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transactions formelles ou tacites, et elle ne doit pouvoir être changée que du libre consentement de toutes les parties contractantes; cela me suffit pour appeler tous ces gouvernements spéciaux ou d'exceptions.

Je ne prétends pas, je le répète, décider ni même discuter actuellement si tous ces droits particuliers sont également respectables, s'ils peuvent prescrire à perpétuité contre le droit commun, si l'on peut légitimement les opposer à la volonté générale bien prononcée. Ces questions sont toujours résolues par la force, et d'ailleurs elles ne font rien à l'objet que je me propose. Tous ces gouvernements sont existants ou peuvent l'être; or tout corps existant a droit à sa conservation. Voilà le point d'où je pars avec Montesquieu, et je veux examiner avec lui quelles sont les lois qui tendent à la conservation de chacun d'eux. J'espère que l'on s'apercevra dans le cours de cette recherche, que la division que j'ai adoptée, me donne bien plus de facilité pour pénétrer dans le fond du sujet, que celle qu'il a employée.

LIVRE III.

Des principes des trois gouvernements.

Le principe des gouvernements fondés sur les droits des hommes, est la raison.

JE

Je pense, comme Helvétius, que Montesquieu aurait mieux fait d'intituler ce livre : Conséquence de la nature des Gouvernements. Car que se propose-t-il ici? Il cherche quels sont les sentiments dont il faut que les membres de la société soient animés, pour que le gouvernement établi subsiste. Or, c'est là le principe conservateur, si l'on veut; mais ce n'est pas le principe moteur. Celui-ci réside toujours dans quelque magistrature qui provoque l'action de la puissance. La cause de la conservation d'une société commerciale est l'intérêt et le zèle de ses membres; mais son principe d'action, c'est l'agent ou les agents qu'elle a chargés de suivre ses affaires et de lui en rendre compte, et qui provoquent ses * déterminations. Il en est de même de toute société, à moins que l'on ne veuille dire, que le principe général de toute action est l'intérêt et le besoin. C'est une vérité, mais elle est

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si générale, qu'elle ne signifie plus rien pour chaque cas en particulier.

Quoi qu'il en soit, il est certain que les divers sentiments, que Montesquieu appelle le principe qui fait agir chaque gouvernement, doivent être analogues à la nature du gouvernement établi; car autrement ils le renverseraient. Mais est-il bien vrai, comme il le dit, que la vertu soit le principe du gouvernement républicain, l'honneur celui du monarchique, et la crainte celui du despotisme? Cela présente-t-il un sens bien net et bien précis?

Pour la crainte, il n'est pas douteux qu'elle ne soit la cause du despotisme; car le moyen le plus sûr pour être opprimé, est certainement de trembler devant l'oppresseur. Mais nous avons déja remarqué que le despotisme est un abus qui se trouve dans tous les gouvernements, et non pas dans un gouvernement particulier. Or, si un homme raisonnable conseille souvent et très-souvent de souffrir des abus, de peur de pis, il veut que ce soit par raison et non par crainte, que l'on s'y détermine; et d'ailleurs il ne se charge jamais de chercher les moyens de les perpétuer et de les accroître. De plus, Montesquieu dit luimême en propres termes: Quoique la manière d'obéir soit différente dans ces deux gouver

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nements (monarchique et despotique), le pouvoir est pourtant le même. De quelque côté que le monarque se tourne, il emporte et précipite la balance, et est obéi. Toute la différence est que dans la monarchie, le prince a des lumières, et que les ministres y sont infiniment plus habiles et plus rompus aux affaires, que dans l'état despotique. Ce ne sont donc pas là deux gouvernements différents. L'un n'est que l'abus de l'autre ; et, comme nous l'avons déja dit, le despotisme dans ce sens n'est que la monarchie avec des mœurs brutales. Nous ne parlerons donc ni du despotisme ni de la crainte.

A l'égard de l'honneur accompagné de l'ambition, qu'on regarde comme le principe de la monarchie; à l'égard de la vertu qu'on suppose être le principe de la république, et que l'on change en modération, quand cette république est aristocratique, qu'est-ce que tout cela aux yeux d'une saine critique? N'y a-t-il pas un véritable honneur, qui ne s'applaudit que de ce qui est bien, et qui doit être exempt de reproches; et un faux honneur qui cherche tout ce qui brille et se targue de vices et même de ridicules, quand ils sont à la mode? N'y a-t-il pas aussi une ambition généreuse, qui ne veut que servir ses semblables et conquérir

leur reconnaissance, et une autre ambition qui, dévorée de la soif du pouvoir et de l'éclat, y court par tous les moyens? Ne sait-on pas aussi que la modération, suivant les occasions et les motifs, est sagesse ou faiblesse, magnanimité ou dissimulation? Et quant à la vertu, qu'est-ce donc que cette vertu uniquement propre aux républiques? Serait-il vrai que la vraie vertu soit déplacée quelque part? est-cé sérieusement que Montesquieu a osé avaneer que de véritables vices, ou, si l'on veut, des vertus fausses, sont aussi utiles dans la monarchie que des qualités réellement louables? Et parce qu'il fait un portrait abominable des cours, Chap. 5, est-il bien sûr qu'il soit desirable ou inévitable qu'elles soient ainsi? Je ne puis le penser (1).

(1) Voici les propres expressions de cet homme, que l'on cite souvent comme le grand partisan de la monarchie :

« L'ambition dans l'oisiveté, la bassesse dans l'orgueil, « le desir de s'enrichir sans travail, l'aversion pour la vérité, la flatterie, la trahison, la perfidie, l'abandon « de tous ses engagements, le mépris des devoirs du citoyen, la crainte de la vertu du prince, l'espérance « de ses faiblesses, et plus que tout cela, le ridicule << perpétuel jeté sur la vertu, forment, je crois, le «< caractère du plus grand nombre des courtisans, marqué dans tous les lieux et dans tous les temps. Or, il est

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