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LE

COMÉDIE (1666).

PERSONNAGES.

GÉRONTE, père de Lucinde.
LUCINDE, fille de Géronte.
LÉANDRE, amant de Lucinde.
SGANARELLE, mari de Martine.
MARTINE, femme de Sganarelle.
M. ROBERT, voisin de Sganarelle.
VALÈRE, domestique de Géronte.
LUCAS, mari de Jacqueline.

JACQUELINE, nourrice chez Géronte, et femme de Lucas.

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SGANARELLE, MARTINE, paraissent sur le théâtre en se

querellant.

SGANARELLE.

Non, je te dis que je n'en veux rien faire, et que c'est à moi de parler et d'être le maître.

MARTINE.

Et je te dis, moi, que je veux que tu vives à ma fantaisie, et que je ne me suis point mariée avec toi pour souffrir tes fredaines.

SGANARELLE.

Oh! la grande fatigue que d'avoir une femme! et qu'Aristote a bien raison quand il dit qu'une femme est pire qu'un démon.

MARTINE.

Voyez un peu l'habile homme, avec son benêt d'Aristote!

SGANARELLE.

Oui, habile homme. Trouve-moi un faiseur de fàgots qui sache comme moi raisonner des choses, qui ait servi six ans un fameux médecin, et qui ait su dans son jeune âge son rudiment par cœur.

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Que maudits soient l'heure et le jour où je m'avisai d'aller dire oui !

SCANARELLE.

Que maudit soit le bec cornu (1) de notaire qui me fit signer ma ruine!

MARTINE.

C'est bien à toi, vraiment, à te plaindre de cette affaire. Devrais-tu être un seul moment sans rendre grâces au ciel de m'avoir pour ta femme ? et méritais-tu d'épouser une femme comme moi ?

SGANARELLE.

Il est vrai que tu me fis trop d'honneur, et que j'eus lieu de me louer la première nuit de mes noces ! Eh! morbleu, ne me fais point parler là-dessus : je dirais de certaines cho

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Baste! laissons là ce chapitre. Il suffit que nous savons ce que nous savons, et que tu fus bien heureuse de me trouver.

MARTINE.

Qu'appelles-tu bien heureuse de te trouver? Un homme qui me réduit à l'hôpital, un débauché, un traître, qui me mange tout ce que j'ai!...

SGANARELLE.

Tu as menti: j'en bois une partie.

MARTINE.

Qui me vend, pièce à pièce, tout ce qui est dans le logis!...

SGANARELLE.

C'est vivre de ménage.

(1) Bec cornu est une imitation du mot italien becco, qui signifie bouc. (B.) Les vieux conteurs emploient quelquefois ces deux mots réunis dans le seng de cornard.

1

MARTINE.

Qui m'a ôté jusqu'au lit que j'avais !.....

SGANARELLE.

Tu t'en lèveras plus matin.

MARTINE.

Enfin qui ne laisse aucun meuble dans toute la maison!...

SGANARELLE.

On en déménage plus aisément.

MARTINE.

Et qui, du matin jusqu'au soir, ne fait que jouer et que boire!

SGANARELLE.

C'est pour ne me point ennuyer.

MARTINE.

Et que veux-tu, pendant ce temps, que je fasse avec ma famille?

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Donne-leur le fouet : quand j'ai bien bu et bien mangé, je veux que tout le monde soit soûl dans ma maison.

MARTINE.

Et tu prétends, ivrogne, que les choses aillent toujours de même ?

SGANARELLE.

Ma femme, allons tout doucement, s'il vous plaît.

MARTINE.

Que j'endure éternellement tes insolences et tes débauches?

SGANARELLE.

Ne nous emportons point, ma femme.

MARTINE.

Et que je ne sache pas trouver le moyen de te ranger à ton devoir?

SGANARELLE.

Ma femme, vous savez que je n'ai pas l'âme endurante, et que j'ai le bras assez bon.

MARTINE.

Je me moque de tes menaces.

SGANARELLE.

Ma petite femme, ma mie, votre peau vous démange, à votre ordinaire.

MARTINE.

Je te montrerai bien que je ne te crains nullement.

SGANARELLE.

Ma chère moitié, vous avez envie de me dérober quelque chose (1).

MARTINE.

Crois-tu que je m'épouvante de tes paroles?

SGANARELLE.

Doux objet de mes vœux, je vous frotterai les oreilles.

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Traître! insolent! trompeur! lâche! coquin! pendard! gueux! bélître! fripon! maraud! voleur !

SGANARELLE.

Ah! vous en voulez donc ?

(Sganarelle prend un bâton, et bat sa femme.)
MARTINE, criant.

Ah! ah! ah! ah!

SGANARELLE.

Voilà le vrai moyen de vous apaiser.

SCÈNE II.

M. ROBERT, SGANARELLE, MARTINE.

M. ROBERT.

Hola! holà! holà! Fi! Qu'est ceci? quelle infamie? Peste soit le coquin de battre ainsi sa femme!

(1) Ceci est encore un dicton populaire; on le trouve dans la Comédie des Proverbes, d'Adrien de Montluc: « Si tu m'importunes davantage, tu me déro« beras un soufflet. » (A.)

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Voyez un peu cet impertinent, qui veut empêcher les maris de battre leurs femmes ?

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Et vous êtes un sot de venir vous fourrer où vous n'avez que faire.

(Elle lui donne un soufflet.)

M. ROBERT, à Sganarelle.

Compère, je vous demande pardon de tout mon cœur. Faites, rossez, battez comme il faut votre femme, je vous aiderai, si vous le voulez.

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