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MASCARILLE.

Mon Dieu! je n'ai pas voulu faire semblant de rien; car je suis violent, et je me serais emporté.

MADELON.

Endurer un affront comme celui-là en notre présence!

MASCARILLE.

Ce n'est rien ne laissons pas d'achever. Nous nous connaissons il y a tongtemps; et, entre amis, on ne va pas se piquer pour si peu de chose.

SCÈNE XVI.

DU CROISY, LA GRANGE, MADELON, CATHOS, CÉLIMÈNE, LUCILE, MASCARILLE, JODELET, MAROTTE,

VIOLONS.

LA GRANGE.

Ma foi, marauds, vous ne vous rirez pas de nous, je vous promets. Entrez, vous autres.

(Trois ou quatre spadassins entrent.)

MADELON.

Quelle est donc cette audace, de venir nous troubler de sorte dans notre maison!

DU CROISY.

Comment, Mesdames, nous endurerons que nos laquais soient mieux recus que nous; qu'ils viennent vous faire l'amour à nos dépens, et vous donnent le bal!

Vos laquais!

MADELON.

LA GRANGE.

Oui, nos laquais; et cela n'est ni beau ni honnête de nous les débaucher comme vous faites.

MADELON.

O ciel! quelle insolence!

LA GRANGE.

Mais ils n'auront pas l'avantage de se servir de nos habits pour vous donner dans la vue; et si vous les voulez aimer, ce sera, ma foi, pour leurs beaux yeux. Vite, qu'on les dépouille sur-le-champ.

Adieu notre braverie.

JODELET.

MASCARILLE.

Voilà le marquisat et la vicomté à bas.

DU CROISY.

Ah! ah! coquins, vous avez l'audace d'aller sur nos bri

sées! Vous irez chercher autre part de quoi vous rendre agréables aux yeux de vos belles, je vous en assure.

LA GRANGE.

C'est trop que de nous supplanter, et de nous supplanter avec nos propres habits.

MASCARILLE.

O fortune! quelle est ton inconstance!

DU CROISY.

Vite, qu'on leur ôte jusqu'à la moindre chose.

LA GRANGE.

Qu'on emporte toutes ces hardes, dépêchez. Maintenant, Mesdames, en l'état qu'ils sont, vous pouvez continuer vos amours avec eux tant qu'il vous plaira; nous vous laissons toute sorte de liberté pour cela, et nous vous protestons, monsieur et moi, que nous n'en serons aucunement jaloux.

SCÈNE XVII.

MADELON, CATHOS, JODELET, MASCARILLE, VIOLONS.

Ah! quelle confusion!

Je crève de dépit.

CATHOS.

MADELON.

UN DES VIOLONS, à Mascarille.

Qu'est-ce donc que ceci? Qui nous payera nous autres?

MASCARILLE.

Demandez à monsieur le vicomte.

UN DES VIOLONS, à Jodelet.

Qui est-ce qui nous donnera de l'argent?

JODELET.

Demandez à monsieur le marquis.

SCÈNE XVIII.

GORGIBUS, MADELON, CATHOS, JODELET,
MASCARILLE, VIOLONS.

GORGIBUS.

Ah! coquines que vous êtes, vous nous mettez dans de beaux draps blancs, à ce que je vois ; et je viens d'apprendre de belles affaires, vraiment, de ces messieurs qui sortent.

MADELON.

Ah! mon père, c'est une pièce sanglante qu'ils nous ont faite.

GORGIBUS.

Oui, c'est une pièce sanglante, mais qui est un effet de votre impertinence, infâmes! Ils se sont ressentis du traitement que vous leur avez fait, et cependant, malheureux que je suis, il faut que je boive l'affront.

MADELON.

Ah! je jure que nous en serons vengées, ou que je mourrai en la peine. Et vous, marauds, osez-vous vous tenir ici après votre insolence?

MASCARILLE.

Traiter comme cela un marquis! Voilà ce que c'est que du monde : la moindre disgrâce nous fait mépriser de ceux qui nous chérissaient. Allons, camarade, allons chercher fortune autre part; je vois bien qu'on n'aime ici que la vaine apparence, et qu'on n'y considère point la vertu toute nue.

SCÈNE XIX.

GORGIBUS, MADELON, CATHOS, VIOLONS.

UN DES VIOLONS.

Monsieur, nous entendons que vous nous contentiez, à leur défaut, pour ce que nous avons joué ici.

GORGIBUS, les battant.

