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accorde. Produire, fabriquer, transporter, c'est-à-dire, extraire les matières premières avec intelligence, les façonner avec adresse, et les échanger à propos, ou, en d'autres termes, faire le plus de travail que l'on peut, et le rendre le plus fructueux possible; voilà la grande source de la richesse des nations. Tous les petits profits que l'on peut faire sur le change, sur l'escompte, sur l'intérêt de quelques sommes fictives, et autres grivelages de cette espèce, sont de bien faibles gains, qui peuvent peut-être faire la fortune de quelques particuliers, et c'est pourquoi on les vante tant; mais qui sont bien peu de chose en comparaison de la masse des affaires, et bien indifférents à la prospérité d'un pays. Y attacher de l'importance est une grande erreur. Voilà, suivant moi, tout ce qu'on peut dire d'essentiel et de vrai sur les monnaies.

Puisque Montesquieu a jugé à propos de parler, dans ce livre, des dettes publiques, il est bon d'observer que, non-seulement elles ont l'inconvénient de nécessiter des impôts pour en payer les intérêts, et de faire vivre avec ces intérêts une foule d'oisifs qui, sans cela, seraient obligés de travailler, ou de faire travailler utilement leurs capitaux, mais encore qu'elles n'ont point l'avantage de dimi

nuer le taux courant de l'intérêt de l'argent, comme l'avance notre auteur au 6. chapo.

Elles produisent, au contraire, l'effet opposé; car un gouvernement qui emprunte, ne peut pas forcer à ce qu'on lui prête. Il faut qu'il donne un intérêt capable de déterminer le prêteur, et par conséquent au moins égal à celui qu'offrent ordinairement les particuliers solvables. Mais toutes les sommes qu'on lui prête, on les aurait prêtées à d'autres. Par conséquent, la concurrence augmente pour emprunter, et, par suite, l'intérêt se tient plus haut qu'il n'aurait été d'où il arrive que bien des spéculations d'agriculture, de manufacture ou de commerce, qui auraient été fructueuses en empruntant des fonds moins chers, deviennent impossibles. C'est un grand obstacle à la production en général.

L'intérêt de l'argent emprunté fait, sur toutes les affaires, l'effet que produit l'impôt foncier sur la culture. A mesure que l'un et l'autre augmentent, il y a toujours plus de terres et d'entreprises qui ne valent plus la peine d'être exploitées.

LIVRE XXIII.

Des lois dans le rapport qu'elles ont avec le nombre des habitants.

La population est arrêtée chez les sauvages par le défaut de moyens, et chez les peuples civilisés par la mauvaise répartition des moyens. Par-tout où il y a aisance, liberté, égalité, lumières, elle augmente rapidement. Au reste, ce n'est pas la multiplication des hommes qui est desirable, c'est leur bonheur.

Si l'on est étonné de voir un chapitre de politique commencer par une traduction, et même une traduction assez mauvaise d'un morceau de Lucrèce, on est bien plus surpris encore de tout ce que l'on trouve d'énoncé dans ce livre, et cela sans improbation ou même avec éloges, sur les moyens d'augmenter ou de diminuer le nombre des citoyens d'un état, sur les droits des pères sur la vie de leurs enfants et sur leurs mariages, sur l'intervention du gouvernement dans tout cela, etc. etc. Il est impossible de suivre de pareilles idées pas à pas. Nous commencerons donc par quelques réflexions générales, et ensuite nous tâcherons d'observer de plus près la nature humaine sur laquelle l'art, et sur

tout l'art social, doit toujours régler et modeler ses conceptions et ses institutions.

Tout être animé est entraîné à se reproduire par le plus irrésistible de tous les penchants. Un homme et une femme, parvenus à un âge fait, bien constitués, et pouvant pourvoir largement à leur subsistance, sont toujours capables, durant le temps de leur vie pendant lequel ils sont propres à la propagation, de faire plus de deux, plus de quatre, ou même plus de six enfants. Ainsi, quand on supposerait que, suivant le cours de la nature, la moitié ou même les deux tiers de ces enfants dussent périr avant d'être en état de produire leurs semblables', supposition certainement bien exagérée, l'homme et la femme dont il s'agit devraient encore, avant de finir leur carrière, laisser une postérité plus que suffisante pour les remplacer; et la population devrait toujours aller croissant. Si donc nous la voyons stationnaire et rare chez les peuples sauvages, et presque stationnaire, quoique plus nombreuse chez les vieilles nations civilisées, il faut en chercher les causes. Pour les sauvages, la raison en est sans doute que les grandes disettes, les accidents imprévus, les intempéries, les épidémies, emportent souvent une partie des hommes faits, et altèrent les

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sources de la reproduction dans ceux qui demeurent, et que le dénuement, le besoin, l'impossibilité d'apporter des soins nécessaires, le manque d'intelligence et d'affection, font périr la plus grande partie des enfants qui naissent. Pour les nations civilisées, quoique le développement de l'industrie, l'accroissement des moyens et des ressources, leur ait permis de multiplier bien plus, elles s'arrêtent pourtant dans leurs progrès, lorsque leurs avantages deviennent trop mal répartis. Un petit nombre d'hommes des classes aisées et privilégiées, dévore la subsistance d'une grande multitude; et pourtant ils sont énervés par les excès, par l'indolence, par les travaux intellectuels, par les passions; et, soit l'effet du calcul, soit celui de l'altération physique et morale de leur nature, ils ne multiplient pas. Pendant ce temps, les hommes et les femmes de la classe pauvre, à qui on enlève journellement une partie considérable du fruit de leurs travaux, sont affaiblis par une fatigue excessive, languissent dans la misère, et sont vieux avant le temps. Ils font encore un assez grand nombre d'enfants, mais ils sont débiles. Ils ne peuvent ni ne savent les soigner en santé, ni les secourir dans leurs maladies, et il en périt une quantité prodigieuse. Comme

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