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la vigueur de l'âme. Presque toutes se rapportaient à diverses parties de ce grand ouvrage que Pascal projetait d'écrire depuis cinq ou six ans pour défendre la religion chrétienne contre les attaques des incrédules et la tiédeur des indifférents.

La pensée fondamentale de ce livre était déjà dans un célèbre Entretien, publié plus tard, que Pascal, en arrivant à Port-Royal, avait eu avec M. de Saci, neveu d'Arnauld, sur Épictète et sur Montaigne : l'un, philosophe stoïcien et dogmatique, exalte l'orgueil humain; l'autre, sceptique, le rabaisse à l'excès, se rit de nos contradictions, déclare qu'il ne sait que croire, mais s'accommode fort bien de ce doute. Pascal entreprend de combattre et de détruire, l'une par l'autre, ces deux philosophies; celle qui affirme quelque chose sur Dieu et sur l'homme en dehors de la religion, et celle qui refuse de rien admettre pour vrai, même à la lumière de la foi.

37. Restituer assurément le plan de Pascal est impossible; on peut essayer du moins de donner une idée probable du livre tel qu'il devait être. Le but de Pascal est d'amener une âme à croire aux vérités religieuses. Il montre d'abord l'homme isolé, perdu dans l'univers entre l'infinie grandeur et l'infinie petitesse. Il montre la vanité du monde, l'horreur de l'amour-propre et de l'égoïsme universel, l'incertitude de nos connaissances, les mensonges de nos sens, les contradictions de notre raison, l'insuffisance et les excès de la justice humaine. Dans cette partie sceptique et négative de l'ouvrage, Pascal s'inspire surtout de Montaigne. Mais Montaigne se repose à l'aise dans un tel abîme de doute et d'ignorance. Pascal y souffre horriblement, et harcèle l'homme pour qu'il souffre aussi. Le pire état de l'âme, c'est l'indifférence; cherchons donc la vérité. Les philosophes nous la diront-ils? Tous se con

tredisent entre eux. Les religions pourront-elles mieux nous éclairer? Mais presque toutes sont certainement fausses. Est-il sûr qu'il y en ait une seule qui soit vraie? Alors Pascal, interrogeant le peuple juif, trouvait dans ses livres sacrés le dogme du péché originel et la promesse d'un rédempteur. Tout s'éclaircissait à ses yeux; ce rédempteur était Jésus-Christ, prouvé par les figures de l'ancienne Loi, par les prophéties, par l'Evangile, par les miracles, par l'histoire de l'établissement du christianisme. Telle eût été l'économie générale de ce livre, inachevé malheureusement, mais si beau dans ses débris. Les amis de Pascal, qui publièrent ces fragments après sa mort, modifièrent beaucoup de passages; guidés par des scrupules littéraires et surtout par des scrupules religieux. Mais le manuscrit des Pensées avait été conservé; l'on a pu, de notre temps, en rétablir le texte dans son intégrité 1.

38. Le style de Pascal est la perfection même, la perfection absolue. Ce serait perdre le temps dans une vaine entreprise que d'essayer d'en énumérer les qualités. Il les a toutes en une seule qu'on pourrait faire entendre, sans pouvoir la nommer, en disant qu'elle consiste à rendre la pensée transparente et lumineuse; c'est une âme tout. à nu qui parle et s'explique directement à une autre âme; et quelle âme que celle de Pascal! La plus ardente, la plus passionnée, la plus éloquente qui fut jamais. Toutes les passions nobles, il les ressent, il les exprime avec une force qui n'est que la force même de la passion, servie par les mots, sans qu'elle ait besoin de les solliciter; ils viennent comme d'eux-mêmes. Nul procédé, nul artifice

1. Victor Cousin signala le premier l'inexactitude du texte vulgaire des Pensées. M. Faugère donna en 1844 une édition sincère, encore perfectionnée depuis par divers éditeurs.

la vigueur de l'âme. Presque toutes se rapportaient à diverses parties de ce grand ouvrage que Pascal projetait d'écrire depuis cinq ou six ans pour défendre la religion chrétienne contre les attaques des incrédules et la tiédeur des indifférents.

La pensée fondamentale de ce livre était déjà dans un célèbre Entretien, publié plus tard, que Pascal, en arrivant à Port-Royal, avait eu avec M. de Saci, neveu d'Arnauld, sur Épictète et sur Montaigne l'un, philosophe stoïcien et dogmatique, exalte l'orgueil humain; l'autre, sceptique, le rabaisse à l'excès, se rit de nos contradictions, déclare qu'il ne sait que croire, mais s'accommode fort bien de ce doute. Pascal entreprend de combattre et de détruire, l'une par l'autre, ces deux philosophies; celle qui affirme quelque chose sur Dieu et sur l'homme en dehors de la religion, et celle qui refuse de rien admettre pour vrai, même à la lumière de la foi.

