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de nos grandes maisons devinrent aussi les créanciers de leurs frères aînés. Par le fait de la loi, ils se trouvèrent possesseurs d'une rente perpétuelle, au lieu de la viagère dont ils jouissaient avant. Les usuriers, ou les premiers créanciers; les cadets, ou les seconds créanciers, affamés également d'argent, et n'en trouvant pas, prirent des terres; et les premiers, comme ceux-ci, voulurent tous vendre. DèsJors le nombre des vendeurs fut incomparablement plus grand que celui des acheteurs; l'argent était rare, et naturellement le prix des terres tomba toutà-coup, comme de dix à un. — Bien que les produits de celles-ci puissent ne pas suivre tout-à-fait leur mouvement soit en baisse, soit en hausse, il est presque impossible pourtant qu'ils ne s'en ressentent pas ; et c'est ce qui explique en partie l'avilissement du prix du froment et des denrées. Ce qui complète cette explication, aussi bien que la préférence accordée aux denrées du Levant sur les nôtres, c'est ce même manque absolu du numéraire, ce sont les impôts sur le même pied, et même augmentés de ce qu'ils étaient du temps de la résidence en Sicile de la cour et des Anglais, c'est-à-dire du temps que nos terres et nos denrées valaient neuf et dix au lieu d'un qu'elles valent à présent.

Nos propriétaires et nos fermiers, au moment de la publication de cette loi, se trouvèrent donc, et se trouvent toujours dans la même position où ils étaient du temps de Charles V, dont j'ai parlé plus haut ; avec

la circonstance aggravante que nous n'avons plus de Parlement pour faire des remontrances vigoureuses, et mettre un terme au mal. Les productions du Levant, bien qu'inférieures aux nôtres, peuvent être livrées à un prix beaucoup plus raisonnable que les autres; tandis que celles de nos terres restent sur les bras de nos cultivateurs, qui ne peuvent pas soutenir la concurrence sans se ruiner, et qui se ruinent aussi en les livrant au même prix que celles du Levant. C'est ce qu'on appelle tomber de Charybde en Scylla.

Le manque de commerce et d'encouragement en agriculture, le découragement qui doit s'ensuivre, complètent le hideux tableau de nos souffrances; et cet amalgame de malheurs explique la ruine totale de nos propriétaires, de nos fermiers, de tout ce qui existe en Sicile. A Naples, comme chez nous, ces mêmes symptômes eurent lieu; mais la présence de la cour, d'un prodigieux nombre d'étrangers, le commerce, l'encouragement, la prédilection marquée de nos ministres pour le fils aîné de la maison, et plus que tout cela un plus long bénéfice de temps, ont, petit à petit, fait disparaître les maux du moment, et réalisé le bien que cette sage loi ne peut pas manquer de produire à la longue: il n'y a que les grands tenanciers qui sont restés en souffrance; mais le reste de la nation est déjà dans l'aisance, et les Lazzari ont presque disparu. Chez nous, le mal existe dans toute sa force; et par

tout ce que je viens de dire, je ne vois pas le plus petit espoir qu'il diminue.

Il ne m'est pas permis, dans un ouvrage de cette nature, et dans un petit article comme celui que je fais ici, d'approfondir davantage une matière aussi importante. C'est assez d'avoir donné un aperçu de la situation déplorable de la Sicile, et d'en avoir indiqué les causes principales. Les remèdes, je l'ai déjà dit, ne manquent pas, surtout dans un pays tellement favorisé par la nature et par sa position.

Rappelons ici ce que l'excellent Ferdinand Ier., surnommé le Juste, disait dans ce même pays, en 1414 « Otez les entraves; faites que chaque propriétaire ou manufacturier dispose de son bien; qu'il le vende comment, et là où il le veut, et les maux auront cessé d'exister (1). » Je citerai, quant à moi, deux de ces remèdes qui me paraissent de la plus grande urgence. Le premier, sans contredit, est de proportionner les impôts à l'état maladif de la Sicile; le second, d'encourager en même temps par des primes l'exportation des denrées. Je sais

(1) Le gouvernement en Sicile a déjà établi le principe de la libre exportation du blé et des autres denrées ; et ce sage principe vient d'être sanctionné dans les derniers règlemens sur les douanes. On en a excepté pourtant quelquesunes dans l'idée de favoriser nos arts. De ce nombre sont, le chanvre, le lin, les cuirs, le nitre, l'huile fine. Cette exception est mauvaise.

bien qu'en indiquant ce dernier, j'ai le mall cur d'être en contradiction avec l'avis de Smith et de M. Say; mais je ne saurais, en conscience, être d'un autre que celui de mon cousin Palmieri, qui a savamment traité cette matière dans un ouvrage qu'il a fait imprimer, que je regarde comme un des livres les plus profondément pensés, et dont je tire une partie de mes raisonnemens dans cet article. Je me propose d'en faire une traduction, et je renvoic l'amphigouri de Smith et les spécieuses conceptions de M. Say à Arthur Young, qui leur répond par des argumens invincibili, pour me servir de l'expression de mon parent, dans scs Farmer's Letters, lett. 11. Mon cousin et moi nous disons d'or; mais il faut qu'on ait la bonne volonté de s'intéresser au mal, celle d'y porter remède ; et comme nous le disons en italien : « Non siamo inquel caso. » Ainsi, soyez-en, vous, mon cousin, pour vos idées philanthropiques, moi, pour mes beaux raisonnemens, et laissez-moi me reposer, car j'en ai assez de l'économie politique (1).

(1) Voyez la note 28 à la fin du volume,

CHAPITRE XLIII.

On s'étonne de ce que les homines sont souvent en contradiction avec eux-mêmes. —Moi, je m'étonne quand ils n'y sont pas.

ANONYME.

Mon portrait s'achève. — Espions à Palerme du temps de la Cour : ce qui m'arrive avec l'un d'eux. - Arrestation. — Épisode de Bruxelles. — Une vessie pour une lanterne. Naples. - Conseils aux malades et à ceux qui se portent bien. · Concessions conditionnelles.

N'OUBLIONS pas que nous avons un portrait à achever encore quelques coups de pinceau, et tâchons de le rendre ressemblant.

C'est dans le même sentiment qui me fait aimer tout ce qui est grand, beau et juste, qu'il faut trouver la raison de l'antipathie prononcée que j'ai pour les espions; et, bien que je n'aie jamais conspiré de ma vie, que je ne veuille jamais conspirer, je les ai toujours eus en horreur.

Nous en étions entourés, harcelés, poursuivis, du temps que la cour était à Palerme. Il y en avait un entre autres que j'honorais plus particulièrement de ma haine. C'était un mauvais drôle, qui volait l'argent des pauvres paysans qui avaient affaire à

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