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d'abord l'émancipation de la race nègre, et quelques années plus tard la découverte en Guyane de gisements aurifères.

Le premier ne privait pas complètement l'agriculture de main-d'œuvre, car le noir, quoique sobre, devait cependant chercher sa subsistance dans un travail salarié; et on pouvait encore compter sur l'immigration indienne ou chinoise. Mais le travail des mines, bien plus payé que le travail agricole, ne tar dait pas à enlever aux habitations presque tout le personnel, et, il ya quelques années à peine, ce même travail de l'or rendait encore impossible, mais, espérons-le, provisoirement, l'immigration des colonies anglaises, à la suite d'un essai malheureux sur des coolies dirigés trop vite et sans précautions sur un établissement minier de l'intérieur.

Notre premier séjour, de près d'une année, en Guyane, était motivé par des recherches sur les filons d'or qui pouvaient avoir donné naissance aux gisements alluvionnaires, seuls connus jusqu'alors, et, à la suite de ces premières recherches, nous exprimions notre ferme espoir de voir se continuer indéfiniment en profondeur la richesse constatée en surface dans les filons que nous venions de découvrir.

Ce nouveau caractère de l'exploitation, la durée dans l'avenir succédant à l'épuisement rapide des gîtes d'alluvions, nous permettait en outre d'entrevoir le relèvement possible de l'agriculture; et nous nous sommes attaché à faire comprendre que le défrichement, aussi bien que le changement de climat, la création de voies de transport et la reprise de l'immigration, qui résulteront d'une exploitation minière durable, favoriseront aussi l'exploi tation agricole, sans que celle-ci puisse nuire à la première, à laquelle au contraire elle sera d'un grand secours.

Ces espérances de l'an dernier devaient avoir, dès la fin de cette année, un commencement de réalisation, par la production aurifère des premiers gisements filoniens.

Nos recherches de filons, en effet, ont été exécutées sur un des placers alluvionnaires réputés les plus riches, le placer Élysée, pour le compte d'une Société anonyme française, la

Compagnie générale de la Mana, qui au début de sa formation, en 1883, envoyait en Guyane un personnel supérieur complet, et un outillage de machines suffisant pour traiter par jour de 10 à 20 tonnes de minerais quartzo-aurifères.

VOIES DE TRANSPORT FLUVIALES.

Pendant que nos travaux, malheureusement interrompus en 1884, mettaient à découvert et commençaient de préparer pour l'exploitation plusieurs gisements filoniens, tout le matériel devait être transporté jusqu'au centre minier, dans le voisinage immédiat de ces mêmes gisements.

Ce transport présente, il est vrai, d'énormes difficultés.

Outre la nécessité de débarquer à Cayenne tout ce qui est expédié par des bateaux d'un fort tonnage, pour le charger sur des goëlettes susceptibles de remonter les grandes rivières au moins jusqu'aux quartiers ou villages, généralement établis à 10 ou 20 kilom. en amont des embouchures, ces goëlettes mêmes ne sauraient pénétrer à plus de 30 ou 40 kilom. dans l'intérieur, distance à laquelle se rencontrent les premiers sauts ou rapides '.

A plus forte raison le voilier spécial qui nous avait porté de Chicago le matériel de l'usine de broyage et amalgamation avait dû s'arrêter au quartier de Mana, sur la rivière de ce nom qui conduit au placer « Élysée ».

C'est en effet seulement sur le quai du village que l'on peut opérer en sûreté le déchargement de machines et pièces lourdes. Pour remonter plus haut, avec les approvisionnements et le petit outillage des exploitations alluvionnaires, on ne se servait auparavant que de canots à pagaies, ou même de simples coques taillées dans le tronc d'un arbre, pouvant porter, les premiers de 1,000 à 1,500 kilog., les dernières de 500 à 1,000 kilog. D'ailleurs ce mode de transport était possible en toute saison, les sauts ou rapides présentant le plus souvent une ou plusieurs passes accessibles même à la saison sèche.

1 A notre départ de Cayenne, en mai 1885, on attendait incessamment la reprise d'un service côtier par bateau à vapeur.

Mais déjà, pour les gîtes alluvionnaires, on avait reconnu qu'il devait y avoir économie d'argent, et surtout économie de temps, à se servir de petites chaloupes à vapeur, au moins pendant l'hivernage, qui dure en Guyane de huit à neuf mois, c'est-à-dire la plus grande partie de l'année.

Ce perfectionnement dans le transport, reconnu d'abord simplement utile pour les approvisionnements, devenait nécessaire pour faire passer sur les sauts en toute sûreté un matériel lourd et encombrant.

Aussi la Compagnie générale de la Mana s'est-elle procuré dans ce but un chaland à fond plat pouvant porter 6 tonneaux de poids utile, et un remorqueur à vapeur de la force de 10 chevaux. Elle a pu ainsi, pendant l'hivernage 1884, opérer la plus grande partie de ses transports jusqu'à près de 120 kilom. de l'embouchure de la Mana, à l'endroit où se jette l'affluent du Lézard, qui descend du placer « Élysée ».

