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laïques ou ecclésiastiques ne le sont que par la loi qui, leur concédant ce droit, peut le leur retirer ; le droit de propriété est, aux yeux du clergé, inhérent à l'Église, c'est-à-dire au sacerdoce, ou plutôt le sacerdoce est la source primitive du droit de propriété, et le nier, c'est détruire le sacerdoce et la société.

Le fondement de cette société, c'est que tous ses agents, depuis le juge de paix jusqu'au président de la République, depuis le desservant jusqu'à l'évêque, sont de purs fonctionnaires publics auxquels l'État alloue un traitement en argent, c'est-à-dire sous la forme la plus simple, ce qui leur plaçant dans la main leur subsistance, ils peuvent sans distraction vaquer aux occupations qui leur sont dévolues pour l'utilité des peuples; le salaire, aux yeux du clergé, est la dégradation du sacerdoce et du pouvoir civil.

Je sais bien que le clergé ne professe pas toujours ces maximes dans leur rigueur, ou leur nudité; mais, patent ou occulte, développé ou en germe, tel est son enseignement. Telle est aussi sa règle de conduite, qu'il l'avoue ou qu'il le dissimule, qu'il y soit fidèle ou infidèle.

Or, la société qui est ainsi anathématisée, c'est la société chrétienne, par laquelle le christianisme achève de s'établir sur la terre. Il doit régénérer non-seulement l'homme religieux, mais l'homme civil, car ces deux hommes ne sont que l'homme même considéré par ses rapports avec Dieu, et par ses rapports avec ses semblables. A la publication de l'Evangile, l'homme fut régénéré dans la religion, le culte chrétien substitué au culte juif et au culte païen; il restait encore à le régénérer dans la

société, ou à substituer l'Etat chrétien à l'Etat juif et à l'Etat païen. Voilà ce que fait la révolution française, qui deviendra rapidement celle du monde.

L'essence de l'Etat juif et de l'Etat païen, c'est que l'homme leur appartient, que par sa nature il n'a aucun droit, que ceux dont il jouit, il les tient de la loi; l'essence de l'Etat chrétien, c'est que l'homme s'appartient; qu'il a, par sa nature, des droits, tels que la liberté des personnes, des cultes, des opinions, des biens, de l'industrie, et que la loi se borne à les lui reconnaître et à lui en assurer la jouissance. Pourquoi chez les Juifs et chez les païens, l'homme ne se possédait-il point? Par la même cause qu'il ne possédait point Dieu; qu'à la place de Dieu, il était réduit chez les Juifs à la parole de Dieu, c'està-dire à la loi extérieure, et chez les païens aux idoles, Quelle est cette cause par laquelle il se trouvait les idoles et la loi extérieure en partage et non pas Dieu ? c'est qu'à l'origine il s'était révolté contre lui. Nous avons en propre une raison qui constitue notre être pensant, mais elle n'a de force que si elle est intérieurement et immédiatement unie à la raison souveraine, qui constitue Dieu. Or, par la chute, la raison humaine étant séparée de la raison divine, devint peu à peu tellement faible, qu'elle ne put rien saisir de spirituel, ni conduire l'homme. Dieu, qui lui échappait, elle se le figura dans les corps de l'univers et dans les ouvrages de l'art. Quand Dieu voulut la désabuser, la voyant incapable d'être relevée jusqu'à lui, à la contemplation de son être immatériel, il lui ordonna seulement d'y croire, et lui marqua, dans

tous les détails, comment elle devait agir conformément à cette croyance. L'Etat fondé sur la loi mosaïque gouvernant souverainement l'homme, lui commandant ce qu'il fallait penser et ce qu'il fallait faire, l'homme en était la propriété. Pareillement les législateurs des gentils l'obligèrent de se renoncer et de se donner à l'Etat, afin que, l'Etat ayant un empire absolu sur lui, il pût, dans l'infirmité de la raison, le mener d'autorité.

