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MISES A LA TÊTE DE LA PREMIÈRE ÉDITION.

Mon objet, en commençant cet ouvrage, était de réfléchir sur chacun des grands sujets qu'a traités Montesquieu, de former mon opinion, de la mettre par écrit, afin d'achever de l'éclaircir et de la fixer. Je n'ai pas été long-temps sans m'apercevoir que la collection de ces opinions formerait un traité complet de politique, ou science sociale, qui serait bon, si chacune d'elles était juste, et si toutes étaient bien enchaînées. J'ai donc été tenté, après les avoir épurées, autant que j'en étais capable, de les reprendre toutes, de les refondre, de les distribuer d'une autre manière, et d'en former un ouvrage didactique, dans lequel les matières fussent rangées suivant l'ordre naturel de leur mutuelle dépendance, sans aucun égard pour celui que Montesquieu avait établi entre elles, et qui, suivant moi, est loin d'être toujours le meilleur. Mais j'ai senti bientôt que, s'il s'était trompé dans le choix de cet ordre, je pourrais bien, à plus forte raison, m'y tromper aussi, malgré l'énorme avantage que me donnent sur lui les lumières acquises pendant les cinquante prodigieuses années, qui séparent le moment où il a éclairé ses contemporains, de celui où je soumets aux miens le résultat de mes études. D'ailleurs, plus cet ordre que j'aurais préféré aurait été différent

de celui qu'a suivi Montesquieu, plus il m'aurait rendu difficile de discuter ses opinions en établissant les miennes. Nos deux marches se croisant sans cesse, je n'aurais pu, sans une foule de redites insupportables, lui rendre cet hommage, que je regarde comme un devoir. Je me serais donc vu réduit à présenter mes idées, avec la défaveur d'être souvent contraires aux siennes, sans qu'on en vît suffisamment le motif. Dans cet état, il est douteux qu'on les eût jamais adoptées : on ne leur aurait peut-être pas seulement fait l'honneur de les examiner. Voilà ce qui m'a déterminé à ne donner aujourd'hui qu'un Commentaire sur Montesquieu. Un autre plus heureux, profitant de la discussion, si elle s'établit, pourra dans la suite donner un vrai ·Traité des Lois. C'est ainsi, je pense, que doivent marcher toutes les sciences; chaque ouvrage partant toujours des opinions les plus saines actuellement reçues, pour y ajouter quelque nouveau degré de justesse. C'est là vraiment suivre le sage précepte de Condillac, d'aller rigoureusement du connu à l'inconnu. Puissé-je, en n'ayant pas plus d'ambition que ne me le permettait ma position, avoir contribué efficacement aux progrès de la science sociale, la plus importante de toutes au bonheur des hommes, et celle que nécessairement ils perfectionnent la dernière, parce qu'elle est le résultat et le produit de toutes les autres!

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