Oui, oui, je vous vais contenter; et voici la monnaie dont je vous veux payer. Et vous, pendardes, je ne sais qui me tient que je ne vous en fasse autant ; nous allons servir de fableet de risée à tout le monde, et voilà ce que vous vous êtes attiré par vos extravagances. Allez vous cacher, vilaines, allez vous cacher pour jamais. (Seul.) Et vous, qui êtes cause de leur folie, sottes billevesées (1), pernicieux amusements des esprits oisifs, romans, vers, chansons, sonnets et sonnettes, puissiez-vous être à tous les diables!

(1) Billevesées, ou plutôt billevezées, ainsi que l'écrit Rabelais. Balle remplie de vent, et, par allusion, discours vains, trompeurs. Mot composé de bille, balle, et de vezer, souffler, ou de veze, musette. De là billevesée, comme l'explique fort bien Furetière, pour balle soufflée, pleine de vent. C'est précisément le nuga canora des Latins.

FIN DES PRÉCIEUSES RIDICULES.

MOLIÈRE,

T. I.

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SCÈNE PREMIÈRE.

GORGIBUS, CÉLIE, LA SUIVANTE DE CÉLIE.

CÉLIE, sortant tout éplorée, et son père la suivant. Ah! n'espérez jamais que mon sœur y consente.

GORGIBUS.

Que marmottez-vous là, petite impertinente?
Vous prétendez choquer ce que j'ai résolu ?
Je n'aurai pas sur vous un pouvoir absolu?
Et, par sottes raisons, votre jeune cervelle
Voudrait régler ici la raison paternelle ?
Qui de nous deux à l'autre a droit de faire loi?
A votre avis, qui mieux, ou de vous, ou de moi,
O sotte! peut juger ce qui vous est utile?
Par la corbleu! gardez d'échauffer trop ma bile;
Vous pourriez éprouver, sans beaucoup de longueur,
Si mon bras peut encor montrer quelque vigueur.

(1) Ce personnage comique est une création de Molière, et le nom de SGANARELLE est resté au caractère qu'il représente on disait les Sganarelles, comme on avait dit les Jodelets, les Gros-Renés, etc.

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Votre plus court sera, madame la mutine,
D'accepter sans façon l'époux qu'on vous destine.
J'ignore, dites-vous, de quelle humeur il est,
Et dois auparavant consulter s'il vous plaît:
Informé du grand bien qui lui tombe en partage,
Dois-je prendre le soin d'en savoir davantage?
Et cet époux, ayant vingt mille bons ducats,
Pour être aimé de vous doit-il manquer d'appas?
Allez, tel qu'il puisse être, avecque cette somme
Je vous suis caution qu'il est très honnête homme.
CÉLIE.

Hélas!

GORGIBUS.

Eh bien, hélas ! que veut dire ceci?
Voyez le bel hélas qu'elle nous donne ici!
Eh! que si la colère une fois me transporte,
Je vous ferai chanter hélas de bonne sorte!
Voilà, voilà le fruit de ces empressements
Qu'on vous voit nuit et jour à lire vos romans;
De quolibets d'amour votre tête est remplie,
Et vous parlez de Dieu bien moins que de Clélie (1).
Jetez-moi dans le feu tous ces méchants écrits
Qui gâtent tous les jours tant de jeunes esprits;
Lisez-moi comme il faut, au lieu de ces sornettes,
Les Quatrains de Pibrac et les doctes Tablettes (2)
Du conseiller Matthieu; l'ouvrage est de valeur,
Et plein de beaux dictons à réciter par cœur.
Le Guide des pécheurs (3) est encore un bon livre,
C'est là qu'en peu de temps on apprend à bien vivre ;
Et si vous n'aviez lu que ces moralités,

Vous sauriez un peu mieux suivre mes volontés.

CÉLIE.

Quoi! vous prétendez donc, mon père, que j'oublie
La constante amitié que je dois à Lélie?

J'aurais tort si, sans vous, je disposais de moi;
Mais vous-même à ses vœux engageâtes ma foi.

GORGIBUS.

Lui fût-elle engagée encore davantage,

Un autre est survenu, dont le bien l'en dégage.

(1) Clélie, roman de mademoiselle de Scudéry.

(2) Ces deux ouvrages tenaient autrefois dans l'éducation de la jeunesse la même place que les fables de la Fontaine y tiennent aujourd'hui.

(3) Livre de dévotion, par Louis de Grenade, dominicain espagnol, mort en 1588. (B.)

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