Images de page
PDF
ePub

(beaucoup plus ému que Victor Hugo, enflant sa voix d'airain). Il y a là un contraste piquant, troublant et charmant.

203. En somme, les chefs-d'oeuvre du xviie siècle n'ont pas été surpassés dans leur genre; mais dans les genres où le xvIe siècle n'avait pas excellé, l'école romantique a fait plus d'une conquête nouvelle. La langue poétique fut en progrès; on rima plus richement, ce qui est une beauté à condition que la rime ne coûte rien à la pensée. L'harmonie fut plus rare, plus souple et plus variée; on brisa le moule uniforme où s'emprisonnait l'alexandrin classique; on ne lui imposa plus la suspension du sens aprés l'hémistiche, prescrite par Boileau. Certaines conventions arbitraires cessèrent de passer pour des lois le préjugé du mot noble disparut; la périphrase ennuyeuse et glacée passa de mode.

:

Ces réels services rendus par les romantiques ne purent prolonger au delà d'un quart de siècle l'existence de cette brillante école. Après une révolution qui échoue ou bien ne réussit qu'à moitié, laissant derrière elle plus d'illusions déçues que d'espérances satisfaites, la réaction se fait d'elle-même. Le romantisme avait fait dévier le théâtre dans des excès dont les Burgraves, ce drame de Victor Hugo, où il y a des choses si étranges mêlées à de grandes beautés, marquèrent l'extrême limite, au delà de laquelle brusquement le public sembla refuser de suivre le novateur. Un jeune poète inconnu jusqu'alors, Ponsard', saisit avec beaucoup d'à-propos l'heure de la réaction et parut original en faisant jouer une tragédie classique dont le succès fut immense : Lucrèce (1843). La période éclatante du romantisme était achevée. Depuis plusieurs an

1. Voy. ci-dessous, § 216.

nées déjà les grands succès de théâtre appartenaient à un homme qui, sans se piquer de théories littéraires, se contenta d'amuser le public par la fécondité de son imagination aidée d'une merveilleuse habileté de combinaisons scéniques, Scribe', auteur toujours heureux, toujours applaudi de près de quatre cents pièces de tout genre où il n'y a pas beaucoup de style, et encore moins d'observation des mœurs; mais un savoir-faire qui permet de se passer provisoirement de l'un et de l'autre.

Les romanciers: Alexandre Dumas.

Henri Beyle.

George Sand. Balzac. Mérimée.

204. Le roman, ce dernier-né des genres littéraires, était destiné à prendre dans notre siècle un énorme développement. Il eut d'illustres représentants sous le gouvernement qui succéda à la Restauration. Déjà Alfred de Vigny avait écrit Cinq-Mars (1826), un très beau roman historique, un chef-d'œuvre dans ce genre faux qui mêle, au grand péril de la vérité, la fiction avec l'histoire. Alexandre Dumas exploita la même mine avec une imagination intarissable, un style plein de verve et peu de scrupules historiques. Mme Sand3 anima d'un beau style une

1. Eugène Scribe, né et mort à Paris (1791-1861). Michel et Christine (1821); Bertrand et Raton (1833); la Camaraderie (1837); le Verre d'eau (1842); Adrienne Lecouvreur (1849); Bataille de Dames (1852), etc.

2. Principaux romans le Comte de Monte-Christo (1841-1845); les Trois Mousquetaires (1844); Vingt ans après (1845); la Reine Margot (1845); le Vicomte de Bragelonne (1847); le Chevalier de Maison-Rouge (1848); la Dame de Montsoreau (1848), etc.

3. Mme Dudevant, née Lucile-Aurore Dupin, dite George Sand (1804-1876). Nombreux romans (1831-1875) : Indiana (1832); Consuelo (1842); la Mare au Diable (1846); la Petite Fadette (1848); François le Champi (1850); le Marquis de Villemer (1861); les Beaux Messieurs de Bois-Doré (1858), etc.

famille nombreuse de héros et d'héroïnes qui n'avaient de réalité que dans son imagination féconde. Ses premiers romans se complaisaient surtout dans la peinture des passions désordonnées et fougueuses. Les derniers, plus reposants, peignent la société d'une façon plus optimiste. Elle a excellé dans le roman champêtre et laissé ainsi quelques idylles en belle prose dont le charme ne passera pas. Balzac1, en écrivant la Comédie humaine, y voulut peindre la société tout entière, et telle qu'elle est; mais, comme il arrive trop souvent à l'écrivain qui cherche violemment le vrai, il fut frappé surtout du laid. Son style tourmenté a parfois des effets puissants : il est souvent mauvais. En puisant ses sujets dans l'analyse et la copie des types de la vie réelle, Balzac a devancé les tendances de notre époque; aussi son école est-elle aujourd'hui la plus florissante et elle a rejeté dans l'ombre toute autre forme de roman que le roman réaliste. Ajoutons qu'il faut, quand il s'agit de Balzac, donner à ce mot son sens le plus large, et entendre ainsi, non une vulgaire reproduction de ce qu'il y a de plus saillant et de plus violent dans les dehors de la vie sociale, mais une représentation complète de la vie universelle, où les ressorts des faits extérieurs et directement observables sont souvent cachés au plus profond des âmes. Un tel réalisme exige autant de « psychologie » que de talent pittoresque et de génie d'observation. Toutes ces qualités sont dans Balzac, avec une force et une abondance qui justifient la célébrité de son nom, et l'influence immense de son œuvre, non seulement sur la littérature romanesque, mais sur toute la littérature; sur les philosophes, les mora

