Images de page
PDF
ePub

ment à celle des sulfures artificiels. C'est vers la fin du dernier siècle et surtout dans celui-ci, que l'étude des préparations arsenicales s'est perfectionné sous le point de vue de toxicologie chimique. Nul doute que leur effet toxique ne fût connu des médecins grecs, et, s'il n'en est pas question à cet égard depuis Hippocrate jusqu'à Dioscoride, c'est peut être parce que le père de la médecine s'était imposé le serment et l'avait imposé à ses élèves de ne pas parler des poisons. Dioscoride en a traité sous ce dernier point de vue. Plusieurs auteurs après lui n'ont fait en quelque sorte que le copier. C'est surtout depuis le seizième siècle que les arsenicaux ont été étudiés sous le point de vue médical et ont acquis toute l'importance toxicologique qu'elles occupent dans la science médicolégale.

L'empoisonnement par les préparations arsenicales et surtout par l'acide arsenieux a été observé par presque toutes les voies, mais le plus ordinairement par les voies gastriques. C'est l'un des poisons les plus fréquemment usités pour commettre les homicides par empoisonnement. Dans un relevé, fait en Angleterre, de 1838 à 1839, sur quatre cent quatre-vingt-dix-neuf cas, cent vingt sont dus à ce poison, et sur cent quatre-vingt-quatorze, extraits des journaux judiciaires en France, cent vingt appartiennent aussi à l'acide arsénieux. Dans ces relevés ne se trouvent pas compris la plupart des empoisonnements par suicide et par imprudence. Ce poison est donc le plus important sous le point de vue médicolégal. Plusieurs auteurs, afin de rendre ces empoisonnements moins fréquents, ont proposé de colorer l'arsenic avec des matières colorantes, le bleu de Prusse, l'indigo, le sulfate de fer, etc., de lui donner de la saveur par la noix vomique, l'aloès, l'alun, etc. 11 serait à désirer que le gouvernement adoptât ces mesures ou en surveillât plus attentivement la vente; car, il est d'observation que plusieurs homicides par empoisonnement n'ont pas eu leur accomplissement par suite de la couleur, de la saveur des poisons. Nous traiterons d'abord des voies diverses par lesquelles l'intoxication arsenicale

peut s'opérer, en rapportant des faits à l'appui, et nous terminerons par les rapports médico-légaux.

a. Empoisonnement par la peau non dénudée.

D'après les expériences de Saæger, de Renault, sur les animaux, l'acide arsénieux en poudre, et même en frictions sur la peau non dénudée, aurait un effet exclusivement local. Plusieurs médecins pensent que chez l'homme l'intoxication arsenicale ne peut se produire par cette voie, à moins que la peau ne soit dénudée ou excoriée par l'effet du poison. Cette assertion est probablement la vraie, mais il n'en est pas moins certain, sous le point de vue de toxicologie légale, que l'acide arsénieux en poudre, en soluté, en pommade ou sous forme de bains, de frictions sur la peau saine, puisse occasionner des accidents locaux et constitutionnels très-graves et même mortels. C'est ce que démontrent les faits suivants.

Observation I. Le 5 thermidor, an IV, une jeune femme, ayant d'ailleurs la tête très-saine et sans écorchure, eut l'imprudence de se la frotter avec de la pommade arsenicale, pour se faire passer les poux. Point d'accidents les 6 ou 7 premiers jours; mais alors, douleurs des plus cruelles avec gonflement de toute la tête et des oreilles, parties qui se couvrirent de croûtes. Engorgement des glandes salivaires et du cou; tuméfaction érysipélateuse du visage; yeux étincelants et gros; pouls dur, tendu; langue aride; soif; peau sèche; chaleur vive sur tout le corps avec sensation d'un feu dévorant; vertiges; faiblesses syncopales, cardialgie; vomissements de temps à autre; ardeur en urinant; constipation; tremblement des membres avec impossibilité de se soutenir; délire par moments. Saignée copieuse sur-le-champ (7 heures du soir). Pour la nuit, saignée du pied; boisson d'eau de poulet émulsionnée et nitrée; lavements fréquents avec la graine de lin et le miel mercuriel; pédiluves avec les cendres; mélange de magnésie calcinée de gomme arabique et de sirop de tussilage, administré par cuillerées à café toutes les 2 ou 3 heures, dans le but de relâcher doucement le ventre; graisser la tête avec la pommade à la craie de Baumé. Le lendemain, peu d'amendement; assoupissement. 8 sangsues aux cuisses. Nuit agitée. L'enflure de la tête parut s'être accrue, et, sur le matin, tout le corps se couvrit de boutons m

