Images de page
PDF
ePub

stitutionnelle. L'éloquence parlementaire est plus ingrate, et ses œuvres vieillissent plus vite quand il en faut venir à traiter les questions d'affaires et les intérêts pratiques. Sous le règne de Louis-Philippe, Berryer', Guizot2, Montalembert, illustrèrent la tribune, en même temps que des orateurs religieux, dont le plus grand fut Lacordaire, rappelaient la foule autour de la chaire chrétienne et rajeunissaient le sermon, en renouvelant l'exposition du dogme et de la morale par une éloquente intervention dans toutes les questions politiques et sociales qui agitaient le plus vivement les esprits.

La philosophie avait aussi ses prédicateurs. Cousin", à la Sorbonne, sans créer un système nouveau, sans exposer des doctrines qui lui fussent personnelles, racontait avec éclat l'histoire de toutes les doctrines et de tous les systèmes, et ramenait les esprits de la génération nouvelle à ces nobles études, si longtemps négligées; le sensualisme grossier, où s'était égarée la philosophie au siècle précédent, était définitivement rejeté. Durant les dix-huit années du règne de Louis-Philippe, la politique et l'action absorbèrent Cousin, comme tant d'autres grands écrivains. Plus tard, lorsque les événements l'eurent écarté des affaires, il revint aux lettres; c'est alors qu'il donna cette belle série d'études sur la société au xviie siècle".

1. Pierre-Antoine Berryer (1790-1860), avocat et orateur politique. 2. Voy. ci-dessous § 208.

3. Le comte de Montalembert (1810-1870). Vie de sainte Élisabeth de Hongrie (1836). Les Moines d'Occident (1860-1867).

4. Henri Lacordaire (1802-1861), religieux dominicain (1840). Conférences (1835-1850).

5. Victor Cousin (1792-1867). Éditions de Proclus, Descartes, Platon; des Pensées de Pascal. Cours d'histoire de la philosophie (1827). Du vrai, du beau, du bien (1853). Fragments philosophiques, etc.

6. Madame de Longueville (1853); Madame de Sablé (1854); Madame de Chevreuse et Madame de Hautefort (1856); la Jeunesse de Mazarin (1865),

etc.

Dans ses écrits philosophiques, dans ses écrits d'histoire littéraire, son style est haut, ferme et pur; et ce rare mérite fera vivre ses ouvrages, quelle que soit la fortune de cette philosophie éclectique, qui s'était personnifiée en lui, et qui ne lui a pas survécu.

206. A côté des orateurs de la Restauration, il faut nommer un écrivain qui obtenait alors, par le livre, autant de retentissement que le plus fougueux tribun aurait pu faire par la parole publique. Paul-Louis Courier1 harcela, dix années durant, le pouvoir par une série de pamphlets que la rare perfection du style exceptera de l'oubli général où tombent toujours, après quelques jours de bruit, les productions de cette espèce. Sur le fond de sa politique, mélange incohérent de souvenirs et de regrets, de préventions et d'antipathies qui semblaient rattacher l'auteur tantôt au sensualisme du XVIe siècle, tantôt à l'enthousiasme républicain et révolutionnaire, tantôt aux gloires et aux désastres de l'Empire, il y aurait de graves réserves à exprimer; mais la forme est alerte, Vive, acérée, mordante, cachant le trait qui blesse, sous l'apparence d'une fausse bonhomie; ce style est trop travaillé, mais cet excès d'art se dissimule habilement; ce qui a le plus coûté de peine à l'auteur paraît le plus facile. Courier, très bon helléniste, avait traduit Longus et divers fragments d'auteurs grecs; il goûtait aussi vivement le français du xvie siècle; c'est à cette double école, celle des Grecs et celle d'Amyot, qu'il se forma ce style curieux, laborieux, un peu factice, un peu composite, mais en somme rare et piquant, digne qu'on l'admire, sans chercher à l'imiter.

