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vous savez apaiser de choses dans mon cœur; et que facilement on se laisse persuader aux personnes qu'on aime ! Covielle. Qu'on est aisément amadoué par ces diantres d'animaux-là !

SCÈNE XI. MADAME JOURDAIN, CLÉONTE, LUCILE, COVIELLE, NICOLE.

Madame Jourdain. Je suis bien aise de vous voir, 5 Cléonte, et vous voilà tout à propos. Mon mari vient: prenez vite votre temps pour lui demander Lucile en mariage.

Cléonte. Ah! madame, que cette parole m'est douce, et qu'elle flatte mes désirs! Pouvais-je recevoir un ordre 10 plus charmant, une faveur plus précieuse?

SCÈNE XII.-CLÉONTE, MONSIEUR JOURDAIN, MADAME JOURDAIN, LUCILE, COVIELLE, NICOLE.

Cléonte. Monsieur, je n'ai voulu prendre personne pour vous faire une demande que je médite il y a longtemps. Elle me touche assez pour m'en charger moi-même; et, sans autre détour, je vous dirai que l'honneur d'être votre 15 gendre est une faveur glorieuse que je vous prie de m'accorder.

Monsieur Jourdain. Avant que de vous rendre réponse, monsieur, je vous prie de me dire si vous êtes gentilhomme. Cléonte. Monsieur, la plupart des gens, sur cette 20 question, n'hésitent pas beaucoup. On tranche le mot aisément. Ce nom ne fait aucun scrupule à prendre et l'usage aujourd'hui semble en autoriser le vol. Pour moi,

je vous l'avoue, j'ai les sentiments sur cette matière un peu

plus délicats. Je trouve que toute imposture est indigne d'un honnête homme, et qu'il y a de la lâcheté à déguiser ce que le ciel nous a fait naître, à se parer aux yeux du monde d'un titre dérobé, à se vouloir donner pour ce qu'on 5 n'est pas. Je suis né de parents, sans doute, qui ont tenu. des charges honorables; je me suis acquis, dans les armes, l'honneur de six ans de service, et je me trouve assez de bien pour tenir dans le monde un rang assez passable: mais, avec tout cela, je ne veux point me donner un nom, 10 où d'autres, en ma place, croiraient pouvoir prétendre; et je vous dirai franchement que je ne suis point gentilhomme.

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Monsieur Jourdain. Touchez là, monsieur: ma fille n'est pas pour vous.

Cléonte. Comment ?

Monsieur Jourdain. Vous n'êtes point gentilhomme : vous n'aurez pas ma fille.

Madame Jourdain. Que voulez-vous donc dire avec votre gentilhomme? Est-ce que nous sommes, nous

autres, de la côte de saint Louis ?

Monsieur Jourdain. Taisez-vous, ma femme: je vous vois venir.

Madame Jourdain. Descendons-nous tous deux que de bonne bourgeoisie?

Monsieur Jourdain. Voilà pas le coup de langue?

Madame Jourdain. Et votre père n'était-il pas marchand aussi bien que le mien?

Monsieur Jourdain. Peste soit de la femme! Elle n'y a jamais manqué. Si votre père a été marchand, tant 3o pis pour lui; mais, pour le mien, ce sont des malavisés qui disent cela. Tout ce que j'ai à vous dire, moi, c'est que je veux avoir un gendre gentilhomme.

Madame Jourdain. Il faut à votre fille un mari qui lui soit propre ; et il vaut mieux, pour elle, un honnête 35 homme riche et bien fait, qu'un gentilhomme gueux et mal bâti.

Nicole. Cela est vrai.

Nous avons le fils du gentilhomme de notre village, qui est le plus grand malitorne et le plus sot dadais que j'aie jamais vu.

Monsieur Jourdain, à Nicole. Taisez-vous, impertinente. Vous vous fourrez toujours dans la conversa

tion. J'ai du bien assez pour ma fille ; je n'ai besoin que d'honneurs, et je la veux faire marquise.

Madame Jourdain. Marquise?

Monsieur Jourdain. Oui, marquise.

