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dactiquement et d'une manière élémentaire (1), que de les présenter, comme j'ai fait, incidemment et seulement à propos des erreurs que je voulais réfuter. Mais je n'en avais pas le choix. D'ailleurs, telles que les voilà, je me flatte encore qu'elles paraîtront plus claires que celles que les écrivains économistes y ont substituées si péniblement; et que l'on trouvera qu'elles rendent intelligible et plausible tout ce que nous avons dit du luxe, du travail, des valeurs, des richesses, de la population, de la production, de la consommation, et des effets de l'impôt sur tout cela. Pourquoi Montesquieu ne s'est-il pas livré à ces recherches? L'esprit des lois est-il donc autre chose que ce que doivent être les lois ? Et, pour le connaître, ne faut-il pas voir quels sont les motifs qui doivent déterminer le législateur? Il a fait beaucoup; un seul homme ne peut pas tout faire.

(1) C'est ce que j'ai tâché de faire dans le quatrième volume de mon Idéologie, qui est un traité de l'Économie politique.

LIVRE XIV. Des lois dans le rapport qu'elles ont avec la nature du climat.

LIVRE XV. Comment les lois de l'esclavage civil ont du rapport avec la nature du climat. LIVRE XVI. Comment les lois de l'esclavage domestique ont du rapport avec la nature du climat.

LIVRE XVII. Comment les lois de la servitude politique ont du rapport avec la nature du climat.

Certains climats ont différents inconvénients pour l'homme. Les institutions et les habitudes peuvent y remédier jusqu'à un certain point. Les bonnes lois sont celles qui atteignent ce but.

Je réunis ces quatre livres, parce qu'ils ont tous rapport au même sujet; et je m'y arrêterai peu, parce que je ne vois pas beaucoup d'instruction à en tirer, et qu'ils ne m'offrent aucune question importante à discuter. Je me bornerai donc à un petit nombre de réflexions.

J'observerai d'abord que, pour se faire une idée juste de l'influence du climat, il faut entendre, par ce mot, l'ensemble de toutes les circonstances qui forment la constitution phy

sique d'un pays. Or, c'est ce que Montesquieu n'a point fait. Il paraît ne songer jamais qu'au degré de latitude et au degré de chaleur; et ce n'est pas dans cela seul que consiste la différence des climats.

Je remarque ensuite que, s'il n'est pas douteux que le climat influe sur toutes les espèces vivantes, même végétales, et par conséquent sur l'espèce humaine, il est pourtant vrai qu'il influe moins sur l'homme que sur aucun autre animal. La preuve en est que l'homme seul s'accommode de toutes les positions, de toutes les régions, de tous les régimes; et la raison s'en trouve dans l'étendue de ses facultés intellectuelles qui, en lui donnant d'autres besoins, le rend moins dépendant des besoins purement physiques, et dans la multitude d'arts par lesquels il pourvoit à ses divers besoins..A quoi il faut ajouter que, plus ces facultés sont développées, plus ces arts sont multipliés et perfectionnés, c'est-à-dire, que plus l'homme est civilisé, plus l'empire du climat sur lui diminue. Je crois donc que Montesquieu n'a pas vu toutes les causes de cet empire, et que pourtant il s'en est exagéré les effets: j'oserai même dire qu'il a cherché à les prouver par beaucoup d'anecdotes douteuses et d'historiettes fausses ou fri

voles, dont quelques-unes vont jusqu'au ridicule.

Après ces préliminaires, il considère l'influence du climat comme cause de l'usage des esclaves, ce qu'il appelle l'esclavage civil; de l'esclavage des femmes, qu'il nomme l'esclavage domestique; de l'oppression des citoyens à laquelle il donne le nom de servitude politique. Ce sont en effet trois choses bien importantes dans l'économie sociale.

Mais premièrement, après avoir peint trèsénergiquement l'usage des esclaves comme une chose abominable, inique, atroce, qui corrompt encore plus les oppresseurs que les opprimés, et sur laquelle il est impossible de faire aucune loi raisonnable, il convient luimême qu'aucun climat ne nécessite ni ne peut nécessiter absolument cet excès de dépravation. En effet, il a existé dans les marais glacés de la Germanie, et on peut s'en préserver dans la Zone-Torride. Il ne faut donc pas l'attribuer au climat, mais à la férocité et à la stupidité des hommes.

Secondement, quant à la servitude politique, nous voyons des peuples horriblement asservis dans les mêmes contrées de la Grèce, de l'Italie, de l'Afrique, où il en existait autrefois de très-libres, ou du moins de très-amou

reux de la liberté, quoiqu'ils ne sussent pas bien en quoi elle consiste, et comment se l'assurer. C'est donc plus la constitution de la société que la constitution du climat, qui en décide.

A l'égard des femmes, il est trop il est trop vrai que le malheur d'être nubiles dès l'enfance, et d'être flétries dès leur jeunesse, doit faire qu'elles ne peuvent être aimées en même temps pour leurs charmes et pour leur mérite, qu'elles doivent, en général, avoir peu des qualités du cœur et de l'esprit, et que par conséquent elles doivent être facilement les jouets et les victimes des hommes, et rarement leurs compagnes et leurs amies. C'est là sans doute un grand obstacle à la vraie moralité et à la vraie civilisation; car si l'homme se corrompt quand il opprime son semblable, il se pervertit encore plus profondément quand il asservit l'objet de ses desirs les plus vifs. Ce développement précoce, qui empêche les êtres de venir à leur perfection, et cette fureur pour les plaisirs des sens qui les éteint prématurément, et qui, pendant qu'elle dure, égare la raison, sont donc de très-grands maux; et on ne peut nier qu'ils existent dans certains pays, quoiqu'il faille bien se garder de croire tout ce que dit Montesquieu sur ce dernier point.

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