207. Un autre écrivain agitait dans le même temps les

1. Né à Paris le 4 janvier 1772, mort le 10 avril 1825.

esprits par des écrits véhéments qui ne laissaient guère prévoir ceux qu'il devait produire un jour, avec la même ardeur, au service d'une tout autre cause. L'abbé de Lamennais1 publiait, en 1817, le premier volume de l'Essai sur l'indifférence en matière de religion. Au lendemain de la Restauration, à l'heure d'une tentative générale de rénovation religieuse, un tel livre était plein d'à-propos et devait émouvoir fortement l'opinion. L'Essai était écrit avec une éloquence enflammée, dont l'accent depuis les grands orateurs sacrés du XVIIe siècle semblait perdu parmi les écrivains religieux. C'était la fougue entraînante de Jean-Jacques Rousseau retournée contre le déisme et la religion naturelle » du xvme siècle, cette foi insuffisante, inévitable acheminement vers le scepticisme et vers une indifférence religieuse mortelle aux individus et aux nations. Le succès du livre fut grand, surtout celui du premier volume, où l'auteur s'était attaché à combattre. l'irréligion. Les suivants, où il s'efforçait de construire après avoir abattu et d'asseoir l'édifice religieux sur une base indestructible, soulevèrent des difficultés imprévues. Ils renfermaient le germe de la rupture prochaine qui allait séparer de l'orthodoxie le prêtre qui en avait paru d'abord le plus ardent défenseur. Lamennais, déplaçant les bases de la certitude que la philosophie cartésienne avait fait reposer sur l'adhésion de la raison humaine aux choses évidentes, crut la trouver dans le consentement du témoignage des hommes, exprimé par la plus haute autorité humaine, celle du pape, chef de l'Église universelle; la théocratie démocratique était le dernier terme de ce système. Lamennais, désavoué à Rome en 1832, se sépara de l'Église avec éclat, en publiant les Paroles d'un

1. Hugues-Félicité-Robert de Lamennais, né à Saint-Malo - (1783), mort à Paris (1854).

croyant (1834), profession de foi purement démocratique, où, dans un style inspiré de la Bible et de l'Évangile, il opposait le sombre tableau des miséres terrestres à l'image idéale de la cité affranchie où régneraient la justice et la fraternité. D'autres écrits, produits durant les quinze années suivantes, exprimèrent les mêmes idées ardemment démocratiques 1. L'Esquisse d'une philosophie (18411846), où l'auteur avait voulu condenser son système dans une forme plus sévère, fit moins de bruit que ces pamphlets et vivra davantage. Le fond de la théorie est faux, puisque la science ne peut admettre qu'elle soit soumise au consentement de la foule humaine et relève de son adhésion. Mais certaines parties de l'ouvrage ont une grande valeur, et particulièrement celles qui traitent de l'art. En abordant ces matières sereines, le style de l'écrivain semble s'épurer; il bannit la déclamation qui gate ailleurs plusieurs de ses plus belles pages; il garde l'éloquence, et ce don, sinon de convaincre, au moins d'émouvoir, que nul n'avait possédé au même degré, depuis Rousseau.

[blocks in formation]

208. Quand le temps aura passé sur les ouvrages du XIXe siècle, on le louera surtout d'avoir donné une vie et une vérité nouvelles aux études historiques. Ce grand mouvement, où le génie et l'érudition eurent part ensemble, commença sous la Restauration, ère féconde où tout en France s'est renouvelé dans le domaine de l'esprit. Guizot, professeur d'histoire à la Sorbonne de 1812 à

1. Affaires de Rome (1856). Le Livre du peuple (1857). De l'esclavage moderne (1837), etc.

2. François Guizot (1787-1874). Cours d'histoire moderne (1828

1830, publia en 1828, sous le titre Cours d'histoire moderne, l'ouvrage qui est devenu l'Histoire de la civilisation en France, et l'Histoire de la civilisation en Europe; admirable monument où, pour la première fois, se trouvent éclaircis l'obscurité de nos origines, le vrai caractère de l'invasion barbare et la formation des sociétés modernes. Dans l'histoire, Guizot s'attachait surtout à découvrir la naissance et à suivre le développement des institutions politiques; rarement peintre, toujours philosophe (au sens où ce mot désigne un homme qui sait tirer des faits du passé une leçon pour l'avenir), Guizot voyait dans l'étude de l'histoire une école, où l'on apprenait l'art de gouverner les hommes.

Dans la vie politique, son talent ne cessa de se perfectionner; il fut un grand orateur et un écrivain éminent. L'un des derniers parmi ses nombreux ouvrages, les Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps seront jugés un jour comme une des plus belles œuvres de style et d'éloquence mâle et forte que ce siècle ait produites.

Formé à l'école de Guizot, Tocqueville', en 1855, donnait la Démocratie en Amérique, le plus solide ouvrage de philosophie sociale qu'on eût écrit depuis l'Esprit des Lois; vingt ans plus tard (1856) l'Ancien Régime et la Révolution, livre entièrement original et neuf, dont l'influence fut très grande, et qui, au lendemain du succès bruyant des Girondins de Lamartine, commença de modifier en France, au moins chez les esprits réfléchis, ce

1830), ou Histoire générale de la civilisation en Europe et en France. Histoire de la Révolution d'Angleterre (1827-1828). Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps (1858-1868). Histoire de France racontée à mes petits-enfants (1870-1875).

1. Alexis de Tocqueville (1805-1859). La Démocratie en Amérique (1835). L'Ancien Régime et la Révolution (1856).

« PrécédentContinuer »