liaires, à pointe blanche, surtout aux pieds et aux mains. La malade était très-faible et ne pouvait rester assise sans éprouver de maux de cœur. Potion cordiale avec addition des gouttes d'Hoffmann. Le surlendemain, je rapprochai les doses de la potion magnésienne. En moins de 48 heures, l'éruption se sécha et tomba par desquammation. Le ventre se relâcha, tous les accidents diminuèrent, et le huitième jour du traitement, la malade était hors de danger. Comme il restait de l'irritation et de la sécheresse dans la poitrine avec un peu de toux, j'ai terminé la cure par le lait d'ânesse. Dans le cours de la convalescence les cheveux tombèrent. (Desgranges, Recueil périodique de la société de médecine, tome VI).

Observation II. Un étudiant allemand trouva dans la rue un paquet d'arsenic en poudre, que sa mère prit pour de la poudre à poudrer. Comme il avait un discours de congé à prononcer le lendemain, elle lui conseilla de se poudrer le matin avec cette poudre, ce qu'il fit. Mais, au milieu de son discours, il fut pris d'une douleur aiguë à la face, avec éruption abondante de pustules, qui se répandirent tout autour de la tête; celle-ci se tuméfia beaucoup et devint le siége d'une douleur intolérable. Les cheveux se chargèrent de croûtes galeuses, qui, tombèrent au bout de quelques semaines, et ce jeune homme recouvra complétement la santé.

Observation III. Schulze, médecin allemand, rapporte cinq cas du même genre, dont deux légers, deux très-graves et un de mortel en 21 heures. A l'autopsie, en outre d'autres lésions, on trouva dans le dernier cas, le cuir chevelu gangrené, infiltré d'un fluide sanguinolent et l'estomac enflammé. Les deux cas graves offrirent les mêmes symptômes que la femme de la première observation. Il ne se déclare aussi qu'au bout de 6 jours. Sproëgel cite un cas de mort déterminé par l'application de la poudre aux mouches sur la tête, et Wibmer, un autre non suivi de mort, mais qui détermina un gonflement érysipélateux très-considérable de la tête, du cou, du ventre et une éruption papuleuse sur les mains qui dura 5 jours. Un charlatan fait appliquer tous les jours la poudre arsenicale de Galien sur un bubon. Après le troisième pansement ou le troisième jour, symptômes d'empoisonnement arsenical, mort.

Comme dans presque tous ces cas, les effets constitutionnels ne se sont manifestés que du troisième au sixième jour, il est très-probable que l'acide arsénieux n'a été absorbé qu'après

avoir produit son effet caustique, qu'après avoir excerié la peau. Mais, si le poison était appliqué en dissolution, de manière à ne pas produire d'effet caustique, agirait-il comme poison, autrement dit serait-il absorbé? Nous n'avons pas d'observation à l'appui ; cependant, on sait que les bains arsenicaux occasionnent quelquefois des accidents graves. Les effets locaux, leur siége, leur nature, le caractère insolite des symptômes constitutionnels, sans cause appréciable interne, doivent éveiller l'attention du médecin.

b. Empoisonnement par la peau dénudée.