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Madame Jourdain. Hélas! Dieu m'en garde! Monsieur Jourdain. C'est une chose que j'ai résolue. Madame Jourdain. C'est une chose, moi, où je ne consentirai point. Les alliances avec plus grand que soi sont sujettes toujours à de fâcheux inconvénients. Je ne veux point qu'un gendre puisse à ma fille reprocher ses parents, 15 et qu'elle ait des enfants qui aient honte de m'appeler leur grand'maman. S'il fallait qu'elle me vînt visiter en équipage de grand'dame, et qu'elle manquât, par mégarde, à saluer, quelqu'un du quartier, on ne manquerait pas aussitôt de dire cent sottises. "Voyez-vous, dirait-on, 20 cette madame la marquise qui fait tant la glorieuse ? C'est la fille de monsieur Jourdain, qui était trop heureuse, étant petite, de jouer à la madame avec nous. Elle n'a pas toujours été si relevée que la voilà; et ses deux grands-pères vendaient du drap auprès de la porte Saint- 25 Innocent. Ils ont amassé du bien à leurs enfants, qu'ils payent maintenant peut-être bien cher en l'autre monde ; et l'on ne devient guère si riche à être honnêtes gens.” Je ne veux point de tous ces caquets, et je veux un homme, en un mot, qui m'ait obligation de ma fille, et à qui je puisse 30 dire: "Mettez-vous là, mon gendre, et dînez avec moi.”

Monsieur Jourdain. Voilà bien les sentiments d'un petit esprit, de vouloir demeurer toujours dans la bassesse. Ne me répliquez pas davantage : ma fille sera marquise, en dépit de tout le monde; et, si vous me mettez en 35 colère, je la ferai duchesse.

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SCÈNE XIII.-MADAME JOURDAIN, LUCILE, CLÉONTE, NICOLE, COVIELLE.

Madame Jourdain. Cléonte, ne perdez point courage encore. (A Lucile.) Suivez-moi, ma fille; et venez dire résolument à votre père que, si vous ne l'avez, vous ne voulez épouser personne.

SCÈNE XIV.-CLÉONTE, COVIELLE.

Covielle. Vous avez fait de belles affaires avec vos beaux sentiments!

Cléonte. Que veux-tu ? J'ai un scrupule là-dessus que l'exemple ne saurait vaincre.

Covielle. Vous moquez-vous, de le prendre sérieusement 10 avec un homme comme cela? Ne voyez-vous pas qu'il est fou? et vous coûtait-il quelque chose de vous accommoder à ses chimères ?

Cléonte. Tu as raison; mais je ne croyais pas qu'il fallût faire ses preuves de noblesse pour être gendre de 15 monsieur Jourdain.

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Covielle, riant. Ah! ah! ah!

Cléonte. De quoi ris-tu ?

Covielle. D'une pensée qui me vient pour jouer notre homme, et vous faire obtenir ce que vous souhaitez. Cléonte. Comment ?

Covielle. L'idée est tout à fait plaisante.

Cléonte. Quoi donc ?

Covielle. Il s'est fait depuis peu une certaine mascarade qui vient le mieux du monde ici, et que je prétends faire 25 entrer dans une bourle que je veux faire à notre ridicule.

Tout cela sent un peu sa comédie; mais, avec lui, on peut hasarder toute chose, il n'y faut point chercher tant

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de façons, et il est homme à y jouer son rôle à merveille, à donner aisément dans toutes les fariboles qu'on s'avisera de lui dire. J'ai les acteurs, j'ai les habits tout prêts; laissez-moi faire seulement.

Cléonte. Mais apprends-moi

Covielle. Je vais vous instruire de tout. Retironsnous; le voilà qui revient.

SCÈNE XV. MONSIEUR JOURDAIN, seul.

Que diable est-ce là? Ils n'ont rien que les grands seigneurs à me reprocher; et moi, je ne vois rien de si beau que de hanter les grands seigneurs ; il n'y a qu'honneur et que civilité avec eux; et je voudrais qu'il m'eût coûté deux doigts de la main, et être né comte ou marquis.

SCÈNE XVI.-MONSIEUR JOURDAIN,
UN LAQUAIS.

Le Laquais. Monsieur, voici monsieur le comte, et une dame qu'il mène par la main.

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Monsieur Jourdain. Hé! mon Dieu! j'ai quelques 15 ordres à donner. Dis-leur que je vais venir ici tout à l'heure.

SCÈNE XVII.—DORIMÈNE, DORANTE,

UN LAQUAIS.

Le Laquais. Monsieur dit comme cela qu'il va venir ici tout à l'heure.

Dorante. Voilà qui est bien.

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