Les difficultés ne sont pas moindres pour remonter l'affluent, sur lequel les sauts ne sont pas le seul obstacle. Le lit de la rivière est en effet obstrué par une quantité considérable de troncs d'arbres, tombés depuis des siècles; quelques-uns seulement de ces bois peuvent flotter, mais sont alors arrêtés par les branches touffues de l'un ou l'autre rivage, et forment ainsi de véritables barrages, en amont desquels s'entassent le sable et le gravier.

A la formation de ces bancs correspond l'usure des rives, et la largeur du lit s'accroît au détriment de la profondeur, de sorte que les canols même touchent le fond à la sécheresse, et qu'on est souvent obligé, pour passer l'obstacle, de décharger le canot, de le tirer à la main, et de porter le chargement pièce par pièce à dos d'homme.

INFLUENCE D'UNE SÉCHERESSE PROLONGÉE.

La Compagnie générale de la Mana n'ayant pu opérer, pendant la sécheresse de 1883, un déboisage et une canalisation du

lit du Lézard suffisants pour permettre de remonter une grande partie de l'affluent à la vapeur, a dû chercher, pendant l'hivernage de 1884, à transporter son matériel par petites portions sur cet affluent au moyen de coques et de grands canots qui pouvaient le débarquer au pied même de l'emplacement destiné à l'installation de l'usine.

Malheureusement la sécheresse, qui ne dure ordinairement que trois à quatre mois (août-septembre-octobre-novembre), présentait déjà en 1883 un caractère exceptionnel, et se prolongeait jusqu'en février 1884; de sorte que l'hivernage de 1884 n'a pas donné le temps nécessaire à l'achèvement des transports.

Nous sommes donc reparti en novembre 1884, chargé d'une nouvelle mission, et avec l'espoir de terminer promptement à l'hivernage suivant le transport du matériel et d'accélérer l'installation de l'usine, de manière à exploiter les filons et traiter les minerais au plus tard à la fin de 1885.

Toute la Guyane s'intéresse à la marche de notre affaire; plusieurs Compagnies n'attendent que notre réussite pour entreprendre à leur tour la recherche des gisements filoniens; car jusqu'à ce jour un seul placer, « Espérance », sur le Maroni, a exécuté autrefois à moitié le transport d'un matériel de broyage, avant de s'assurer de la présence d'un minerai exploitable, et la Société de << Saint-Élie », sur le Sinnamary, vient seulement de se décider à chercher aussi les filons, mais n'a pu encore obtenir un résultat certain de richesse en profondeur.

Dans ces conditions, nous étions en droit d'espérer que la fin de cette année allait être le point de départ du relèvement de la Guyane, et que notre exploitation filonienne allait démontrer, par une production suivie et durable, la légitimité des espérances de notre première mission.

Certes nous n'avons pas perdu l'espoir : bien au contraire, nous avons pu, dans le courant de notre deuxième mission, compléter nos découvertes de la première, et affirmer, d'après les caractères les plus certains, la continuité en profondeur de la richesse qui n'était encore que probable. Nous pouvions dès lors persévérer

dans la poursuite de notre but, malgré tous les obstacles et surtout malgré les retards qui devaient survenir.

PHÉNOMÈNE CLIMATOLOGIQUE.

Un obstacle que nous étions loin de prévoir a résulté d'un phénomène climatologique qui s'est produit cette année, en Guyane, sinon sur tout le territoire, du moins dans un grand nombre de bassins. Nous voulons parler d'une sécheresse qui laisse loin derrière elle toutes celles qu'on a observées de mémoire d'homme en Guyane, et qui a précisément été la plus forte dans le bassin de la Mana.

Cette sécheresse extraordinaire, qui s'est du reste fait aussi sentir plus ou moins grande dans les Guyanes hollandaise et anglaise et dans presque toutes les Antilles, a tellement duré en Guyane que plusieurs rivières, entre autres la Mana, n'ont pas eu cette année leur étiage d'hiver.

A la suite de quelques pluies, d'ailleurs très espacées, coïncidant surtout avec des changements de quartier de la lune, nous avons seulement observé de légères crues, rapides et passagères, dans les affluents, à peine sensibles dans la Mana ; au point qu'à notre départ de Guyane, le 18 mai, nous emportions la crainte de voir les deux sécheresses de 1884 et 1885 n'en former qu'une seule de quinze mois'.

La plus longue sécheresse observée par les Cayennais remonte à 1858; et encore les pluies sont-elles tombées cette année-là au mois d'avril. On peut citer ensuite plusieurs sécheresses qui ont duré jusqu'au mois de février ou de mars, en dernier lieu celle de 1877-78, et celle que nous avons déjà mentionnée de 1883-84.

Quelle peut être la cause de ces phénomènes climatologiques? Les saisons dans les pays tropicaux sont plus régulières que dans les zones tempérées, et cela en raison de la régularité presque constante des vents dominants, qu'on appelle pour cela vents alizés (alis, vieux mot qui signifiait uni, régulier).

Un télégramme du milieu de juillet nous fait espérer qu'on aura pu reprendre les transports, interrompus depuis un an, sur la Mana.

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