Les observations chez l'homme, les expériences sur les animaux, démontrent que les préparations arsenicales sont mortelles par cette voie et même plus promptement, si la peau est récemment dénudée, que par la voie d'ingestion. 10 centigrammes d'acide arsénieux pulvérisé, appliqué sur le tissu cellulaire d'un chien sont toxiques en six, buit, douze, vingtquatre heures. Des flèches, des arètes de bois imprégnées d'une solution arsenicale et enfoncées dans les chairs sont as. sez promptement mortelles. Des frictions avec une pommade, un soluté arsenicaux, dans les cas de gale ou autre éruption cutanée, peuvent occasionner des accidents très-graves et même la mort. Il en est de même des poudres, des pâtes arsenicales appliquées sur les plaies ulcéreuses, cancéreuses, etc.

Observation IV. Une femme de cinquante-six ans, d'assez bonne santé, mais d'une constitution délicate, eut l'imprudence de se laver le corps avec une dissolution arsenicale, préparée par ébullition dans l'eau commune, pour se guérir de la gale dont elle était atteinte depuis longtemps, et qui avait résisté à plusieurs traitements. Tout son corps enfla autant que la peau put s'y prêter, se couvrit d'un érysipele général. Cette feinme éprouva pendant plusieurs jours un feu dévorant. Elle fut guérie de la gale, mais elle mena une vie languissante pendant 2 ans, au bout desquels elle mourut, ayant toujours conservé un tremblement dans ses membres. (Belloc, Médecine légale.)

Observation V. Un honnête marchand, croyant avoir la gale que véritablement il n'avait pas, se frotta, dans la soirée du 8 mars 1840, le corps et les membres avec une solution d'acide arsénieux et de sulfate

cuivrique. Le 9, à onze heures du matin, soif; sécheresse à la gorge; grand malaise, surtout dans l'abdomen et à la région épigastrique, qui de temps en temps devenait le siége d'une vive brûlure et d'une grande douleur; pouls ferme, 70 pulsations; point de selles; insomnie pendant la nuit. Saignée de 300 gram.; de 4 heures en 4 heures une cuillerée de potion composée de sulfate de magnésie, d'aloes, et de senné. À 5 heures du soir, aggravation de tous les symptômes, et, en outre, nausées, anxiété générale et autres effets de l'intoxication arsenicale. Décocté de graine de lin; 4 grammes de carbonate de fer, suspendu dans du gruau épais;dose qui fut répétée de demi-heure en demi-heure. puis d'heure en heure. 2 heures après la première prise du carbonate, la gorge et la bouche devinrent humides; les douleurs cessèrent et le malade dormit toute la nuit. Le lendemain il était entièrement soulagé. (Sarph, Gazet, méd. 1841.)

Il n'est pas possible d'apprécier la part du carbonate de fer dans la guérison. Cependant, comme les symptômes, avant son adininistration, s'étaient aggravés et que l'amélioration a été très-prompte, on ne peut contester son utilité. A-t-il agi comme contre-poison, ou en modifiant l'état particulier du sang, ou par son effet dynamique, ce qui est plus probable? En adınettant la première hypothèse, le carbonate de fer aurait-il neutralisé à la fois le poison en circulation et celui qui est éliminé par la surface muqueuse intestinale, et qui, réabsorbé, pourrait agir comme poison? Il serait important de tenter quelques expériences pour résoudre ces questions. A ces observations, nous pourrions en ajouter encore quelques autres; nous citerons seulement le fait suivant. Un jeune homme affecté de la gale, s'enduisit le soir tout le corps d'onguent arsenical et se coucha; le lendemain il fut trouvé mort dans son lit.

Observ. VI. Le 15 novembre 1827, M. Fritto est appelé par le juge de paix du canton de Tierck, à l'effet de constater le genre de mort de trois enfants qui avaient péri presque subitement et à peu de distance l'un de l'autre. Les renseignements et l'examen des cadavres lui ont fourni les résultats suivants; Le 12 novembre, un charlatan propose à la femme Bodin de guérir en peu de jours ses trois enfants de la teigne. Elle y consent. Une pommade jaune-rougeâtre est appliquée sur le cuir chevelu des enfants. Quelques heures après, con

« PrécédentContinuer »