Institué pour nous guérir, le christianisme nous relève au dedans à Dieu, notre raison reprenant ses forces doit nous arracher au double esclavage que la chute nous attira, d'abord à la loi rituelle, ou matérielle des Juifs, à l'idolâtrie des gentils, ensuite à la domination de l'Etat juif et de l'Etat païen. Je dis d'abord parlant du culte, car la servitude sociale dépend de la servitude religieuse, et déraciner celle-ci, c'est déraciner l'autre. Qu'on soit affranchi dans la religion, on adore Dieu en esprit, en vérité; ce qui suppose qu'on s'élève intimement à lui, qu'on le considère selon ce qu'il est. Mais n'est-ce pas réunir notre raison à la raison éternelle et la mettre dans la condition de sa force? Donc l'adoration en esprit et en vérité, qui renversa le culte sensuel des Juifs et l'idolâtrie des gentils, renversera, par une suite nécessaire, l'empire absolu que les sociétés de l'un et de l'autre peuple exercent sur leurs membres, et restituera le citoyen à soi. Si l'homme possède Dieu, tôt ou tard il se possédera lui-même.

Posséder Dieu, c'est ne dépendre immédiatement que de lui, et se posséder soi-même, c'est ne dépendre non plus immédiatement que de lui, ne re

connaître les autres pouvoirs qu'autant qu'ils reconnaissent à leur tour que l'homme dépend essentiellement de Dieu seul. Le sacerdoce chrétien, quoique immédiatement établi de Dieu, n'est point interposé au dedans entre Dieu et l'homme, il ne l'est qu'extérieurement, comme ministre de JésusChrist, qui seul est le vrai pontife et de qui seul le fidèle relève nécessairement et sans intermédiaire. A Jésus-Christ appartient l'action directe et principale sur l'âme. Mais ne serait-ce pas une contradiction et la situation la plus violente que l'homme ne fût assujetti qu'à la raison souveraine dans l'ordre religieux, et que dans l'ordre social il fût assujetti à l'Etat? Pour ses devoirs moraux, il consulterait la vérité incréée, et pour ses devoirs sociaux, qui certainement sont aussi en rapport avec la conscience, il consulterait les législateurs! Dieu, redevenu son premier maître dans le temple, devait le redevenir dans la cité. La fameuse déclaration des Droits de l'homme, par l'Assemblée constituante de 1790, est, dans toute la force des termes, la promulgation sociale de l'Evangile. Dieu exécuta lui-même la promulgation religieuse, après l'avoir fait préparer par Moïse; la promulgation sociale a été préparée et accomplie par le cours des événements, parce qu'elle était, comme je l'ai déjà observé, la suite naturelle de la promulgation religieuse.

Le régime théocratique et monacal du moyen âge naquit de la position où se trouvait le monde. Or, la théocratie, qui est le sacerdoce remplaçant le pouvoir civil, et l'Eglise remplaçant l'Etat, a détruit la société juive et la société païenne; le monachisme, qui est l'homme arraché à lui-même et donné à

Dieu, a détruit le citoyen juif et le citoyen païen. Mais l'homme donné à Dieu, n'est-ce pas l'homme revenu à Dieu par tous les côtés, et aussi bien donc par le côté social que par le côté religieux ? L'homme revenu à Dieu, n'est-ce pas l'homme revenu à luimême, se possédant parce qu'il possède Dieu, principe premier de la force de notre raison? Maitre de soi intérieurement, ne doit-il pas l'être au dehors, renverser le monachisme et la théocratie, et créer la société libre? Quand je dis renverser le monachisme, je n'entends point la pratique des conseils évangéliques, mais le système qui proscrivait la vie civile comme mauvaise et plaçait la vie chrétienne dans le cloître.

Tous les historiens ont été frappés du dépérissement arrivé au dixième siècle et l'ont même déploré, ne se doutant pas que c'était la société du vieil homme qui s'anéantissait, que par là l'homme civil en était délivré, qu'il remontait à Dieu, et que ce retour se manifestait au douzième siècle, dans la formation des communes, qui n'a pas moins vivement excité leur attention. Depuis cette époque, que signale aussi la première renaissance des lumières, jusqu'à la révolution française, se prépare l'établissement de la société chrétienne ou libre, lequel, avec l'établissement de l'Eglise, forme l'établissement total du christianisme. Pour le dire en passant, combien se trompent ceux qui le supposent caduc et en quelque sorte mort! Ayant besoin d'une certaine culture de l'esprit, le christianisme se servit de la civilisation grecque et romaine pour son établissement premier, et il s'enferma chez les peuples qu'elle embrassait; pour le

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