37. Restituer assurément le plan de Pascal est impossible; on peut essayer du moins de donner une idée probable du livre tel qu'il devait être. Le but de Pascal est d'amener une âme à croire aux vérités religieuses. Il montre d'abord l'homme isolé, perdu dans l'univers entre l'infinie grandeur et l'infinie petitesse. Il montre la vanité du monde, l'horreur de l'amour-propre et de l'égoïsme universel, l'incertitude de nos connaissances, les mensonges de nos sens, les contradictions de notre raison, l'insuffisance et les excès de la justice humaine. Dans cette partie sceptique et négative de l'ouvrage, Pascal s'inspire surtout de Montaigne. Mais Montaigne se repose à l'aise dans un tel abîme de doute et d'ignorance. Pascal y souffre horriblement, et harcèle l'homme pour qu'il souffre aussi. Le pire état de l'âme, c'est l'indifférence; cherchons donc la vérité. Les philosophes nous la diront-ils? Tous se con

tation (1645). Docteur en Sorbonne, il fut exclu de la Faculté de théologie pour ses doctrines jansénistes. En dehors de ses innombrables écrits de polémique religieuse, il faut citer la Grammaire générale et raisonnée (dite de Port-Royal), publiée en 1660; ouvrage prématuré, sans doute, car il était trop tôt pour écrire la grammaire générale, quand la grammaire comparée n'existait pas encore; mais très remarquable néanmoins, car elle renferme la plus ancienne étude rationnelle et philosophique de notre langue. Puis l'Art de penser (ou Logique de Port-Royal), livre classique, où les principes de la philosophie cartėsienne étaient appliqués à tout le mécanisme du raisonnement avec une précision et une clarté admirables. Nicole', associé à la vie et aux travaux d'Arnauld, eut part avec lui dans la composition de ces deux traités dont le succès fut très grand. Lorsque les dissensions religieuses se rallumèrent en 1679, Arnauld dut quitter la France et s'exiler en Belgique, où il mourut à quatre-vingt-deux ans (1694), ayant écrit et lutté jusqu'à son dernier jour.

40. François-Eudes de Mézeray2 a attaché son nom à une vaste entreprise, celle d'une Histoire de France qu'il conduisit depuis les origines de la monarchie jusqu'à son temps. Le premier volume parut, in-folio, en 1643; les deux suivants en 1646 et 1651; ni les recherches de l'auteur n'avaient été suffisantes, ni sa critique n'est assez sûre pour qu'on puisse accepter avec une entière confiance sest récits et ses jugements. Mais son style est beau, quoique un peu suranné; ses narrations ont de l'ampleur et de la vivacité; les discours qu'il a placés, à la mode des histo

1. Voy. ci-dessous, § 107.

2. François-Eudes de Mézeray, né à Ry (Orne) en 1610, mort à Paris en 1683.

riens anciens, dans la bouche des grands personnages, sont éloquents et vraisemblables; son esprit est piquant, ses réflexions pleines de verve et d'à-propros; enfin, sans être un érudit, il est peut-être un historien. L'Académie française l'admit après la mort de Voiture, en 1649, et il en devint le secrétaire perpétuel après Conrart (1675). Il eut le titre d'historiographe du roi, et une grosse pension que Colbert lui retira, pour le punir de la liberté avec laquelle il avait parlé des traitants et des impôts dans l'Abrégé chronologique de son Histoire de France (publié en 1668). Mézeray avait l'humeur frondeuse; et même il écrivit, dans le temps des troubles civils, plusieurs pamphlets contre Mazarin.

41. Dans l'Oraison funèbre de la duchesse d'Orléans, Bossuet loue cette princesse du goût qui l'attachait « à la lecture de l'histoire, qu'on appelle avec raison la sage conseillère des princes.... Elle y perdait insensiblement le goût des romans et de leurs fades héros; soigneuse de se former sur le vrai, elle méprisait ces froides et dangereuses fictions. » Cette préférence que Madame accordait à l'histoire sur le roman était, il faut l'avouer, exceptionnelle à son époque et surtout parmi les femmes. Les plus sensées, comme les plus frivoles, raffolaient alors de lectures romanesques.

Il y eut deux sortes de romans au xvne siècle (avant la révolution qu'introduisit dans le genre Mme de La Fayette en écrivant la Princesse de Clèves) : le roman pastoral, héroïque, chevaleresque, où s'étale une peinture idéale et embellie de l'humanité; le roman qui s'appellerait aujourd'hui réaliste, qui se nommait alors naïf, où les mœurs de la société sont dépeintes fidèlement, surtout dans ce qu'elles ont de plus familier, de plus vulgaire et même de plus bas. Au second genre appartiennent le Fran

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