1. Honoré de Balzac, né à Tours (1799), mort à Paris (1850). Eugénie Grandet (1833). Le Père Goriot (1834). Le Lys dans la vallée (1835). Illusions Perdues (1837). Les Parents pauvres (18461847).

listes, les historiens; même sur la société; car autour de lui, et encore plus après lui, que d'hommes ont affecté de copier ses héros!

Tout écrivain tient de son temps, même ces initiateurs qui devancent l'avenir. Aussi Balzac, en créant le roman réaliste au temps du romantisme, est-il romantique luimême dans une grande partie de son œuvre, non la meilleure, ni la plus durable. Et comme il n'a rien de la verve amusante et facile d'un Dumas, comme son style inégal, tourmenté, peu correct, manque de charme et de poésie, les pages de la Comédie humaine qu'il a tirées des purs caprices de son imagination laborieuse font un fâcheux contraste avec celles qu'il a puisées dans le spectacle de la vie, et dans la déduction logique que sa réflexion tirait des faits observés. Car Balzac, réaliste ou romantique, veut que l'écrivain tire son œuvre de son esprit. Il ne réduit pas le roman, comme on fera plus tard, à l'art de coudre ensemble les notes recueillies et les expériences faites.

Un autre romancier dont la réputation est plus grande aujourd'hui que de son vivant, Henri Beyle, dit Stendhal (1785-1842), affecta le premier, dans ses romans, écrits entre 1830 et 1840, d'appliquer à l'étude des passions humaines les procédés de l'analyse physiologique. Aussi plus d'un de nos contemporains le salue comme un précurseur Mérimée et Taine surtout relèvent de lui. Leur admiration ne fera jamais que Stendhal écrive bien; ni même qu'il ait un style. Cet apôtre fanatique de l'individualisme, ce défenseur sans scrupules de l'énergie personnelle, écrit comme tout le monde; c'est-à-dire mal1.

Les ouvrages d'imagination surtout ne vivent guère que par le style. Aussi la postérité mettra peut-être au-dessus

1. Le Rouge et le Noir (1850); La Chartreuse de Parme (1839).

des romans ambitieux, qui ont si fort ému nos pères par leurs prétentions sociales et littéraires, les courtes nouvelles de Mérimée', petits chefs-d'œuvre d'observation, de finesse, de langue et d'esprit. Cet admirable écrivain serait plus populaire, si, par réaction contre plusieurs de ses contemporains, dont l'étalage sentimental le révoltait, lui-même n'eût affecté trop souvent de cacher et de comprimer son cœur. Il afficha son flegme pour se mieux distinguer de ceux qui affichaient leur émotion désordonnée.

[ocr errors]

RoyerBerryer. Courier. -

[ocr errors]

Foy.

Les orateurs, les philosophes, les écrivains politiques.
Collard. Benjamin Constant. De Serre.
Montalembert. Lacordaire.. Victor Cousin.
Lamenuais.

205. La liberté rendue à la tribune enfanta de nouveau de grands orateurs sous la Restauration. Le premier règne du gouvernement parlementaire avait été si court en France, que cette forme politique y parut toute nouvelle en 1815, et les orateurs eurent le grand avantage de pouvoir, sans banalité, exposer d'abord au pays les principes généraux du régime, et reprendre éloquemment tous les lieux communs de la politique. Ils excellèrent dans ce rôle, et les discours de Royer-Collard', de Benjamin Constant, du comte de Serre, du général Foy, forment dans leur ensemble un admirable cours de politique con

1. Prosper Mérimée, né à Paris (1805), mort en 1870. Tamango; la Vénus d'Ille; les Ames du Purgatoire; le Vase étrusque; Matteo Falcone; Colomba (1830-1840).

2. Royer-Collard (1763-1845).

3. Benjamin Constant (1767-1830). Adolphe (1816), roman. Nombreux écrits de politique et de polémique.

4. Le comte de Serre (1776-1824), garde des sceaux (1818-1821). 5. Le général Foy (1775-1825).

« PrécédentContinuer »