ordinaire. Estomac singulièrement diminué de volume. Le canal intestinal ne parut pas beaucoup rétréci, et tous les organes abdominaux pré sentèrent à peu près l'état ordinaire.

Réflexions. L'exfoliation de la muqueuse des voies gastriques commence ordinairement du deuxième au troisième ou quatrième jour. Elle est due à l'action caustique du poison, et s'opere par lambeaux, par fragments plus ou moins gros, qui sont expulsés avec des flots de salive, ou avec les matières des vomissements. Il est rare que l'exfoliation d'un organe se fasse en masse; cependant, nous en citerons deux autres exemples dans l'empoisonnement par l'acide sulfurique. En ce

cas, elle a lieu du huitième au vingtième jour. L'eau bouillante, ainsi que les poisons corrosifs, et en particulier les poisons alcalins, produisent des exfoliations analogues. Ces exfoliations s'observent aussi dans certains états morbides. Tartra se demande si, le paquet membraneux, évacué par les selles, était véritablement la membrane muqueuse des premières voies, ou une fausse membrane de formation accidentelle. D'après l'appréciation exacte de toutes les circonstances, la première hypothèse lui paraît être la seule admissible. La membrane muqueuse œsophagienne et gastrique, exfoliée en masse, s'était régénérée d'une manière assez évidente, par une disposition particulière du tissu membraneux sousjacent, comme cela arrive à l'épiderme. Teile est aussi l'opinion de MM. Nonat et Blandin. (Voyez acide sulfurique. )

Observation VI. Mercier, âgé de cinquante-six ans, ayant perdu, pendant la révolution, sa fortune, sa femme et ses enfants, sans vêtements et sans asile, pour mettre fin à ses jours, avala d'un seul trait, et après avoir mangé une grande quantité de haricots, pour 40 centimes environ d'eau-forte de bonne qualité, le 21 messidor an VIII. Aussitôt, douleurs brûlantes à la gorge, le long de l'œsophage et de l'estomac; puis, dégagement de gaz, rapports violents et précipités par la bouche et les narines. Quelques instants après, vomissements de matières alimentaires colorées en rouge sale et faisant effervescence sur le pavé. Il se rend à pied, peu de temps après l'accident, à quatre heures de l'après-midi, de derrière Notre-Dame, au grand hospice de l'Humanité. Les vomissements étaient alors rares, et les matières rejetées liquides et noirâtres. On lui donna une boisson copieuse de décoction de graine de lin émulsionnée. A six heures du soir, frissons de temps à autre, froid à l'extérieur; difficulté de parler; respiration assez facile; pouls petit, serré; douleur vive à la gorge et à l'estomac, croissant au moindre contact; déglutition pénible; intérieur de la bouche et surface de la langue de couleur blanche un peu terne, etc.; constipation; impossibilité d'uriner dans les premiers instants; prostration des forces. Le lendemain, 22 messidor, la violence des symptômes est très-modérée; l'amélioration est très-sensible: sangsues à l'anus, boissons et juleps anti-spasmodiques. Peu à peu les accidents disparurent, et, malgré quelques récidives inattendues, l'exfoliation de l'œsophage et de l'estomac

« PrécédentContinuer »